Textes philosophiques

Rousseau       il n'y a pas à proprement parler d'erreur des sens


     Dans la sensation, le jugement est purement passif, il affirme qu'on sent ce qu'on sent. Dans la perception ou idée, le jugement est actif; il rapproche, il compare, il détermine des rapports que le sens ne détermine pas. Voilà toute la différence; mais elle est grande.   Jamais la nature ne nous trompe, c'est toujours nous qui nous trompons...

     La première fois qu'un enfant voit un bâton à moitié plongé dans l'eau, il voit un bâton brisé: la sensation est vraie; et elle ne laisserait pas de l'être, quand même nous ne saurions point la raison de cette apparence. Si donc vous lui demandez ce qu'il voit, il dit : Un bâton brisé, et il dit vrai, car il est très sûr qu'il a la sensation d'un bâton brisé. Mais quand, trompé par son jugement, il va plus loin, et qu'après avoir affirmé qu'il voit un bâton brisé, il affirme encore que ce qu'il voit est en effet un bâton brisé, alors il dit faux. Pourquoi cela? Parce qu'alors il devient actif; et qu'il ne juge plus par inspection, mais par induction, en affirmant ce qu'il ne sent pas, savoir que le jugement qu'il reçoit par un sens serait confirmé par un autre. Puisque toutes nos erreurs viennent de nos jugement, il est clair que si nous n'avions jamais besoin de juger, nous n'aurions nul besoin d'apprendre; nous ne serions jamais dans le cas de nous tromper; nous serions plus heureux de notre ignorance que nous pouvons l'être de notre savoir.   

Emile, ou de l'Education, I, III.

Indications de lecture

Cf. L'exemple est utilisé par Descartes, cf. Les Méditations métaphysiques. Voir les leçons  Sentir et percevoir, voir aussi La raison et le sensible.

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