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    Textes philosophiques
  Eckhart Tolle      ordre et désordre
 
      
      	     Au niveau 
		conventionnel, l’ordre est considéré comme l’harmonie, et le désordre 
		comme la disharmonie ou le chaos mais à un niveau supérieur, il existe 
		une harmonie cachée qui comprend le désordre et le chaos, parce que la 
		vie bouge et évolue entre ces deux opposés…Venons-en à 
		un autre point de vue sur ce dont nous avons déjà parlé. Il s’agit de 
		reconnaître deux réalités opposées fondamentales dans ce monde, sans 
		lesquelles le monde ne pourrait même pas exister : l’ordre et le 
		désordre. On peut utiliser un autre mot pour « le désordre », quand il 
		est plus extrême, « le chaos ». Donc, l’ordre et le chaos ou l’ordre et 
		le désordre. Habituellement, on préfère bien sûr l’ordre dans la vie, 
		c’est-à-dire que les choses aillent bien, qu’elles s’améliorent : on 
		apprend des choses, on fait de nouvelles expériences, la vie se déroule
  bien 
		; on aspire au moins à une harmonie relative dans la vie… Or, très souvent, 
		tout cela est gâché par l’éruption d’une forme de désordre et 
		habituellement, nous en sommes contrariés, plein de ressentiment, de 
		colère ou de tristesse. Les choses dans notre vie ne se passent pas 
		comme nous aimerions. Et le désordre peut se présenter sous de 
		nombreuses formes. Même si ça peut ordinairement ne pas être reconnu 
		comme tel, j’appelle aussi désordre une simple chose comme 
		l’interruption de la façon tranquille dont la vie se déroule au 
		quotidien, contrariée par une forme d’adversité. Par exemple, vous 
		perdez votre portefeuille !
 
 Subitement, il se passe donc quelque chose que vous prenez comme un acte 
		de sabotage contre vous et vous voici dans la peur, la panique ou la 
		confusion. La souffrance apparaît et pour une chose relativement 
		anodine. Vous assistez à une réunion et il y a tout à coup un gros 
		désaccord. Les gens s’engueulent. Jusque-là, tout allait bien, quelqu’un 
		a fait un commentaire et tout le monde se met à y réagir. Sans qu’on 
		l’ait vu venir, la réunion s’est transformée en désordre. Le désordre 
		surgit sous de multiples formes, des formes anodines : rater un 
		rendez-vous, rater l’avion, avoir une maladie bénigne, un léger 
		accident. Le désordre se présente sous de très nombreuses formes, 
		pesantes ou plus légères.
 Et 
		habituellement, quand il y a du désordre, cela peut pour un temps créer 
		des ravages dans notre vie. Et l’on trouve là la forte croyance que 
		quelque chose qui ne va vraiment pas ne devrait pas arriver. La croyance 
		sous-jacente peut aussi être « quelque chose ne va pas chez moi » ou « 
		quelqu’un est contre moi, Dieu est contre moi. Sinon, pourquoi tout ça 
		m’arriverait-il ? »
 Il y a des formes 
		de désordre légèrement plus importantes : une rupture de mariage, une 
		perte d’emploi, la perte de sa maison, une maladie grave, un coup dur 
		pour l’un de ses proches, pour un enfant, pour son conjoint, ou quelque 
		chose qui se rapporte au collectif : une pandémie, un effondrement 
		économique, des troubles sociaux, des ouragans, des tremblements de 
		terre…
 Et habituellement, cela engendre beaucoup 
		de réaction. Comme je l’ai dit, la façon dont vous pouvez réagir, c’est 
		à travers la colère, la peur, la panique ; vous pouvez aussi être 
		triste, déprimé ; vous pouvez vous demander à quoi rime tout ça : « Je 
		me suis décarcassé pour monter mon affaire et voilà ce qui m’arrive ! »
 En fait, il nous 
		faut à nouveau comprendre que le désordre que nous avons précédemment 
		appelé « adversité » est inévitable et qu’il est un élément essentiel 
		d’un ordre plus élevé. Normalement, quand on considère l’ordre et le 
		désordre, on s’arrête sur l’ordre où les choses se déroulent comme il se 
		doit. Tout va bien et l’on parle d’harmonie. Le désordre est un manque 
		d’harmonie. Quelque chose arrive qui peut donc même être chaotique. 
		Habituellement, nous considérons donc l’ordre comme désirable. C’est 
		l’harmonie, les choses vont bien. Nous considérons le désordre comme 
		indésirable, comme un manque d’harmonie où les choses vont mal. Et c’est 
		vrai, à un certain niveau !Il y a toujours des niveaux différents. On 
		peut regarder ça d’un point de vue plus large, à un niveau plus élevé. 
		L’existence de l’ordre et du désordre ou de l’ordre et du chaos sont des 
		éléments nécessaires à l’évolution de la vie. Prenons quelques exemples 
		:
 Je me promène parfois dans la forêt et 
		quand on marche dans la forêt, on peut sentir cette odeur typique de la 
		végétation. Et ce qui fait partie de ce que l’on sent dans la forêt, 
		c’est en fait la terre, d’autant plus quand il a plu. On sent alors la 
		terre. Mais la terre, c’est quoi ? La terre est principalement la 
		matière en décomposition. La terre est constituée d’arbres tombés, de 
		plantes mortes, et leur structure moléculaire n’est plus ordonnée. Les 
		atomes se séparent, se dissolvent dans le désordre. Il n’y a plus de 
		structure, l’ordre n’est plus. La matière en décomposition est une 
		manifestation du désordre ou du chaos. C’est la mort. Or, la mort est 
		nécessaire à la croissance des nouveaux arbres. Ils poussent grâce au 
		chaos de la matière en décomposition qui donne naissance à un nouvel 
		ordre de vie de nouvelles plantes et de nouveaux arbres. On ne peut pas 
		les séparer.
 Chaque jour, en 
		mangeant, quoi que vous mangiez, vous créez le désordre ou le chaos pour 
		ce que vous mangez. Vous mordez dans une pomme. La pomme a une structure 
		moléculaire très ordonnée. Quand vous mordez dans une pomme et vous 
		mettez à la mâcher, vous détruisez l’ordre de la pomme, les molécules 
		qui en ont fait une pomme. Vous créez le chaos ou le désordre. C’est ce 
		que vous faites à chaque fois que vous mangez. La pomme se trouve 
		ensuite dans le système digestif Où diverses choses se produisent. Le 
		désordre se poursuit, mais votre corps absorbe alors les nutriments qui 
		participent de sa structure également ordonnée. La nourriture est donc 
		détruite, le chaos est créé de sorte que la vie puisse être maintenue et 
		se poursuivre. C’est une façon intéressante de regarder ça.
 Beaucoup de 
		gens ont remarqué qu’ils ont vécu un approfondissement, un sentiment 
		plus profond du soi ou de l’état d’être, une paix plus profonde ou une 
		sorte de renouveau dans leur vie, juste après avoir enduré une période 
		de désordre ou de chaos, comme effets de cette période. Je ne sais pas 
		si vous connaissez cette expression spirituelle qui provient du 
		christianisme médiéval : « La nuit obscure de l’âme ». Je pense que 
		cette expression a été créée au Moyen-Âge par les enseignements 
		spirituels de la mystique chrétienne, « La nuit obscure de l’âme ».
 Il est dit qu’avant l’éveil spirituel, qu’avant que quelques-uns de ces 
		enseignements se soient éveillés spirituellement, ils avaient enduré des 
		formes extrêmes d’abattement ou de
 dépression où tout à coup, tout était 
		insensé. Ils éprouvaient un chaos mental, pour ainsi dire, ou souvent 
		même une dépression nerveuse. Et l’ancien soi était mort, en quelque 
		sorte, après cette période dépressive. C’était comme une expérience de 
		la mort. Il y avait donc l’éruption du désordre ou d’une destruction, 
		après quoi une réalisation plus profonde pouvait émerger.
 La nuit 
		obscure de l’âme est principalement l’expérience du chaos intérieur ou 
		du désordre intérieur où plus rien n’a de sens. C’est une forme de 
		désordre au niveau du mental.Et certaines personnes connaissent une 
		sorte de dépression dans leur vie. Cela arrive quand deux ou trois 
		mauvaises choses se produisent en même temps. En même temps, leur 
		mariage s’effondre, ils perdent leur emploi, leurs revenus, l’un de 
		leurs proches meurt. Pour garder notre terminologie, on peut dire que le 
		désordre survient sous de multiples formes. Quand quelque chose à quoi 
		vous vous êtes identifié, qui a fait partie de votre vie, se délite ou 
		vous est enlevé soudainement, on peut parler de désordre.
 Je compare parfois notre vie à une tapisserie. Il y a des éléments très 
		variés qui constituent votre vie, la tapisserie, pour utiliser cette 
		analogie. Il y a les gens que vous connaissez, votre famille, votre 
		maison, votre travail, toute la tapisserie de votre vie, et subitement, 
		quelque chose est arraché à la tapisserie de votre vie, de façon 
		violente. Cela peut être un accident, (comme je le disais) un 
		effondrement économique total, la fin du mariage ou tout autre chose. Et 
		voilà que ça laisse un trou béant dans la tapisserie de votre vie ! Oui, 
		c’est certainement du désordre et pourtant, des gens disent souvent 
		qu’ils ont connu un éveil spirituel alors que des trous se sont produits 
		dans la tapisserie de leur vie.
 La tapisserie de leur vie représente 
		donc ce avec quoi ils s’identifient, quoi que ce soit, et qu’ils nomment 
		« ma vie, moi et ma vie ». Soudainement, un gros morceau de ce que l’on 
		appelle « ma vie » n’est plus là, ce qui peut être très douloureux. 
		Étrangement, c’est précisément à ce moment-là que beaucoup d’humains 
		font l’expérience d’une transcendance. Pour rester avec cette analogie, 
		le trou qui a été fait dans la tapisserie de leur vie pointe vers 
		quelque chose qui est au-delà des formes de la vie. Le trou est un 
		espace vide et ils font tout à coup l’expérience d’un espace vide là où 
		quelque chose s’était trouvé avant.
 Admettons 
		que votre conjoint décède, voire votre enfant, votre mère, votre père. 
		Jusque-là, il y avait cette présence qui faisait partie de votre vie et 
		il reste maintenant un espace vide. Je veux dire, quand quelqu’un meurt, 
		le jour suivant, vous regardez cette chaise où la personne avait 
		l’habitude de s’asseoir et maintenant, la chaise est vide. C’est très 
		étrange ! Elle a laissé le vide. D’abord, c’est très douloureux, mais il 
		est possible, en arrivant à un point d’acceptation, que le vide touche 
		un vide intérieur en vous, mais non pas dans un sens négatif, un vide 
		dans le sens d’un état spacieux où vous êtes conscient. Le contenu est 
		parti, ce contenu particulier de votre conscience est parti, et ce qu’il 
		reste quand on retire le contenu de la conscience, c’est la conscience 
		elle-même, donc sans le contenu.
 Pour 
		utiliser une autre analogie, on peut dire aussi qu’une ondulation 
		particulière à la surface de l’océan s’est dissoute, qu’elle n’est plus 
		là, et ce qui reste, c’est l’océan. L’ondulation avait une forme 
		particulière, mais l’océan n’a pas de forme. Ce qui reste est donc la 
		conscience sans forme et c’est la réalisation de la dimension 
		transcendante en vous. Et cela arrive souvent avec la dépression, la 
		perte, la mort, autrement dit avec l’expérience d’une forme de désordre 
		ou de chaos ou encore quelque chose que l’on qualifierait normalement de 
		mauvais, de très mauvais.
 C’est très étrange. Nous avons ce qui est 
		normalement qualifié de bon et ce qui est qualifié de mauvais. Or, ce 
		qui est qualifié de bon est en fait ce qui vous maintient dans un 
		endroit relativement confiné et limité alors que ce qui est communément 
		qualifié de mauvais crée une ouverture en vous. Cette perte – si c’est 
		une perte – a créé une ouverture en vous. Quand vous dites peut-être que 
		votre vie va bien, vous êtes habituellement dans votre zone de confort, 
		donc quand les choses vont bien dans votre vie.
 Et 
		quand quelque chose de mauvais survient, cela détruit la zone de 
		confort, mais il y a un fait très étrange : pendant qu’ils sont dans 
		leur zone de confort, il n’arrive presque jamais que les gens 
		s’éveillent spirituellement ou qu’ils vivent un approfondissement, 
		qu’ils deviennent plus profonds, ce qui serait un éveil partiel. Cela ne 
		se produit presque jamais. Là où une évolution se produit, où une 
		progression et même un bond ont lieu, c’est habituellement l’expérience 
		du désordre dans la vie d’une personne, mais pas seulement dans la vie 
		d’une personne. Nous le verrons dans une minute.
 Votre 
		vie passe ainsi de l’ordre au désordre. Vous avez les deux et les deux 
		sont nécessaires. Or, vous ne devez pas rechercher le désordre sous 
		prétexte que vous voulez vous éveiller spirituellement. Vous pourriez 
		vous dire : « OK, j’ai besoin de me faire souffrir, de tout abandonner 
		pour me faire souffrir ». Beaucoup de gens ont fait ça dans le passé, 
		parce qu’ils pouvaient voir comment cela opère. Ils pouvaient voir que 
		quand quelqu’un souffre, il y a la possibilité pour lui de la 
		transcendance et de l’éveil. Ce n’est pas une garantie, ils pouvaient 
		restés pris dans la souffrance jusqu’à leur mort ou ils pouvaient mourir 
		à partir de leur souffrance. Nous en parlerons un peu plus tard.
 Il n’y a pas 
		de garantie, quand le désordre survient ou quand vous souffrez, que cela 
		aboutisse à un éveil ou au moins à un approfondissement. C’est toujours 
		une possibilité, mais très souvent, on passe à côté. Dans ce cas, on se 
		retranche même plus profondément dans son sentiment de soi égoïque qui 
		devient très rigide. On peut le voir avec les gens qui ont eu une « 
		mauvaise » vie. Ce qu’il reste à la fin de leur vie est une personnalité 
		dont le composant principal est un sentiment profond d’amertume, 
		d’injustice et de ressentiment. Au lieu de les ouvrir à la 
		transcendance, à travers la souffrance, celle-ci a rigidifié leur ego.
 
 Ce n’est pas rare. On voit ainsi des personnes âgées, mais également des 
		jeunes gens, dont une partie de leur personnalité est constituée 
		d’amertume, d’injustice et de ressentiment. Cela colore tout ce qu’ils 
		voient, ce qu’ils perçoivent, toutes leurs relations. C’est très triste. 
		Personne ne leur a dit, parce que ça n’est pas encore une connaissance 
		courante, que l’expérience de la souffrance peut être une grande chance 
		qui se présente infailliblement dans la vie de chacun. Ils ne l’ont pas 
		su. Ces choses ne sont pas enseignées à l’école. Elles devraient être 
		une des matières les plus enseignées. Il n’y a donc pas de garantie que 
		cela se produise, c’est juste une possibilité qui peut se présenter.
 Parfois, la 
		souffrance, le désordre est déjà éprouvé en début de vie. Des enfants 
		naissent dans un environnement très chaotique. Cela peut être de la 
		violence là où ils vivent, dans leur famille, entre leurs parents. Un 
		parent ou les deux peuvent être alcooliques, addictes à la drogue. Des 
		enfants naissent dans un environnement très inconséquent et chaotique. 
		Des enfants endurent une grande perte à un âge précoce, celle d’un 
		parent ou des deux, à 6, 7 ans, lors d’un accident. C’est une épreuve 
		terrible dans la vie d’une personne. Personne ne peut prédire ce qu’en 
		seront les effets sur l’enfant.
 Pour un enfant qui grandit dans un 
		foyer très dysfonctionnel, avec de la violence, de l’alcoolisme, de la 
		drogue, la possibilité pour lui de devenir un adulte très conscient, à 
		travers le chaos, l’adversité, est relativement limitée, d’autant plus 
		si l’enfant ne reçoit aucun soutien. Et tout ce qui arrive est une 
		perpétuation du dysfonctionnement. L’enfant peut avoir une relation et 
		reproduire le même environnement. Après plusieurs générations de famille 
		dysfonctionnelle, il se peut qu’une personne brise le cercle vicieux, en 
		sorte soudainement et s’éveille spirituellement pour devenir un bien 
		énorme et puissant pour ce monde. Et cette personne est parfois issue de 
		générations de souffrance et de dysfonctionnement.
 Il y a 
		des enfants qui endurent précocement une perte dans leur vie, la perte 
		d’un parent, et certains d’entre eux deviennent matures prématurément. 
		Cela arrive aussi. Je l’ai vu quelques fois. Ces enfants qui endurent 
		cela, une grande perte, ont rapidement accès à la sagesse, déjà à l’âge 
		de onze ou douze ans. Ils s’expriment avec sagesse. Il y a donc les deux 
		possibilités
 
    Indications de lecture:
	  
  
     
        
        A,
         B,
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