On cesse de chercher à acquérir un sentiment de soi, un sentiment de soi plus profond, plus accompli. Dans l'état normal de conscience, ce que les individus recherchent à travers leur activité, c'est à être plus eux-mêmes. D'une certaine façon, le voleur de banque recherche cela. Il en est de même pour la personne qui recherche l'éveil parce qu'elle cherche à atteindre un état de perfection, un état de complétude, de plénitude à un moment dans le futur. Elle cherche à gagner quelque chose à travers ses activités. Les gens recherchent le bonheur, mais ce qu'ils recherchent vraiment c'est eux-mêmes ou bien Dieu, cela revient au même. Ils se cherchent, mais ils cherchent là où ils ne pourront jamais se trouver, dans l'état normal de conscience non éveillée, parce que l'état de conscience non éveillée est toujours sur le mode de la recherche. Cela veut dire qu'ils sont de ce monde - dans le monde et de ce monde.

     Le monde promet la plénitude quelque part dans le temps ; et on assiste à un mouvement continuel à la poursuite de cette perfection dans le temps. A de nombreuses reprises, on pressent qu'on est enfin arrivé et puis on se dit que non, finalement ce n'est pas encore ça, et on continue la course en avant. C'est exprimé merveilleusement dans le livre A Course in Miracles où il est dit que le dictât de l'ego est " Cherche mais ne trouve pas. " Les gens recherchent leur salut dans le futur mais le futur n'arrive jamais.

       Ultimement, donc, la souffrance surgit du fait qu'on ne trouve pas, et c'est le début de l'éveil lorsqu'on commence à pressentir qu'on s'est trompé de direction et qu'on n'atteindra peut-être jamais ce que l'on s'efforce d'atteindre ; que peut-être cela ne se situe pas du tout dans le futur. Après s'être égaré dans le monde, soudain, du fait de la pression exercée par la souffrance, on commence à comprendre qu'on ne trouvera peut être pas les réponses qu'on recherche au dehors, à travers la réussite terrestre et dans le futur.

 Pour beaucoup de personnes, il est important d'en arriver là, à ce moment de crise profonde où le monde tel qu'on l'a connu, et le sentiment de soi qui est identifié au monde, perdent toute signification. C'est ce qui m'est arrivé. J'étais à deux doigts du suicide, et puis quelque chose d'autre s'est produit, la mort du sentiment de moi qui vivait à travers des identifications, identifications avec mon histoire, avec les choses autour de moi, avec le monde. A ce moment, quelque chose a émergé en moi qui était une sensation profonde et intense d'immobilité, de vie et d'être. Plus tard, j'ai appelé cela " présence ". J'ai réalisé qu'au delà des mots cela est ce que je suis. Mais cette réalisation n'était pas un processus mental. J'ai compris que cette immobilité profonde et si vibrante de vie est ce que je suis. Des années après, j'ai appelé cette immobilité " conscience pure ", alors que tout ce qui n'est pas cela est conscience conditionnée. Le mental humain est la conscience conditionnée ayant pris forme en tant que pensée. La conscience conditionnée est le monde créé par le mental conditionné. Tout est notre conscience conditionnée. Même les objets.

     La conscience conditionnée a pris naissance en tant que forme pour ensuite devenir le monde. Se perdre dans le conditionné semble être nécessaire aux êtres humains. Cela semble faire partie de leur chemin que de se perdre dans le monde, de se perdre dans le mental qui est la conscience conditionnée. Par la suite, du fait de la souffrance qui découle de ce que l'on est perdu, on découvre l'inconditionné en tant que soi-même. C'est pour cela qu'on a besoin du monde pour le transcender. Je suis donc infiniment reconnaissant d'avoir été perdu.

     Au bout du compte, la finalité du monde, c'est de nous y perdre, d'y souffrir, de créer la souffrance qui semble être nécessaire pour que l'éveil se produise. Et puis, lorsque l'éveil survient, on réalise en même temps que la souffrance n'est désormais plus nécessaire. On a atteint la fin de la souffrance parce qu'on a transcendé le monde. C'est cette position qui est libre de la souffrance. Tout le monde semble suivre cette voie. Ce n'est peut-être pas le chemin de tout un chacun dans cette vie mais cela semble être la voie universelle. Même sans un enseignement ou un enseignant spirituel, je pense que tout le monde y parviendrait au bout du compte. Mais cela pourrait prendre du temps.