Leçon 5.   Maîtrise et satisfaction des désirs    english flag      

    Que nous conseille l'opinion quant à la conduite à tenir vis-à-vis du désir ? La postmodernité flatte la recherche du plaisir. "Vivre ses désirs" est une formule publicitaire assez banale. Nos mœurs n'ont pas une forme répressive, ils sont plutôt très largement laxistes. Nous partageons l’opinion selon laquelle le bonheur, c’est la satisfaction de tous les désirs. La libération sexuelle a enseigné qu'il ne fallait surtout pas réprimer  le désir, exprimer ses désirs et se borner à les suivre. Celui qui voudrait réprimer ses désirs serait vu en notre monde comme une sorte d'exception étrange à une règle commune qui enseigne tout le contraire.

    Pourtant, de loin en loin nous faisons aussi l’expérience de ce que la multiplication des désirs engendre aussi l’insatisfaction, le dégoût et l’ennui. " Plus le désir avance, plus la possession véritable s’éloigne ". Fatigués de désirer en restant mécontents, nous serions presque en désespoir de cause tentés de dire avec Proust : " si le bonheur ou du moins l’absence de souffrance peut être trouvé, ce n’est pas dans la satisfaction, mais dans la réduction, l’extinction progressive finale du désir qu’il faut chercher ". L’ascétisme serait alors la véritable morale du désir. (texte) La question est donc :  le bonheur est-il dans la réalisation ou dans la suppression des désirs ?

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A. Volupté des désirs et satisfaction

    ... s'effondrer sur un canapé et dire ouf ! J'ai enfin réalisé tous mes désirs ! Que serions-nous en effet sans la poursuite incessante des désirs?  Rousseau dit en ce sens : " l’homme qui n’a rien à désirer est à coup sûr plus malheureux que celui qui souffre ". 

    1) Partons de là. Si vivre, c’est seulement désirer, ne plus désirer, c’est ne plus vivre. C’est là une expérience très humaine. Le désir est humain (texte). Il est même l’essence de l’homme explique Spinoza. La violence du désir peut inquiéter, mais une morale qui chercherait à supprimer le désir ressemble à une sorte de suicide. Si vivre c’est désirer, cesser de désirer c’est en quelque sorte mourir. Nier le désir, ce serait en même temps nier notre affirmation, notre volonté d'être. Il est même impossible de vouloir supprimer le désir. Ce serait être confronté avec une contradiction insoluble : désirer ne pas avoir de désir ! (texte)

    Nous n’éprouvons pas de difficulté à justifier notre perpétuelle quête de satisfaction dans nos désirs. Seulement, il y a ceux qui osent désirer et ceux qui n'y parviennent pas et n'ont d'autre solution que de se restreindre. Pensé sous la forme d’une alternative, cela revient à distinguer les forts qui satisfont leurs désirs et les faibles qui sont incapables de les satisfaire. La répression du désir paraît tellement contre-nature qu’elle ne peut-être que le fait d’un esprit faible. Il faut être timoré, timide, contraint, inhibé pour avoir ainsi tellement peur de ses désirs qu’on ne trouve d’échappatoire que dans leur mortification. Le faible renie ses désirs et adopte une conduite d’impuissance qui le voue au ressentiment et à l’insatisfaction. Le fort libère ses désirs, leur donne libre cours et les mène à la satisfaction. C’est ainsi que Balzac présente dans La Comédie humaine l’homme de génie : " Il désirait comme un poète imagine, comme un savant calcule, comme un peintre crayonne, comme un musicien formule des mélodies... Il s’élançait avec une violence inouïe, et par la pensée, vers la chose souhaitée, il dévorait le temps. En rêvant l’accomplissement de ses ---------------projets, il supprimait toujours les moyens d’exécution". Le cinéma et la littérature contemporaine célèbrent cette fébrilité, cette exaltation du désir. Désirer, pour nous autres, hommes de la postmodernité, implique de vivre pleinement ses désirs, c’est être déjà là où on le désire, être ce que l’on a désiré et rien d‘autre. Chez Balzac, c’est faire coïncider la volonté, le désir et le monde : une foudroyante possession de l’univers : la volonté de puissance à l'œuvre. Le désir est l’ardeur de l’âme forte, c’est la substance même du héros. De ce héros du désir, Balzac écrit :

   

.. l’obstacle d’une morale répressive avec l’ensemble de ses règles, il faut avoir assez de force, d’audace et d’orgueil pour être capable de la renverser. Rejeter toute morale et désirer sans frein, sans limite, voilà ce qui fera une nouvelle morale ! Lisons Gide à ce propos : " Il fallait pour un temps, accepter le rejet de toute morale et ne résister plus aux désirs. Eux seuls étaient capables de m’instruire. J’y cédais ". Quelle est la meilleure règle à suivre? Celle qui vous conseille d’aller contre la morale, de placer l’épanouissement du vital au-dessus des règles morales !

    2) Dans le Gorgias de Platon, Calliclès, (texte) l'homme-vital par excellence, n’a pas d’hésitation : " Voici ce qui est beau et juste suivant la nature je te le dis en toute franchise, c’est que, pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses passions tout l’accroissement possible, au lieu de les réprimer, et, quand elles ont atteint toute leur force, être capable de leur donner satisfaction par son courage et son intelligence et de remplir tous les désirs à mesure qu’ils éclosent ". Qu’aimons-nous dans le cinéma si ce n’est cette représentation d’êtres humains qui osent vivre leurs fantasmes sans les limiter ? Pouvoir aimer (contre la morale sociale), pouvoir gagner de l’argent (contre les convention sociales habituelles), pouvoir tuer (contre l’interdit moral), dans une sorte d’apothéose des images et de force nous fascine. Les feuilletons télévisés mettent en image cette extase multiforme du désir. On y voit cette libération virtuelle frénétique des désirs que nous autres, en tant qu’individus réels, nous ne pourrons jamais réaliser : une star qui libère sa sexualité contre la morale sociale, l...

    Où serait Calliclès s’il venait à s’incarner dans notre monde ? Dans la politique ? La finance ? Les affaires ? Le show business ? Il serait à coup sûr très à l’aise dans notre époque. Elle est taillée à sa mesure. Il retrouverait dans les tendances postmodernes l’écho de son propre cynisme de la force. Comment pourrions-nous reconnaître " cette prétendue beauté de la justice et de la tempérance ", quand, dans notre for intérieur nous pensons  : " je veux faire ce que je veux, et surtout ne rendre de comptes à personne. Tempérer mes désirs ? Ce serait les frustrer !  Que l’on ne me parle pas de morale, ce sont encore des restrictions que l’on voudrait m’imposer !". Que dit Calliclès à ce propos ? " La vérité que tu prétends chercher Socrate la voici : le luxe, l’incontinence et la

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Vos commentaires

Questions:

1. Quelles relations y a-t-il entre désir et volonté de puissance?

2. Quelle est l'origine de l'avidité du désir?

3. En quoi consisterait l'art de désirer, s'il était l'expression d'une simplicité volontaire?

4. En quoi la métaphore du tonneau percé est-elle une bonne illustration du problème de la maîtrise du désir?

5. D'où vient la vanité attaché à certains de nos désirs?

6. Le mot épicurien est souvent employé à tort et à travers, quelle est la différence entre ce qu'enseignait Épicure et ce qu'on voudrait lui faire dire aujourd'hui?

7. En quoi le désir a-t-il besoin d'être constamment éduqué par la réalité?

 

    © Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan. 
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