Textes philosophiques

Krishnamurti     lettre sur la liberté


        Bonjour,

     Je ne vous connais pas, ni votre oeuvre...  Je me sens tellement prisonnière... de mes pensées, de mon affectivité, de mes manques... Je voudrais au minimum savoir ce que je cherche...  désespérément... et d'autant plus désespérément que j'ignore ce que je cherche vraiment.
   Comment trouver la liberté? Notre personnalité, nos choix, découlent bien souvent des conditionnements subis dans l'enfance...  comment quelqu'un peut-il, par exemple, avoir confiance en lui quand tout son conditionnement antérieur a été de ne pas avoir confiance en lui? Plus je vieillis, plus je réalise que c'est l'affectif qui fait agir les hommes, pas la réflexion, et qu'ils ne sont pas responsables de cet affectif; dans toutes les relations, professionnelles, privées, des réactions, des interprétations affectives viennent troubler l'objectivité... la liberté signifie qu'il y a choix... beaucoup n'ont pas le choix (celui qui lutte pour sa survie, l'enfant qui meurt à 2 ans... quel est leur choix?)... le fait de penser n'est-il pas déjà une entrave à la liberté d'exister, tout simplement, comme un animal qui fait partie de la nature... l'homme est extérieur à la nature, il n'est pas dedans, il la regarde... quel choix a-t-il? La liberté de l'homme c'est quoi? La seule liberté que l'on ait, c'est de vivre avec tous nos conditionnements, certains en étant plus conscients que d'autres. Et en prendre conscience, ce n'est pas pour autant s'en libérer.

   Nous sommes chimie aussi...  un dérèglement biologique et nous pouvons sombrer dans la folie... un médicament qui supplée à ce manque et nous revoilà «sains d'esprit»! Beaucoup d'enfants ont assisté à des scènes terribles, en temps de guerre... certains ont sombré dans la folie (qui a été pour eux la seule solution possible), d'autres s'en sortent... l'ont-ils choisi? Ils n'ont pas eu le choix: ils ont réagi avec leurs possibilités, c'est tout. Comment sortir de ses conditionnements? Comment? Et pour trouver quoi? Qu'est-ce que je cherche et que je ne trouve pas? Et vous qu'avez-vous trouvé? Et pourquoi avez-vous cherché?
Merci de m'avoir lue.
Michèle

Chère madame,

   Vous dites rechercher quelque chose que vous ne connaissez pas et vous demandez en même temps à trouver la liberté? Ces deux quêtes peuvent-elles être rapprochées ou y voyez-vous deux aspirations différentes?

    Considérons un instant le sens de votre question:  Si vous cherchez quelque chose, il est raisonnable de dire que vous ne pensez pas le posséder.  Si ce que vous recherchez est la liberté, vous affirmez donc en être dépourvue.  Ce quelque chose, cette liberté, sont, dans votre esprit désespérés, extérieurs à votre existence. Il y a donc en vous un idéal à atteindre, une ascension, une élévation de votre être pour accéder à un niveau de liberté supérieur, à un quelque chose de plus grand que ce que vous êtes. Je ne vous demande pas d'adhérer intellectuellement à ce que je dis ici mais de regarder consciencieusement la réalité ou l'irréalité de ce que je vous indique.
    Si vous parvenez à découvrir que vous voulez atteindre quelque chose d'irréel, si vous découvrez que vous aspirez à être quelqu'un d'autre, vous réaliserez que vous avez ainsi créé votre propre souffrance. Quand vous serez disposée à vous délester de votre idéal, vous deviendrez ce que vous êtes.  La liberté pourrait alors vous apparaître comme la fin de votre recherche désespérée, la fin de la recherche de liberté. Votre recherche désespérée et confuse de la liberté est un conditionnement comme un autre, même s'il vous paraît plus élevé. Et tous les conditionnements structurent l'action humaine pour produire finalement la violence et la souffrance.
   Le fait de réaliser que vous êtes conditionnée et dépourvue de liberté ne conduit au désir de vous en libérer que par un autre conditionnement de même nature. Mais je ne ferme pas toutes les portes de la liberté en disant cela. Je vous indique au contraire comment votre recherche peut s'accomplir. Il ne s'agit pas de se libérer de quelque chose ou de trouver quelque chose d'autre que ce que nous vivons, que ce que nous sommes, qui représenterait un idéal de liberté.

   La liberté à laquelle vous aspirez ne peut émerger de la violence du refus de vous-même ou de la vie telle qu'elle est. Elle est dans la relation intime avec la totalité de ce que vous êtes et la totalité de ce qu'est la vie. Le conditionnement ou les traumatismes que vous évoquez dans votre question ne déterminent votre liberté ou votre esclavage que si vous y êtes «attachée». Et le rejet, le refus, la violence que l'homme met à lutter contre ce qu'il est ou ce qu'il vit constituent un attachement paradoxal alors que ces bagages de la mémoire et de la pensée peuvent se dissoudre dans l'acceptation de toute chose, dès l'instant où ils se présentent et son abandon dès l'instant suivant.

     Cependant, la liberté ne peut que se produire d'elle-même, elle ne se cherche pas. Cessez de la chercher, vivez ce que vous êtes et laissez-la se révéler à vous-même dans une dimension que la pensée ne peut pas approcher.

J. Krishnamurti

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