Leçon 294.    Réflexion sur la spirale dynamique  (1)  pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

      On doit dans les années 60 à Clare Graves, puis à ses successeurs Don Beck et Cowan l’élaboration d’une théorie du développement mental de l’humanité appelée spirale dynamique. Elle reprend des idées de la pyramide de Maslow, ainsi que celles de la théorie des stades du développement moral chez l’enfant de Laurence Kholberg. Elle sert aujourd’hui de modèle en psychologie. Ken Wilber la reprend à son compte en y ajoutant son propre commentaire. L’objet de cette leçon va être d’en faire une exposition dans le prolongement des recherches menées jusqu’ici à travers les leçons. Nous ne chercherons pas simplement à présenter les idées. Il existe sur le Net d’excellent sites qui font se travail, notre propos sera plus synthétique et critique.

    Le fil conducteur est simple et n’a rien d’original : Cela fait longtemps que les anthropologues et les psychologues cherchent un parallélisme entre le développement psychologique de l’enfant (Kholberg est un disciple de Piaget) et le développement mental de l’humanité (la psychologie humaniste de Maslow). Ce qui fait problème c’est la volonté de hiérarchisation, quand on pense aux dérives de la philosophie de l’Histoire, ses résultats sont pour le moins inquiétants. Auguste Comte avait soutenu l’idée qu’il y avait des peuples « dans l’enfance de l’humanité » et des peuples (européens) d’une « humanité adulte ». Selon Comte l’humanité passerait par le stade théologique, celui de la croyance dans des dieux (la Grèce d’Homère), puis le stade métaphysique ( la Grèce des philosophes, Platon, Aristote etc.) pour enfin parvenir au stade positif » de la science objective. La Modernité. Analyse très vague qui mène à un jugement moral dépréciatif sur la culture des peuples dit « primitifs » et à un jugement de supériorité des peuples dit « développés » parce qu’ils disposent de la techno-science. D’où un ethnocentrisme borné qui exprime une méprise complète sur les cultures non-occidentales, de leur richesse, de leur originalité et de la profondeur de leur compréhension de la vie.

    La question qui se pose est donc : est possible d’élaborer une typologie du développement mental de l’humanité qui ait une valeur de connaissance ? Est-ce possible sans projeter des jugements à caractère idéologique en s’en tenant rigoureusement à des différences caractéristiques ?  Après tout, il y a des similitudes dans ce projet avec une tentative désuète comme celui la caractérologie de Gaston Berger, qui classe les individus selon leurs tendances, sans que cela implique une volonté de chercher inférieurs ou supérieurs ( comme les alphas, betas et gammas d’Huxley dans Le meilleur des mondes). Il faudrait donc s’en tenir à un point de vue purement descriptif, mais qui s’appuierait sur une connaissance approfondie de la conscience. Le plan suivi respecte les huit niveaux de Graves.

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     A. La pensée primale, le Beige

Graves associe à chaque stade une couleur qui fait office de classe pour toutes les discussions ultérieures. Le premier niveau mental de l’humanité est celui qui est à peine dégagé de l’animalité et dont le mode de pensée est centré sur l’instinct de survie. Nourriture, eau, chaleur, sexe et sécurité.

Dans le développement de l’humain, c’est le stade du nouveau-né dépendant dans ses besoins de sa mère. Un individu, ou une organisation sociale de type Même Beige met au cœur de ses motivations le souci de préservation dans un monde jugé comme dangereux. Ils seront survivalistes pour employer un terme très à la mode aujourd’hui.

     Il n’y a plus actuellement sur Terre de société basée sur les valeurs Beiges. Il faudrait remonter 100.000 ans en arrière pour en trouver avec les hordes de chasseurs. Clare estime cependant que la mentalité Beige n’a pas disparue et recoupe encore 0,1% de l’humanité actuelle. Nous reconnaissons ici le premier stade de la pyramide de Maslow. Quand les conditions de vie deviennent très difficiles il est tout à fait naturel que la pensée gravite vers le mode primal. C’est naturellement le cas du nourrisson, ou encore de la personne âgée qui devient sénile, la maladie d’Alzheimer, comme cela l’est aussi sous la pression extrême de la faim, quand les conditions de vie sont dégradées au point que l’individu ne peut plus avoir de pensée dans son esprit que de sa seule survie. Tant qu’il n’y aura pas de satisfaction des besoins élémentaires, le beige ne peut envisager un niveau de conscience supérieur au sien. En un sens, c’est ce type d’argumentation voilée qui fait la force idéologique d’une doctrine comme celle du marxisme : comment envisager une vie spirituelle digne de ce nom, tant que les besoins primaires ne sont pas comblés ? Et puis, n’est-ce pas politiquement la manière la plus violente de soumettre un peuple que de le maintenir à ce stade de simple survie ?

     La pensée primale, comme les autres niveaux, possède son imaginaire propre et ses valeurs. On la retrouve dans l’image de Tarzan, dans les films à tendance fortement survivalistes comme Into the wild, dans toutes les productions jouant sur la force de l’individu combattant des monstres pour exister. C’est la quintessence de la doctrine des darwinistes, struggle for life, « la lutte pour la vie » qui ne voit la Nature que comme un milieu dangereux où l’homme devra se battre contre des créatures géantes, l’homme des cavernes face au mammouth, avec des armes fabriquées de ses propres mains et l’usage du feu. D’où les valeurs de la force, du courage, de l’ingéniosité dans les moyens de survie.

     Incontestablement, il existe des individus qui sont focalisés sur ce mode de pensée primal, parce qu’ils se représentent eux-mêmes de la même manière. Ils se définissent uniquement comme un corps pourvu de besoins, dominé par des pulsions qu’il faut satisfaire. En d’autres termes, leur image du moi est primale, elle est identifiée au corps soumis à la pressions des instincts. Les marginaux qui arpentent les grandes villes avec leurs chiens pensent « primal ». Les survivalistes qui attendent fiévreusement le collapse de la civilisation et font des stages pour apprendre l’usage des armes et des techniques de survie pensent « primal ». Les agences de voyage proposent même des séjours tous frais compris pour expérimenter la régression primale !

     L’incitation à nourrir l’image du moi avec un contenu primal est omniprésente dans nos médias. La télé réalité adore ! Elle adore montrer la débrouille de la survie sur une île perdue autant que la régression sexuelle qui tire la conscience vers le primal. Motif du consommateur pour se réjouir car le frigo est bien rempli. Motif d’existence dans le sexe. L’attachement vital est une grande force qui peut être mobilisée et cela fait des siècles bien avant Freud que les traditions spirituelles rappellent que la pulsion sexuelle est une grande puissance de domination. L’une comme l’autre, peuvent être utilisé par les puissants.

     B. La pensée animiste, le Violet

Le second niveau mental de l’humanité est le stade l’immersion dans la pensée animiste. Par l’adhésion culturelle à une pensée magique. Elle se traduit par un mode d’existence tribal proche de la Nature, mais sur un mode qui met l’accent sur le monde immanent des esprits partout présents. D’où l’importance de toutes sortes de rituels pour apaiser les mauvais esprits et convoquer les ancêtres. Sorts bienfaisants, sortilèges et malédictions. La pensée animiste affirme de très solides liens du sang, l’esprit dominant du clan, ce qui implique des relations sous forme d’allégeance, un respect du chef de clan, des règles strictes et des tabous aussi, une grande puissance des symboles et l’usage d’objets magiques.

    Les théoriciens de la spirale dynamique estiment que les Violets animistes représentent 10% de la population de l’humanité, mais ne disposent que de 1% du pouvoir en ce monde. Il faut se tourner vers l’anthropologie pour entrer dans l’univers mental de la pensée animiste. Lévi-Strauss pour appréhender la « pensée sauvage ». Pierre Clastres pour la forme de chefferie et la distinction nette du pouvoir politique d’Etat tel que nous le connaissons en Occident et l’autorité traditionnelle.

     Sur le plan psychologique du développement de l’enfant, ce niveau correspond au stade de 1 à 3 ans, de la pensée magique : la petite souris et du père Noël. Si tant est que nous traversons tous normalement comme humain les stades de développement, il y a bien un moment « magique » animiste chez l’enfant et il existe toute une culture autour de la pensée magique. C’est encore le cas en Occident, sauf qu’elle fait l’objet d’une récupération commerciale qui en tire de larges profits.  Les contes, les légendes, le merveilleux et ses figures alimentent la filmographie et le dessin animé et nous parlent de notre imaginaire collectif au stade le plus grégaire. 

     L’individu qui pense sur un mode « animiste » a donc un imaginaire bien fourni. Dans les sociétés traditionnelles ses valeurs tournent autour de la devise : « contente les esprits, respecte les anciens et suit la tradition ». Un bon exemple au cinéma : Les dieux sont tombés sur la tête, avec les bushmen. Dans ce cas, on remarquera que l’image du moi est fortement socialisé, nous ne sommes donc pas du tout en régime individualiste, comme dans le monde  postmoderne où l’individu est coupé de la tradition. L’individu de la pensée animiste est complètement immergé dans la tradition, il se définit à travers la tradition, dans la place qui lui est dévolue dans le clan et il n’aurait pas idée de s’en dissocier. L’image du moi est nourrie pas la tradition. Si la tradition est en péril, il y a donc un grave problème d’identité. Les sociétés traditionnelles en dehors de l’Occident sont en voie de disparition accélérée. On notera que partout la conversion au mode de vie occidental s’est produit, sans que cela n’entame le sens de l’identité des Violets qui se penseront encore eux-mêmes dans une structure de clan traditionnel dans laquelle ils trouvent leurs repères. On notera aussi que dans le monde politique actuel, la pensée tribale est encore très présente, y compris dans des régiments qui présentent une façade de démocratie. Derrière la façade, comme en Afghanistan, il y a la prédominance de la structure tribale qui est bien plus réelle. D’où un conflit latent qui tient à la manière dont l’individu se représente lui-même.

   Notons que le regard qu’un individu violet porte sur un beige est un peu celui que l’on porte sur l’animal. Il percevra les autres Violets comme l’un d’entre eux. Par contre il sera, comme on va le voir, impressionné par le pouvoir des Rouges. Il ne faut pas sous-estimer la mentalité magique tribale. Elle ressurgit par exemple chez les jeunes des banlieues où les bandes se reconstituent un modèle de clan, avec son langage et exhibitionnisme magique dans des symboles.

     C. La pensée du pouvoir, le Rouge

     Le troisième niveau mental de l’humanité est le stade du pouvoir de domination sur autrui. C’est typiquement le prototype que donne Platon avec Calliclès dans le Gorgias. Calliclès en effet dit qu’il est normal que le plus fort soit toujours le maître, que les lois sont faites pas les faibles pour se protéger des forts. Les rouges suivent la ligne de pensée des dieux puissants, des guerriers. L’individu est alors distinct de la tribu, fort, égocentrique et héroïque. Il s’affirme dans l’ivresse de sa force, tel les RougeVikings et tous les conquérants barbares.

     Les théoriciens de la spirale dynamique estiment que les Rouges représentent 20% de la population mondiale et disposent de 5% du pouvoir. Les groupements Rouges sont nécessairement dirigés par des personnalités autoritaires, voire des despotes ou des dictateurs, car les Rouges n’apprécient rien moins que les rapports de force. Ils vénèrent l’action directe, implacable et sans pitié. Ils détestent la valeur accordée au sentiment, ils privilégient l’usage de la peur et ils rejettent l’amour. Leur forme extrême aujourd’hui se montrent dans les mafias, les gangs, la hiérarchie de domination dans les prisons. Mais la terreur pouvant prendre une forme politique, le Rouge peut très bien devenir système politique ; quand il le devient, il prend une allure féodale, façon game of throne. Une excellente illustration de ce que représente la mentalité Rouge. Son imaginaire et peuplé d’esprits magico-mythiques, de dragons, de forces bonnes et mauvaises à prendre en compte. Le Rouge a besoin d’une arène pour combattre.

     Sur le plan psychologique du développement de l’enfant, ce stade apparaît entre 4 et 6 ans, avec la structuration forte du sens de l’ego. C’est l’âge ou l’enfant dit « non », « non », « non », où ce qui est à moi, n’est pas à toi. L’ego en posture d’attaque. C’est dans sa nature. Au collège les éducateurs le savent, il faut gérer des rapports entre des élèves qui sont au stade « rouge ». D’où entre eux un discours où il est toujours question de « plus fort que ». La volonté de puissance de l’ego, le côté rebelle, y compris dans le comportement des filles. Dans l’image du moi Rouge, il y a une affirmation musclée et un désir de reconnaissance puissant. D’où à notre époque, la vénération « Rouge » pour le sport, l’esprit de compétition où triomphe un « héros ». Comme les méchants Rouges dans James Bond. Les mercenaires, Attila le chef des Uns, les rocks stars déjantées typiquement Rouges, le roman Sa majesté les mouches.

     Comme profil psychologique, le rouge ne trouve de satisfaction que quand il sent qu’il domine et qu’il est respecté. Il est extrêmement sensible à la honte et cherche les gratifications de l’argent, du luxe, du sexe, y compris les stupéfiants. Il est clair que les rouges ne peuvent voir les Bruns et les Violets que comme des esclaves, donc de simples moyens, car ils ont un sens éminent de leur propre supériorité et ils peuvent l’exercer contre les Bruns et Violets. C’est le schéma typique de la guerre des conquistadors contre les peuples amérindiens au Brésil.

D. La pensée du devoir, le Bleu

    Le quatrième niveau mental de l’humanité est le stade de manifestation du sens aigu et absolutiste du devoir moral. Façon Kant. Les individus de type Bleu sont le plus souvent religieux et d’une religion manifestant une opposition très nette bien/mal. Le Bleu est très dualiste. Il a un pli de pensée qui est d’emblée manichéen, aligné directement sur des croyances et une Bleuautorité incontestée. Attention, cela ne veut pas dire que dans le stade précédents la croyance n’est pas présente, car elle l’est sous une forme différente, mais au stade bleu, elle montre un visage très moralisant. La traduction concrète de cette mentalité se manifeste dans le culte du patriotisme et la dévotion au pouvoir suprême de la divinité, mais attention, selon des règles strictes consignées dans l’Écriture. D’où le fait remarquable que partout dans le monde, tous les intégristes se ressemblent. Pour eux, il n’y a qu’un seul ordre légitime qui soit vertueux, la transgression des interdits a des répercussions graves et mêmes éternelles. Inversement, l’obéissance garantit aux fidèles des récompenses (dans l’au-delà).

    Les théoriciens de la spirale dynamique estiment que les Bleus constituent environ 30% de la population mondiale et détiennent 30% du pouvoir mondial. Un système dominant Bleu peut très bien fonctionner dans une théocratie où l’organisation sera donc très pyramidale. Très hiérarchisée. Les fondamentalistes musulmans/chiites sont tout indiqués comme exemple, mais c’est aussi la position dans le monde de l’Église catholique, comme celle des puritains américains Protestant, ou encore c’est déjà dans l’esprit des Scouts. La lutte des antispéciste est Bleue. La liste est largement ouverte.

    Sur le plan psychologique du développement de l’enfant, ce stade apparaît entre 7 et 10 ans au moment où, après le « non », « non », l’enfant va se construire un système de valeurs très absolutiste qui peut différer de celui de ses parents, mais dont le jugem

 

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     © Philosophie et spiritualité, 2019, Serge Carfantan,
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