Le terme de technique est tellement identifié à la technique scientifique, que nous en oublions parfois qu’il peut très bien y avoir des formes de techniques, sans la science, la preuve en est le savoir-faire de l’artisan ou les techniques artistiques. Dans l'art et le savoir faire, il y a aussi une tradition de transmission des méthodes et d’un savoir, mais ce savoir n’est pas celui qui est tiré d'une science.
La relation entre la science et la technique est logique et rationnelle. S’il peut y avoir un progrès technique, c’est parce que la science peut se transmettre, s’enseigner clairement par concepts. D’autre part, l’immense avantage de la technique scientifique, c’est d’être susceptible d'un perfectionnement indéfini. D’où l’incroyable obsolescence des objets techniques. Un objet technique est comme emporté dans un temps accéléré, il est souvent dépassé, au moment même où on l'achète. Nous sommes autant fascinés par les prodiges des inventions techniques que par le progrès lui-même. Nous admirons dans l'inventivité technique une créativité qui surpasse de beaucoup le savoir-faire traditionnel. Le savoir faire traditionnel garde un caractère plus statique. La technique, cela va vite, cela va très vite. Dès lors ne faudrait-il pas marquer des différences radicales entre les techniques traditionnelles et la technique modernes ? Il faut aussi préciser en quel sens on parle de technique en l’absence de science. En d’autres termes :
Peut-on concevoir une technique là où il n’y a pas de science ?* *
*
Il est assez communément admis, du point de vue de l’anthropologie, que l’apparition de l’homme coïncide avec celle du langage et le maniement des outils. L’homme a été homo-faber, avant d’être homo-sapiens, explique Bergson, parce qu’il a été ingénieux, avant d’être intelligent, et intelligent au sens où on l’entend aujourd’hui, c'est-à-dire intellectuel. Son ingéniosité lui a permis de s’adapter à des conditions de vie hostiles. Le corps de l’homme est en effet bâti pour rendre possible la préhension de l’outil. En effet, non seulement la station verticale a chez l'homme libéré la main, en en faisant autre chose qu’un moyen de locomotion comme le sont les jambes, mais la main humaine est remarquablement bien constituée pour la préhension de l’outil. L’opposition nette du pouce et des autres doigts favorise une prise en main solide. Comme le dit Aristote, dans Les Parties des Animaux : « ce n’est pas parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des animaux, mais c’est parce qu’il est le plus intelligent qu’il a des mains. En effet, l’être le plus intelligent est celui qui est capable d’utiliser une grand nombre d’outils : or, la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs ». Il serait ridicule de considérer l’homme comme inférieur, parce qu’il n’a pas de carapace ou de pinces, grâce à ses mains il peut se doter de tout ce qui lui est nécessaire, « la main devient griffe, serre, corne, ou lance ou épée ou toute autre arme ou outil. En grec l’outil est organon, complément de l’organisme. Elle peut-être tout cela, parce qu’elle est capable de tout saisir et de tout tenir ». (texte) L’homme n’a donc pas attendu la science pour fabriquer des techniques, il était par nature voué à l’invention mécanique, l’intelligence a eu pour vocation première l’ingéniosité, qui est l’habileté à concevoir des outils pour résoudre des problèmes techniques. (texte)
Nous sommes, nous autres hommes contemporains, si obnubilé par la relation science-technique que nous admettons à tort, que là où il n’y a pas de science de la Nature, il ne peut y avoir de technique élaborée. Il existe cependant deux formes de savoir très différentes impliqués dans l’élaboration des techniques: le
savoir-faire empirique et le savoir scientifique. Ce n’est que dans le second cas que la théorie précède la pratique, dans le premier, c’est l’inverse qui a lieu. L’urgence des nécessités vitales, la conservation de soi, la pression du milieu ont conduit les hommes à se doter d’instruments souvent très sophistiqués. Considérons la pirogue. Sans avoir une seule notion de physique des fluides des peuples que l'on dit «primitifs" (au regard de notre technique occidentale), ont su réaliser un instrument admirablement bien adapté à sa fonction. L’arc et la flèchesont des réalisations très ingénieuses. Avant de connaître la théorie du levier, on savait déjà très bien s’en servir. Que dire alors de l’utilisation des plantes dans de nombreuses cultures ! La culture et la préparation des plantes médicinales utilisent des procédés extrêmement complexes et ingénieux et qui ont une efficacité parfois étonnante,
sans que les peuples traditionnels ait la moindre notion modernes de pharmacie. Voir par exemple l’emploi des plantes des pygmées où la remarquable élaboration de la médecine de l’Ayur-Veda de l’Inde. Le savoir-faire peut-être à l’origine d’une ingéniosité tout à fait considérable. Cela ne veut pas dire pourtant que les peuples qui ont élaboré ces techniques l'ont fait en l’absence de toute connaissance de la Nature. Une
vision du monde très complexe sous-tend l’Ayur-Veda, une vision qui enveloppe une compréhension de la nature du corps et de sa relation avec l’univers. Mais, à la différence avec notre allopathie moderne, c’est qu’il ne s’agit pas d’une
interprétation scientifique de la réalité, c'est-à-dire d’une représentation
objective de la Nature. Dans la vision traditionnelle, la connaissance de la Nature est une compréhension qui passe par la voie de la subjectivité et qui considère la Nature comme une
intelligence vivante .répandue en toutes choses.
Le mérite de l’anthropologie contemporaine est d’avoir montré que la « pensée sauvage » comporte une complexité et une richesse indéniable, qui ne doit pas être sous-estimée, pour la seule raison qu’elle ne cadre pas avec nos modes de pensée scientifiques. C'est encore de la pensée. Le savoir-faire traditionnel fait partie des cultures du monde, cultures qui doivent être préservées pour sauvegarder le patrimoine de la diversité humaine. Vouloir à tout prix introduire la technique occidentale dans des cultures traditionnelle revient à les détruire. On s’est par exemple aperçu que le seule fait de soigner la douleur chez les pygmées avec notre aspirine occidentale, avait un effet dévastateur pour leur culture, car ils devenaient dépendants de l’homme occidental et de sa technique et oubliaient que dans leur culture, ils connaissent des plantes et les préparations qui pouvaient donner le même effet. Le savoir faire traditionnel mérite d'être sauvegardé, car il contient des trésors et des secrets inestimables. Les hommes ont su de tout temps inventer des techniques, sans pour cela disposer d’une explication scientifique rationnelle de la Nature.
Mais d’autre part, on a récemment remis en cause l’idée que l’homme naît à travers la technique est aussi mise en cause. Ce soit-disant «propre de l’homme» est en fait partagé par les animaux qui utilisent aussi des outils.
Si nous examinons l'histoire des sciences, nous pouvons aussi remarquer que le plus souvent, c’est la pratique qui fait lui plus souvent avancer la théorie et non l’inverse. Nous avons l’habitude de placer la technique après la science en disant qu’elle en est une application de la science, mais ce schéma théorique et scolaire. Il suppose d'autre part que la science garde une certaine indépendance vis-à-vis de la technique. Ce n’est pas le cas. Si les mathématiques ont pu avancer en Égypte, c’est sous la poussée des arpenteurs qui devaient mesurer la décrue du Nil. C’est un problème pratique qui a poussé à développer une géométrie. De même, on croit trop souvent que les découvertes scientifiques sont le fait de recherches pures, désintéressée, alors qu’il s’avère que le plus souvent elles sont venues à la suite de recherches portant sur des améliorations techniques, pour des motivations tirées de la pratique. La machine à vapeur de Carnot n’est en rien une application des connaissances de la thermodynamique. Carnot était un officier de marine qui cherchait surtout à assurer à sa patrie la suprématie sur les mers, d’où ses recherches pour améliorer le rendement des machines à vapeur. La découverte des premières lois de la thermodynamique viennent en fait de là. Dans ce cas, on voit bien que c’est la science qui se dégage de la technique et non l’inverse.
---------------Notre puissance technique dépasse notre connaissance scientifique exacte. Quand on a utilisé les électrochocs pour soigner certaines pathologies mentales, c’était sans savoir exactement quels était les effets sur le cerveau, avec pour seule caution quelques résultats. Les médicaments allopathiques ont eux-mêmes cette ambiguïté. On constate après des essais sur l’animal qu’ils ont un effets sur une pathologie, mais on ne sait souvent que plus tard quel est l’étendue de leurs effets secondaires, ce qui peut conduire à retirer de la vente un produit dont on ne connaissait pas encore tous les effets. La science est en retard sur la technique.
Il faut donc opérer des distinctions. Ce que l’on nomme la science, c’est une connaissance en forme de système, qui vise à découvrir des relations objectives existants dans le réel. La science a une vocation théorique, elle vise la constitution d’une connaissance objective, l’exploration d’un objet distinct de la conscience qui l’étudie.
La
technique n’a pas pour vocation d’interpréter le monde, elle est là pour le transformer, sa vocation est pratique et non théorique. Toute pratique est la mise en œuvre d’une intentionnalité qui soumet le champ de l'action à des fins, toute pratique est soumise à une certaine utilité. La technique sert à quelque chose qui n’est pas elle-même.La Modernité a vu dans la technique un ensemble de moyens permettant de satisfaire les besoins humains, de libérer l’homme de l’effort pénible. C’est au service de cette utilité que l’on rattache l’ambition de la technique : plus de confort, plus de plaisir, moins de fatigue etc. La technique est par nature au-service-de,-quelque-chose, elle est en ce sens esclave de nos désirs.
La technique apporte avec elle un pouvoir de satisfaction du désir, elle est ce pouvoir ; et c’est bien là qu’il y a difficulté, car tout pouvoir est une simple puissance et une puissance suppose nécessairement une orientation et un contrôle. Quand le pouvoir s’accroît démesurément, il demande un contrôle de plus en plus important. Renoncer à contrôler une puissance, c’est comme confier des explosifs aux caprices arbitraires d’un enfant. Le pouvoir peut fort bien se retourner contre nous et devenir destructeur autant qu’il peut-être créateur d’un confort humain appréciable.
L’important est donc de comprendre à quelles fins on utilise la technique. Or ces fins ne sont rien d’autres que celles auxquelles préside l’économie. La recherche est inséparable, dans notre contexte contemporain, de l’industrie et l’industrie est au services de l’économie de marché. Pourquoi fait-on de la recherche si ce n’est pour bénéficier de ses retombées technologiques dans le domaine économique ? Qui paye la recherche si ce n’est les industriels qui attendent qu’elle leur délivre de nouveaux produits et une amélioration de la production industrielle ? Les fins de la technique que l’économie autorisent sont de plusieurs ordres.
On peut chercher les progrès techniques 1) pour la science elle-même qui nécessite des appareillages complexes, des instruments de mesure. 2) pour la production d’objets technique susceptibles d’être commercialisés sur le marché économique. Mais il peut aussi advenir 3) que le progrès technique soit entretenu pour la technique elle-même. Il faut en effet considérer l’esprit qui préside à chacun de ses ordres. (texte)
1° L’esprit scientifique peut-être animé d’un intérêt sincère pour la connaissance, il peut, dans l’idéal, avoir une vision désintéressée. Les fins que la science est susceptible de fixer à l’élaboration technique peuvent avoir un caractère élevé, détaché des considérations économiques. Après tout, l’amélioration des télescopes pour l’observations des étoiles n’a guère de retombées économiques. On n’a pas encore trouvé le moyen de manipuler ce champ d’observation qu’est le ciel.
2° Mais en réalité, l’esprit scientifique a constamment affaire à l’esprit technicien. L’esprit technicien vise a l’exploitation des résultats de la science. Il se demande ce que l’on peut tirer de telle ou telle connaissance comme application pratique et il déploie toute son ingéniosité pour convertir un savoir en pouvoir. Il n’a pas nécessairement de visée de la finalité humaine au delà de son champ d’activité. Il est par nature spécialisé dans un domaine donné, où il déploie sa compétence, il n’est pas formée pour une vue générale ou universelle. Quand nous allons chercher une technicien, c’est pour résoudre une problème technique qui ressort de sa compétence, ce n’est pas pour l’interroger sur des visées globales de l’action. Nous savons que le technicien est surtout aiguillonné par la recherche de l’amélioration dans la production des objets techniques, son but n’est pas s’interroger sur le sens global de la vie. Les exigences économique sont là pour lui intimer le souci de la rentabilité, de l’efficacité, du rendement. Il n’est donc pas à même, en tant que technicien, de fixer les fins de la production technique. Où bien, s’il arrivait que revienne au technicien le pouvoir de décider de ce qui doit être fait, il serait sûrement porter à penser qu’il doit réaliser tout ce qui est techniquement possible, tout ce que la technique est capable de produire, comme si la seule technique pouvait être une fin en soi. Alors pourquoi ne pas se livrer à n’importe quelle manipulation génétique ? Pourquoi ne pas fabriquer des clones et réaliser la vision que l’on trouve dans Le meilleur des Mondes d’Aldous Huxley... si c’est techniquement possible ?
3) Enfin, dans un monde tel que le nôtre, ce qui prime, ce sont souvent les considérations économiques, c’est l’esprit de l’économie qui oriente les décisions, y compris les décisions politiques. L’économie raisonne en terme de production de richesses, de production de bien, d’accroissement du PNB. Elle exige de la technique une inventivité constante, une augmentation de productivité constante, un développement de nouveaux marchés consacrés à de nouveaux objets techniques.
Ce qui nous apparaît donc c’est que la technique est très loin de rester sous le contrôle de la science, dont elle dépend directement. C’est dire que la volonté de puissance qui s’exerce dans la technique est autonome, quoique directement autorisée par la représentation scientifique du monde. La science rend possible un type de technique tout à fait unique, qui n’est pas assimilable aux techniques artisanales ou artistiques, aux pratiques coutumières et traditionnelles. Entre la l’arc et la flèche et le missile balistique, entre la préparation de plante médicinales et l’aspirine, il y a tout un monde de pensée, une représentation du monde radicalement différente. Dans le monde traditionnel, la pratique reste inséparable d’une compréhension qui pense l’action de l’homme, dans une vision de l'insertion de l’homme dans la Nature. Dans le monde Moderne, l’action technique dépend d’une représentation qui, en cherchant l’explication de la Nature, vise en fait à la domination de l'homme sur la Nature. L’homme Moderne ne se sent pas comme faisant partie de la Nature.
Découvrons devant notre regard ce monde qui nous est ouvert par la techno-science fondé par les Modernes. (Voyez Jacques Ellul La technique ou l'enjeu du siècle) . Il comporte :
1) les
machines de production des industries mécaniques, chimiques,textiles, dans l’agriculture et les ateliers de toutes sortes etc. Celles-ci sont ont considérablement évoluées depuis le stade de la machine outil, vers les machines automatisées de la robotique. Leur nombre ne cesse à ce titre d’augmenter, car il semble que dès qu’un travail humain semble simple et répétitif, la technique s’ingénie à inventer une machine pour l’exécuter. Le machinisme agricole en est une étonnante illustration « tracteurs, moissonneuses, batteuses-lieuses, botteleuses, herses, arracheuses de pomme de terre, de betteraves etc. ses motoculteurs et multiples machines rotatives rendues possibles par l’ »introduction d’un moteurs électrique dans la ferme : scie, pompe, malaxeuses, etc. semoirs mécaniques, distributeurs d’engrais ». La physionomie de nos paysages a complètement changé, car le machinisme autorise la culture d’espaces immense dont il devient possible d’éliminer toute végétation naturelle, tout arbre. Vu du ciel, la terre crée par le machinisme devient ces carrés nets, cet espace parfaitement géométrique qui n’a rien à voir avec la disposition naturelle du paysage, mais à tout à voir avec l’objectivation complète de l’exploitation de la terre. Cette géométrie des paysages est typique de la rationalisation technique.
2) Les machines de transport ont connu un immense développement. L’homme circule sous terre sur terre, et au dessus de la terre au moyens de machines de plus en plus rapides, si bien que la distance naturelle s’abolit et se mesure aux performances des moyens de transport. D’où le bouleversement des paysages qui en résulte et celui des conditions de vie. La multiplication de l’automobile fait sauter les cadres des grandes cités conçues autrefois à l’échelle de l’homme. Désormais, l'aménagement du territoire est pensée en fonction de la place qu’y occupe l’automobile. Il faut faire des parkings ! L’urbanisme compose avec cette nécessité et impose ces tracés immenses d’autoroutes partout sur la terre et un style de construction qui est parfois pensé d’abord pour l’accès automobile.
---------------3) Les
machines de la communication se sont développées pour connaître une expansion croissante. Elles ont radicalement modifié notre rapport au temps, en réduisant les délais de transmission de l'information. Le téléphone a été une révolution sociale, comme la télévision et la communication par modem sur ordinateur. Ce sont du coup toutes les relations humaines qui se sont par là modifiées. La distance de la rencontre d’autrui peut-être abolie, la planète es sillonnée en tout sens de communication dans ce que l’on a nommé un espace virtuel où tout communique maintenant avec tout. L’apparition d’Internet est l’ouverture d’un monde sans frontières étatiques où l’information n’est plus soumise à la censure des états.
4) Comme l’explique G. Friedmann, la mécanisation du travail a aussi entraîné avec elle la mécanisation du loisir. Nous vivons dans le monde des machines de loisir. La télévision a profondément changé notre manière de percevoir le monde, elle a apporté le triomphe incontesté de l’image, la facilité de la mise à la disposition à domicile du divertissement. Nous sommes assailli de machine de plaisirs de consoles de jeux, de machine ludiques de toutes sortes. On construit partout des parc d’attraction et il semble que la logique des choses veut que le lieu familial ,devienne lui aussi une sorte de parc d’attraction pour des enfant sustentés par des machines à jouer. L’industrie du loisir connaît une expansion grandissante.
5) Enfin, à tout cela s’ajoute aussi l’inflation grandissante des objets techniques qui nous entourent. Tels sont par exemple les objets fournit par ce que l’on nommes les « arts ménagers » qui font que la ménagère à la maison passe sa journées à aller d’une machine à une autre : de l’aspirateur à la machine à laver, du lave vaisselle au robot batteur, de la cafetière électrique, au sèche-cheveux. Ces machines ont été inventées crée pour satisfaire des besoins multiples, de telle manière que l’on ne sait plus parfois si le besoin était là auparavant ou s’il n’a pas été suscité par l’apparition de la machine. Il y a cependant partout dans ce développement une logique implicite, celle du moindre effort et de la paresse : entre la tondeuse à gazon thermique, la brosse à dent électrique, le coupe-pain électrique, le ramasse-miettes etc. il y a un seul souci, supprimer la fatigue et inviter à la passivité en laissant faire la machine. On s'imagine assez bien le prolongement futur de cette logique, dans une humanité en fauteuil roulant, manipulant un clavier et quelques boutons pour faire apparaître l'objet de ses désirs. C'est ce que montre Barjavel dans Le Voyageur imprudent. A force de délaisser le corps physique et de confier toute action à des prothèses technologique, le corps sera entraîné dans une mutation vers l'ectoplasme ! D'autant plus que, dans la production technique, telle que nous ne voyons sous nos yeux, nous ne discernons même plus clairement l’intérêt de toutes ces machines. Les objets techniques peuvent se distinguer en deux catégories, les objets utilitaires et les gadgets. Or, comme le dit Michel Henry, la technique semble proliférer d'elle-même, comme se développe les cellules du cancer, bien au-delà de l'utilité à laquelle elle devait répondre. L’hyperdéveloppement technique déborde de son cadre utilitaire dans une production d’objets purement ludiques. Les frontières s'abolissent. Bien des appareils dont nous servons ne sont après tout que des gadgets dont nous pourrions fort bien nous passer. De l’objet technique sous la forme de machine qui conserve une relative utilité, on passe sans transition au gadget. Le gadget postmoderne, c’est de la technique à vocation futile et gratuite : comme si faire rire, fabriquer le dérisoire et tourner en dérision était une finalité pour une technique en mal de nouveaux débouchés. Dans le sens commun, cela se traduit par la formule « on ne sait plus quoi inventer ! » Voyez Jacques Ellul Le Bluff technologique.
Ce tour d’horizon nous montre que la technique n’est pas restée enfermée dans son cadre d’origine, celui de la production industrielle, elle est maintenant partout. Elle est à se point omniprésente qu’elle s’interpose constamment entre l’homme et la Nature, entre l’homme et l’homme et même entre l’homme et sa propre intériorité, puisque l’on fait aussi dans les tendances new-age des machines pour provoquer des expériences intérieures ! Le rapport naturel de l’homme au réel est donc modifiée ou même détruit et se voit remplacé par un rapport artificiel créé de toutes pièces par les moyens de la technique Nous voyons le monde à travers la télévision, les images vidéo, nous pensons le monde à travers notre puissance technique de transformation de la Nature. Nous nous représentons l’intériorité à travers l’usages d’instruments techniques. Nous imaginons à travers les représentations futuristes que la technique nous découvre. La pensée, la parole, l’action, l’imagination, la sensibilité de notre temps vivent sous influence de la technique. Est-ce à dire que la technique est devenue une manière de penser? Ou bien est-ce qu'elle est là pour nous dispenser de penser? (leçon)
* *
*
Le savoir-faire traditionnel demeure, il existe dans sa permanence propre à côté de la technique, mais il ne procède pas de la représentation du monde qui est devenue la nôtre, comme monde de la science et de la technique. Il ne procède pas de la même source, de la même vision de la nature. Il peut y avoir technique là où il n’est pas de science, mais il n’est cependant pas de technique sans un savoir empirique.
Mais en fait, la vraie question n’est plus de savoir s’il existe une technique en dehors de la science, mais de savoir ce que devient notre monde de part en part manipulé par la technique. Le stade auquel nous sommes rendu est celui où il n’est même plus nécessaire de promouvoir la technique. La technique a acquis de fait une suprématie qui est, dans la conscience collective, incontestée. Mais elle a aussi acquis son autonomie propre de développement. Ce qui est assez inquiétant.
Plus importante paraît alors la question de savoir pour quelles fins on l’utilise. L‘esprit du technicien est il compatible avec une vision étroite, ou l’absence de sens moral ? La technique est elle au service d'une volonté de puissance que nous ne soupçonnons pas? La technique, au sens du savoir-faire est par nature faite pour livrer des astuces, des recettes, peut-elle constituer une forme de culture ? La technique nous instruit-elle quant au sens que nous pouvoir donner à la vie ?
* *
*
Questions:
1. L’histoire de la science occidentale n’est-elle pas précédée par celle des inventions techniques ?
2. La motivation du savoir pour le savoir peut-elle rendre raison du développement de la science en occident ?
3. Est-il concevable que dans une culture traditionnelle il y ait une pratique, dans une représentation ayant une portée explicative, même si elle n’a par une valeur scientifique ?
4. Faut-il considérer la connaissance des plantes chez des peuples traditionnels, comme au Mexique ou en Inde comme de simple pratique « sans science » ?
5. Comment comprendre l’interaction entre la technique et l’économie ?
6. Faut-il faire des motivations militaires une catégorie à part pour rendre compte du développement de la technique ?
7. L’ère du gadget n’est-elle symptomatique de l’esprit qui semble guider la technique ?
© Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.
Accueil.
Télécharger,
Index thématique.
Notion.
Leçon suivante.
Le site Philosophie et spiritualité autorise les emprunts de courtes citations des textes qu'il publie, mais vous devez mentionner vos sources en donnant le nom du site et le titre de la leçon ou de l'article. Rappel : la version HTML n'est qu'un brouillon. Demandez par mail la version définitive..