Textes philosophiques

Jean Ziegler     la légitimation de la dette


    "Que se passerait-il si un pays refusait de servir la dette, d'en verser les intérêts aux banquiers du Nord ou du FMI?

    Il n'existe pas de procédure de faillite (de cessation de paiement etc.) pour les États en défaut de paiement. Sur ce point le droit international est muet. Mais dans la pratique, un pays insolvable est traité exactement comme une entreprise privée ou un individu affligé d'insolvabilité totale ou partielle"...

(exemple du Pérou)

... Et qu'on ne me dise pas que l'annulation de la dette est impossible parce qu'elle mettrait en danger de mort le système bancaire mondial tout entier! Chaque fois qu'un pays écrasé par sa dette tombe (passagèrement) par le trou de l'insolvabilité (comme l'Argentine en 2002), le Wall Street Journal,  et le Financial Time nous annoncent l'apocalypse... si le système qui a conduit à la catastrophe est remis en cause. Ces manifestations sont-elles imputables à la fragilité psychologique des journalistes?

    Évidemment non. Ils obéissent à une stratégie habile. Les téléspectateurs européens, aussi passifs soient-ils, constatent quotidiennement les effet des ravages infligés par la dette. Ils sont révoltés, inquiets. Ils posent des questions. Quant aux hommes, aux femmes, et aux enfants du tiers-monde, ils souffrent dans leur chair des effets du système. il faut donc légitimer la dette. Comment s'y prendre? LA rendre "inéluctable"... D'où l'argument des mercenaires du capital prédateur, répété à la façon des perroquets : "Quiconque touche à la dette met en danger de mort l'économie du monde"...

       "Les versements effectués au cours des dix dernières années par les 122 pays du tiers-monde au titre du service de leur dette vers les États et les banques des pays du Nord se sont élevés à moins de 2 % du revenu national cumulé des pays créanciers. De 2000 à 2002, une crise boursière violente a secoué la quasi-totalité des places financières, détruisant pour plusieurs centaines de milliards de dollars de valeurs patrimoniales. En deux ans, la plupart des titres cotés en Bourse ont perdu jusqu'à 65 % de leur valeur. Pour les titres de la haute technologie cotés au Nasdaq, la décote a parfois atteint 80 %. Finalement, les valeurs détruites en Bourse au cours de cette période ont été soixante-dix fois plus élevées que la valeur cumulée de l'ensemble des titres de la dette extérieure de l'ensemble des 122 pays du tiers-monde. Pourtant, malgré l'ampleur des capitaux anéantis, la crise boursière de 2000-2002 n'a pas provoqué l'effondrement du système bancaire mondial : dans un laps de temps finalement assez court, les places financières se sont rétablies. Et loin d'entraîner dans son hypothétique chute l'ensemble des économies, des emplois et de l'épargne des nations du Nord, le système bancaire mondial a parfaitement digéré la crise. Aucun pays du Nord - pour ne pas parler de l'économie mondiale dans son ensemble - ne s'est retrouvé en difficulté. Une nouvelle crise a ébranlé durant la première moitié du mois d'août 2007 les bourses du monde. Plus de 3 000 milliards de dollars ont été détruits. Les places  financières mondiales ont digéré cette perte sans problème.

     Alors, pourquoi ne pas procéder à l'annulation de la dette ? Si l'abolition inconditionnelle, unilatérale et complète de la dette extérieure des pays pauvres ne ruinerait - à coup sûr - aucune économie occidentale ni ne provoquerait l'effondrement des banques créancières, il n'est pas à exclure que telle ou telle institution publique ou privée d'Europe ou d'Amérique puisse en subir quelques dommages. Mais ceux-ci resteraient tout à fait limités, et donc parfaitement acceptables pour le système tout entier".

 L'Empire de la Honte, Fayard 2005, réédition en poche. p.108, 115-117.

Indications de lecture:

Voir la leçon Un monde en crise, L'échange et la dette. Voir la question de la dette odieuse traitée dans le cours.

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