Leçon 307.   Théorie du complot et conspiration       pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

Pour ceux qui ont quelque mémoire historique, la période de la guerre froide, avec le sinistre épisode de Cuba de la baie des cochons invite à quelques rapprochements. Aux Etats-Unis il était d’usage de balayer toute critique du capitalisme libéral en traitant l’adversaire d’un seul mot assassin : « communiste ! ». C’est toujours le cas aujourd’hui chez les républicains pour qui traiter les démocrates de « socialistes ! » ; une insulte de premier choix, une manière d’envoyer valser l’opposant à partir du paradigme raison/tort, argument rhétorique et attaque ad hominem.

Le même schéma se reproduit dans l’usage banalisé du terme complotiste. « Nous autres dans la doxa officielle vidéonous avons raison et ceux qui s’y opposent ont tort et sont des complotistes » et hop, on recommence l’argument ad hominem qui permet d’être complètement sourd à toute critique en balançant en pleine face une attaque personnelle. Celui qui n’est pas d’accord avec la doxa officielle est forcément un complotiste ! Philosophiquement, nous sommes avertis, celui qui se défile d’une discussion fondée sur la raison pour déraper dans l’attaque personnelle trahit sa médiocrité intellectuelle. On peut être ministre, médecin, universitaire, journaliste, c’est du pareil au même, l’argument est nul et non avenu. Ce qui compte ce sont les faits, la logique, les raisons, les preuves, pas les personnes.

Maintenant, c’est une autre paire de manches que de passer d’une critique légitime, argumentée et informée à l’idée d’un complot organisé, d’une conspiration. A fortiori un « grand complot ». Cela ne se règle pas en deux trois arguments dans une conversation de comptoir, mais nécessite de très longues analyses solidement étayées, bref, une véritable démonstration. Posons donc qu’un véritable théoricien du complot serait celui qui dénonce, preuves à l’appui, l’existence d’un complot.  C’est à tort que l’on emploie la formule « théorie du complot » pour désigner n’importe quelle élucubration de cerveau échauffé. Gardons la noblesse de la notion de théorie pour l’envisager comme théorie critique. Un modèle : Il faut 640 pages à Naomi Klein dans La stratégie du choc pour démontrer de manière convaincante que l’ultralibéralisme a été une véritable conspiration de l’oligarchie financière contre le bien commun des peuples sur cette planète. Cela n’a rien à voir avec la stupidité d’une attaque personnelle et c’est un modèle à prendre très au sérieux.

La question mérite donc d’être clarifiée. En résumé, sous la forme d’une question : Dans quelle mesure pouvons-nous justifier, en dehors d’un simple jeu rhétorique l’existence d’une conspiration ?  

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A. Le complotisme du côté de la déraison

Cela n’échappe à aucun enseignant du secondaire, au lycée les élèves adorent les « théories du complot », mais justement… pas du tout les théories du complot comme nous venons de les définir. Ce qui les amuse beaucoup, c’est une manière de jouer aux esprits forts en proclamant que derrière les faits d’actualité, il y a des puissances occultes, des machinations de grande ampleur, comme on en voit au cinéma avec les superméchants manipulateurs. Les reptiliens extraterrestres sont parmi nous ! Les satanistes nous dirigent ! Ils sont cachés derrière les vedettes du cinéma et du show business. Il n’y a qu’à regarder les clips vidéo. Chercher les symboles cachés. Le chiffre de la Bête. La pyramide des Illuminati sur les billets d’un dollar etc. En cherchant bien on trouve toujours ce que l’on cherche quand on y croit très fort. Avec les ressources visuelles d’internet c’est très facile. Il y a des milliers de sites complotistes et le cinéma joue la carte à fond dans des chorégraphies hautes en couleur plus vraies que de vrai. Bref, du spectacle, rien que de très banal c’est très rock and roll d’être complotiste, comme c’est très tendance de se grimer façon punk pour faire de la provoc’ en utilisant l’arsenal symbolique des religions. Le complotisme est très culturel, postmoderne autant qu’il est outrancier, ludique, une manière de se montrer, de se croire très malin, de faire peur en imaginant toutes sortes de coups tordus derrière l’actualité. Une philosophie du soupçon, comme chez Nietzsche et Freud, mais poussée à l’extrême.  Rien à voir avec une démarche réflexive critique assumée et argumentée. Rien à voir avec une réelle affirmation de soi lucide et décidée face au mensonge, plutôt une sorte de posture convenue tirée d’un imaginaire de série télé à la X-files. En fait très conformiste dans l’ère postmoderne, exactement comme le tatouage est conformiste, comme il est conformiste de se délecter de game of throne qui est par excellence un narratif complotiste.

1) Maintenant, quelle est alors en substance la critique la plus sévère qu’on adresse aux complotistes ? Que ceux complotismequi s’y adonnent sont dans un grand délire. Là nous devons impérativement nous arrêter sur ce qui semble un dysfonctionnement mental. Que disons-nous des gens superstitieux ? Qu’ils passent leur temps à interpréter la réalité en y projetant leurs inquiétudes. Si je fais une fixation quasi-obsessionnelle sur l’idée que je suis victime d’un complot le danger est là partout autour de moi, il est évident que j’aurais tendance à voir partout des « signes » de menaces dont je suis l’objet. Les trois corbeaux qui sont passés devant la voiture ? Mauvais signe ! La mort rôde autour de moi. Le chat noir vu au matin ? Un malheur va m’arriver etc. Le mental qui est hanté par la peur réplique sa représentation dans une soi-disant « reconnaissance » de signes extérieurs… qui la confirment. Il interprète constamment la perception dans un sens orienté par ses propres projections. Tant que la projection domine l’inter­prétation, il y a peu de chance qu’elle ait une quelconque valeur. C’est une construction mentale d’un esprit abusé par sa propre production d’illusions.

Allons un cran au-dessus. La psychopathologie connaît bien les formations extrêmes de ce pli du mental dans les délires d’interprétation. L’exemple le plus remarquable est le délire paranoïaque (texte). En effet, dans la paranoïa, le sujet est enfermé dans une bulle de constructions mentales nouées autour de la peur. Dans sa relation avec autrui, les détails des expressions vont très rapidement prendre la valeur de « signes » auxquels il attache la plus grande importance, persuadé qu’ils le concernent en propre. Comme le superstitieux, le paranoïaque voit des « signes » partout. Des complots partout. Freud dit à ce sujet : « Les paranoïaques présentent dans leur attitude ce trait frappant et généralement connu, qu'ils attachent la plus grande importance aux détails les plus insignifiants, échappant généralement aux hommes normaux, qu'ils observent dans la conduite des autres ; ils interprètent ces détails et en tirent des conclusions d'une vaste portée. Le dernier paranoïaque que j'ai vu, par exemple, a conclu à l'existence d'un complot dans son entourage, car lors de son départ de la gare, des gens ont fait un certain mouvement de la main. Un autre a noté la manière dont les gens marchent dans la rue, font des moulinets avec leur canne, etc. ». Le geste des membres de la famille sur le quai de la gare est surinterprété par le paranoïaque, il projette ce qui ne s’y trouve pas, mais se trouve dans son propre esprit, l’idée d’un complot contre lui. Or, ce qui est remarquable, c’est que dans l’état où il se trouve, il se croit justement très… perspicace ! Il est persuadé de voir ce que personne ne remarque ! Donc d’être bien plus intelligent que la moyenne… et même plus que le docteur qui le soigne !  Et quand l’esprit est entiché d’une telle fixation obsessionnelle, il est difficile, voire très difficile de l’en faire sortir ! Il s’est enfermé dans sa propre représentation, dans une interprétation du monde manichéiste qu’il refuse de relativiser, mais qu’il maintient contre toute réfutation. Il est étonnant de constater à quel point le mental peut développer une folle créativité pour persister à maintenir son système de croyance. Ce qui devient terrible dans la paranoïa. Voilà pour la critique.

2) Et c’est ce qui constitue la faiblesse psychologique du complotisme. Sa déraison. Nous devons être très lucide sur ce point. C’est vrai. Si le seul ressort argumentatif du complotisme est une projection délirante sur la réalité, alors il faut avoir le bon sens de le regarder pour ce qu’il est, une pensée dysfonctionnelle. Malheureusement, aux temps postmodernes, ce type de pensée dysfonctionnelle est non seulement toléré, mais est encouragée e peut fonctionner comme une rumeur dans les réseaux sociaux. Quand on a la tête uniquement dans le virtuel et pas les pieds dans le réel, quand la peur de vivre rode, il y des chances que justement on perde pieds et que l’immersion dans le virtuel contribue à la déraison. De plus, comme nous l’avons signalé en passant, il y a en plus en Occident un ressort culturel ancien très puissant qui peut alimenter le complotisme : l’eschatologie des religions monothéistes. En effet celles-ci accentuent fortement le manichéisme de la pensée : la dualité bien/mal, dieu/diable, les forces du bien/les forces du mal etc. Une pensée binaire de ce type abolit la riche complexité du réel et son unité. A la racine de l’idée de complot, elle invite une représentation paranoïaque de la réalité. Ce n’est donc une surprise pour personne que de constater que les intégristes religieux ont une très forte propension au complotisme parano… sinon ils ne seraient pas intégristes ! Leur système de croyances est déjà complotiste à l’origine, ils se figure un Dieu colérique en bute à un diable encore plus puissant qui infecte de ses manigances les affaires du monde. Le Malin est donc partout. Le monde est mauvais, la nature est pervertie, la bonté n’est qu’au Ciel, ici-bas il n’y a que conspiration de l’Ennemi. Peut-on imaginer climat plus propice à une paranoïa conspirationniste ? Il suffit de suivre les idées de l’apocalypse de Jean et le tour est joué. On verra des complots partout.

Reconnaissons pourtant que ce type de critique est sévère, excessif même. Par trop de psychologisme. Il faut se placer avant tout sur le terrain factuel de la vérité au lieu de systématiquement faire comme si celui qui avance une vérité qui dérange devait avoir l’esprit dérangé. Pour sa défense, après tout, à condition de ne pas être portée par une tendance parano, le complotisme a aussi du bon ; quand bien même il serait confus, il dénote la présence du doute et de l’esprit critique. Il est possible de le dégager de la gangue des croyances affolées et des projections abusives. C’est ainsi que l’on peut voir en classe de terminale l’élève complotiste au début affuter son intellect et se révéler au final Socratecapable d’une réflexion personnelle critique et argumentée. Ce qui peut s’apprendre. C’est tout de même mieux que la non-pensée qui ne fait que s’aligner sur la doxa et répéter des lieux communs, sans jamais interroger de manière sérieuse. Il faut oser douter et remettre en question. Mais pas dans un grand délire, non, de manière posée et méthodique.

     Mieux : en y réfléchissant, en un sens, Socrate était le premier des théoriciens du complot parce qu’il n’hésitait pas à questionner le réel ! Et cela dérangeait…Et les sophistes ont monté un complot contre lui…Pour le mettre à mort. Ce qui devrait nous faire réfléchir. La philosophie commence par le doute et la remise en question des apparences. Être a priori anti-complotiste est philosophiquement absurde. Cela reviendrait à encourager la crédulité vis-à-vis de la doxa.

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