Leçon 48.   Raison et religion       

    Pour L’homme religieux, explique Kierkegaard, la Foi est une sorte de saut dans l’irrationnel : je crois parce que c’est absurde. Pascal ne voyait d’entrée en religion que par une humiliation de la raison : « c’est le cœur qui sent Dieu et non la raison ». « Abêtissez-vous faites dire des messes », vous n’aurez pas la foi, car la foi est une grâce de Dieu, mais du moins serez vous meilleur en tant qu’homme, parce que vous De la religion à la spiritualitéserez chrétien. On connaît aussi la formule de Kant dans la Critique de la raison pure : « j’ai du abolir le savoir pour lui substituer la croyance ».

    Mais faut-il nécessairement annihiler la raison pour justifier la démarche de la religion ? Nier la raison, c’est justifier aussi le fanatisme, ce qui est socialement impossible. Il n’est pas nécessaire de concevoir une opposition aussi radicale entre raison et religion. Personne ne peut accepter de remettre son esprit à l’arbitraire. Il faut bien que l’intelligence ait part à l’acte de la foi et que la religion garde un sens aux yeux de la raison.  Dans quelle mesure la religion peut-elle être justifiée au regard de la raison ?

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A. La foi au dessus de la raison

    Par foi on entend en Occident une adhésion à un credo, à ce que l’on nomme les vérités de la foi , adhésion qui relève d’un acte de croyance nécessaire au salut de l’homme. Il est admis que l’homme religieux est celui qui a la foi, tandis que le païen n’a pas la foi. Quel est donc le discours de l’homme de foi pour justifier l’idée de « vérités de la foi » ?

    L’homme religieux est celui qui effectue le saut de la croyance, qui est, comme l’explique Pascal, une sorte de pari sur sur Dieu, pari où nous aurions tout à gagner, la vie éternelle, et peu à perdre, notre misérable existence limitée. Les vérités de la foi ne sont pas les vérités de la raison. Les vérités de la raison sont celles que tout esprit peut reconnaître par la seule lumière naturelle de la raison. L’évidence en mathématique qui me permet de reconnaître que 2 + 3 = 5 ne demande rien d’autre, qu’une intelligence claire et distincte. Par définition l’évidence est sa propre marque et n’est suspendue à aucune attitude de croyance. Par extension, le savoir est compris comme l’ordre des connaissances rationnelles, c’est-à-dire redevables seulement de la raison. Il est donc présupposé que les vérités de la foi ne comportent pas d’évidence, voire sont incompréhensibles au regard de la raison. La Passion du Christ, la virginité de Marie, les miracles, constituent un défi que la raison ne peut relever et il est dès lors possible de penser que devant la foi, la raison ne peut que s’incliner. Saint Thomas a ainsi pu dire en ce sens que la philosophie doit ...

    ---------------Plus exactement, cette dissociation aboutit à la formulation de deux types de théologies. On appelle théologie révélée, un corps de doctrines relatives au divin, dans sa nature, sa relation à l’homme et au monde tel qu’on les trouvent formulées dans l’Écriture. De là suit qu’il y a autant de théologies que de formes d’Écritures sacrées : il y a une théologie catholique, protestante, islamique, judaïque, adventiste etc. La Révélation est l’Écriture en tant qu’elle est dite émaner directement du divin et non de l’homme. On appelle théologie rationnelle un corps de doctrines relatives au divin, mais qui dépendent des possibilités de spéculation de la raison humaine. Il peut y avoir une théologie rationnelle qui se rattache à une révélation, par exemple celle que l’on rencontre chez Saint Augustin ou Saint Thomas d’Aquin, ou qui ne se rattache à aucune révélation, par exemple celle que l’on rencontre dans des systèmes philosophiques comme ceux de Platon ou de Spinoza. La théologie rationnelle laisse donc place à un discours sur Dieu, mais non en tant qu’elle se rattache à une religion donnée, elle entend aussi en faire dépendre le contenu de la Révélation qui elle ne peut se discuter.

    L’accent mis sur la foi dans un credo, (texte) dans les religions sémitiques, fait que celles-ci se trouvent placées devant la difficulté  de convaincre rationnellement de leur validité, au regard du profane. La foi n’est pas affaire de conviction rationnelle, mais d’une persuasion intime qui est l’acte décisif de la croyance. Cela explique d’une certaine manière la violence du prosélytisme, cherchant à faire plier une volonté devant la foi. L’inquisition imposait « tu crois ou tu meurs ! » On exigeait du mécréant qu’il fasse le saut de la croyance, saut que la raison ne peut justifier, et que le dialogue ne pourrait pas assurer. On ne peut que le persuader de le faire pour le Salut de son âme. Si le fidèle accomplit sa « profession de foi » en répétant les articles de la foi, il fait ce saut qui fait de lui un homme religieux. La différence païen/chrétien, l’infidèle/fidèle, incroyant/croyant tient essentiellement à ce saut périlleux de la foi. Cela ne se discute pas : on croit ou on ne croit pas. Les vérités de la foi impliquent une confiance absolue dans l'Écriture, et une confiance renouvelée dans son médiateur sur terre qu’est le Sauveur et son Église. Ce que l’Église enseigne et conserve, ce sont donc des dogmes qu’il s’agit de reconnaître et non de justifier. Les Évangiles vont dans ce sens quand elles s’adresse aux hommes « bienheureux les pauvres en esprit, car ils verront Dieu ». Cela sous entend que parmi les hommes, les « esprits forts » ne pourront pas connaître Dieu. Les « esprit forts » doivent renoncer à l’orgueil de la raison. Humilier la superbe de la raison est un préalable. (texte) La raison doit plier les genoux devant le Créateur, car dans cette humiliationelle trouvera l’humilité qui est la qualité première du fidèle de l’Église. L’ascétisme est cette volonté de contrainte, par laquelle le religieux s’efforce de soumettre la raison. Comme il est admis que la raison cultive l’amour-propre, il s’agit aussi de le mortifier, ce qui revient à nier les valeurs de la chair, pour sublimer les valeurs de l’Esprit. D’où la pratique de la pénitence, du jeûne, de la flagellation rituelle, d’où cette ceinture d’épines que Pascal portait constamment sur lui.

    La conversion religieuse est donc un acte qui ne repose pas sur une décision de la raison, c’est une adhésion émotionnelle, l’acte de foi dans le Sauveur (Jésus, Mahomet), et sa Doctrine (L’évangile,  le Coran). Le converti rompt avec le païen qu’il a été, avec le désordre moral du « vieil homme » et trouve la joie de se sentir membre d’une communauté de fidèles, de ceux qui sont auprès de Dieu, il se sent un « homme nouveau », un homme régénéré par la foi. La conversion le délivre des interrogations les plus difficiles sur l’Origine de l’existence, car la Doctrine elle là pour indiquer les réponses de Dieu aux hommes. Il peut même, comme on le voit chez Pascal tournant en dérision le projet de Montaigne, être délivré de la nécessité de chercher à se connaître : ce serait une forme de concupiscence. Il se délivre de la solitude de la condition humaine en entrant dans la communauté de son Eglise. Il est délivré de l’incertitude qui accompagne la raison, car la révélation répond à ses interrogations. Il est délivré des incertitudes morales, car il a moyen de déterminer ce qui est Bien et ce qui est Mal en suivant les interdits et les préceptes de la religion. Cela ne veut pourtant pas dire qu’il s’installe dans une position confortable, puisque aucune assurance absolue ne peut-être donnée à son intelligence : elle passe la raison. La force qu’il tire des vérités de la foi est celle

 

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    © Philosophie et spiritualité, 2001, Serge Carfantan.
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