L’écouté trouve son épanouissement total et sa résorption dans une écoute non dirigée, non orientée, c’est l’ultime savoir, un savoir vécu. Tout ce qui se présente à cette écoute tend vers la réalité, inconnaissable sur le plan conceptuel, mais bien connue par chacun de nous, par exemple dans l’émerveillement ou l’étonnement.

     Le véritable motif de notre existence est d’être, seule perspective contenant une promesse de joie, de liberté, de paix. Beaucoup de démarches y tendent et l’une plutôt que l’autre convient a notre tempérament, mais la voie adoptée doit viser ce vécu réel ; nous ne devons pas perdre de vue que l’ultime félicité n’est pas une expérience mentale, psychique.

     La démarche par l’intellect le plus subtil, le plus ouvert finit par apparaître comme étant impuissante, sans issue, tournant en rond dans le même connu. La réflexion intérieure en quête de la vérité n’est pas une démarche dialectique mais une prise de conscience effective. Ce qui est ainsi vécu est au-delà de toute représentation, couleurs, formes, sensations, durée, est dépourvu de tout contenu conceptuel, correspond à ce que nous sommes dans le non-temps et se révèle comme éternité dans une perception transcendante.

     L’essence de l’homme échappe aux qualifications que lui confèrent ceux qui l’entourent dès qu’il cesse de s’identifier avec la définition de cet environnement, il se découvre unique et libre. La liberté totale, vécue, est exempte de tout concept tel que l’image d’un moi, elle est transcendante. La création de cette image est, comme tout autre objet, une formation suscitée par des facteurs accidentels et dépend d’un sujet ultime et immuable la pure conscience. La privation de liberté est uniquement éprouvée par un moi imaginaire, en son absence un pareil manque ne saurait s’installer, la pensée en elle-même échappe alors aux routines de l’expérience sensori-motrice.

     L’attention silencieuse contient plus que le connu, elle est le support du connu et elle est au-delà. L’investigation au sujet du « qui suis-je ? » est toujours motivée par un déséquilibre, une rupture, et cette enquête trouve son ultime éclaircissement par l’intégration dans le « je suis », inexprimable, ineffable, impensable.

     Cette expérience est instantanée, mais son approche peut se faire par étapes successives ; les énergies sont dans ce cas canalisées peu à peu dans cette direction. Chaque déblocage entraîne une plus grande lucidité, un dépouillement et achemine vers ce qui est vécu comme parfait équilibre, sans attente, sans la moindre tension pour atteindre quelque chose.

     Pour qui le monde est-il un problème, pour qui existent le plaisir, la douleur, le désirable, l’indésirable ? Pour le moi qui n’est qu’un artifice social, une fiction. Au moment où cela est clairement vécu, cette entité fantomatique et son problème se volatilisent.

     L’ego désire mener choses et circonstances selon ses fantaisies, mais son existence n’est qu’une ombre qui a besoin d’un corps pour la faire vivre. Une vision juste lui enlève successivement toutes les caractéristiques dont il s’était faussement emparé et il se résorbe dans son essence qui est présence, lucidité.

     Pendant que l’on écoute l’instructeur exposant la perspective spirituelle, tout paraît facile, mais, par la suite, il semble que nous ayons quitté notre véritable centre. Comment devons-nous comprendre cela ?

     En écoutant exposer la vérité, notre écoute est toute réceptivité, se laissant imprégner par ce qui est proposé, le laissant prendre corps et vie en nous. Plus tard, les anciennes routines qui ont été rompues peuvent reprendre leur cours dans la vie de tous les jours. Vous devez les objectiver, et ainsi vous pourrez vous situer hors de leur champ d’action ; elles disparaîtront grâce à votre non-complicité avec elles, ce qui va vous remettre dans la position axiale que vous avez vécue en présence de votre maître spirituel. Cette approche, cette béquille vous quittera au fur et à mesure que l’expérience deviendra plus fréquente.

     Le langage, le mot n’ont pas la possibilité de rendre compte de l’inconcevable. Le mot est au service d’un empirisme égocentrique et trouve son support dans la conscience d’où il émane et où il retourne. Le moi a son fondement dans le « je suis le corps » une image cérébrale.

     La pensée spontanée échappe à ses contraires, ne laissant pas de sanskâras, de résidus. Ce qui coiffe les contraires beau laid, bien mal, est la conscience unitive qui ne peut être saisie que dans un vécu et ne peut être appréhendée par le mental, étant au-delà de tout concept.

     Nous ne connaissons rien d’une chose, nous connaissons seulement son apparence. Pour la connaître elle-même, nous devons aller au-delà de ce qui est forme et nom. Sa réalité apparaît et est vécue seulement en identité, connaissance sans objet, « existence, conscience, béatitude », sat, chit, ânanda. quand le nom et la forme s’éliminent, ces termes à leur tour disparaissent en tant que concepts et nous laissent dans la solitude. Toute apparence n’est que fiction."

L'Ultime réalité