Dans une précédente leçon[1] nous avons soulevé 9 objections adressées à l’intelligence artificielle. Dans cette leçon nous aborderons la huitième objection. Dans L’Obsolescence de l’Homme, Günter Anders évoque ce qu’il appelle la honte prométhéenne de l’homme devant la machine, celle idée que l’homme devant la supériorité de la machine se sent comme humilié, rendu inutile et diminué. À tous égards, c’est bien le cas du point de vue de sa volonté de puissance. Les ouvriers des filatures anglaises dont la révolte a été matée dans le sang ont ressenti cette humiliation. Les machines travaillaient beaucoup plus vite, avec moins d’erreurs, avec une efficacité qui accroissaient énormément le rendement. Et pourtant, ce n’était que des machines[2] de base, on n’était pas encore au stade de l’automatisation avec l’incorporation d’un fonctionnement cybernétique. Mais avec l’intelligence artificielle, l’humanité est passée en suivant la même logique, à un stade supérieur.

En un sens, du point de vue anthropologique, rien n’est changé, rien n’est nouveau, c’est exactement le même processus d’accroissement de la volonté de puissance. Mais voyons, due quoi parlons-nous ? Laquelle ? La volonté de puissance incarnée dans la technique. Il n’y a que les rêveurs et les technophiles qui voient dans l’arrivée de l’intelligence artificielle quelque chose de radicalement nouveau. Toutefois, dans un autre sens, ils ont raison, car la menace eu égard à la spécificité de la conscience humaine d’être une entité pensante est bien réelle. Et là, c’est tout à fait nouveau. Que l’intelligence artificielle puisse supplanter l’homme dans son essence d’être pensant est inquiétant car elle est en passe de l’aliéner au point que nous pourrions logiquement admettre que son développement implique la disparition de l’homme. Disparation du sujet humain. Du même coup, sujet moral dans sa place centrale au sein d’une civilisation. Question donc : Le projet de l’intelligence artificielle est-il compatible avec nos exigences morales ?

*    *
*