Leçon 171.  Les désirs de l’ego      

    Enfants nous avions parfois des élans qui faisaient s’envoler nos désirs pour embrasser la Terre entière. Nous aurions voulu la disparition de toutes les guerres, de toutes les horreurs perpétrées par l’homme, nous désirions un monde fraternel, une planète magnifique, des visages heureux dans un univers radieux. Quand le désir a cet élan, il n’est pas dans le registre des désirs habituels de l’ego, il est plus vaste et le moi n’y regarde plus à son seul intérêt. Il est légitime en ce sens de dire qu’il existe un ordre du désir qui n’est pas « personnel » en ce sens.

    Nous avons vu que les désirs de l’ego viennent immanquablement  de ses manques, de ses frustrations secrètes, de la projection de ses attentes. Il nous est aussi apparu qu’il  y a certainement un rapport entre les désirs de l’ego et son passé douloureux. Est-ce à dire que les désirs de l’ego sont conditionnés par le passé ? Les désirs de l’ego peuvent-ils jamais être libres ? Ne sont-ils pas insatiables par nature ?

    Ne peut-on reconnaître les désirs de l’ego à ce caractère qu’ils relèvent d’une histoire personnelle qui a ses racines dans notre passé ? Ne désirons-nous pas toujours par rapport au passé ? Si c’est bien le cas, les désirs de l’ego relèvent de la compulsion. A quoi rime ce processus et vaut-il la peine d’être poursuivi une fois qu’il a été reconnu comme tel ?

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A. Les traces du passé et les désirs

    Que nos désirs puissent naître par une sorte de génération spontanée, libre de tout passé, en n’ayant pour maître artisan que notre raison souveraine est depuis l’hypothèse freudienne de l’inconscient, une opinion très suspecte. On doit effectivement verser au crédit de la psychanalyse le mérite d’avoir montré que nos désirs sont très largement dépendants de notre expérience passée. Par contre, faire intervenir systématiquement la sexualité, comme Freud le propose, n’est pas nécessaire pour avoir une idée claire de cette relation.

     1) Revenons sur l’exemple attendrissant de Descartes et de « la jeune fille louche ». Descartes reconnaît que le désir qui l’attirait vers les jeunes filles affectées d’un strabisme trouvait sa source dans une expérience passée dans laquelle il était tombé amoureux d’une jeune fille qui louchait. (texte) Descartes reconnaît la liaison intime entre le désir et le passé et il concède que la part de la raison a été ensuite de reconnaître ce défaut pour ne plus en être affecté. L’attirance qui fait naître le désir est donc ici liée inséparablement à une tendance qui a été inscrite comme trace dans la mémoire auparavant, si bien que le désir est en fait une répétition du passé. Le mental, dans son fonctionnement normal, ne le sait pas. Il est inconscient. Cependant, au milieu de cette inconscience ordinaire, la pensée, s’appuyant sur le passé, sollicite le désir qui est désir de retrouver l’émotion première et de la revivre à nouveau. L’action de l’intelligence à l’égard des désirs de l’ego est de reconnaître la provenance du désir. Le fait que le désir soit mis en lumière contribue à ce qu’il ne soit plus nourri, ou encore, à ce qu’il ne pilote plus inconsciemment le sujet dans le domaine de la vigilance. Il faut ici insister sur une formulation : le désir a ses racines dans le passé. Les racines par nature, sont cachées et plongent loin en profondeur pour chercher de la nourriture.  

    La séquence de la création du désir se déroule donc ainsi : tout commence dans l’expérience. L’expérience résulte du contact des sens avec l’objet. Elle peut être agréable, désagréable ou neutre. Du côté des extrêmes, dans l’état normal de conscience, le contact des sens avec l’objet crée une impression dans l’esprit. Comme une rayure inscrite dans la pierre. Une marque. Celle-ci ne peut rester isolée. L’esprit n’est pas fragmenté, il forme un tout. L’impulsion qui est en jeu dans l’impression fait que celle-ci entre en résonance avec une expérience antérieure similaire qui a été conservée dans la mémoire. Elle s’associe avec elle. La fusion de deux impressions produit une impulsion qui surgit d’un niveau plus profond, là même où sont conservées les impressions de toutes les expériences antérieures. Ce niveau est communément appelé inconscient. L’inconscient est pour l’essentiel la trace du passé en moi. Dans ce processus, l’impulsion se développe, et, parvenant au niveau conscient de l’esprit, elle est finalement perçue en tant que pensée. La pensée, obtenant en quelque sorte la sympathie des sens, crée un désir qui met ensuite les sens en action. Cette pensée qui surgit des profondeurs troubles de l’esprit n’est pas vraiment consciente. Elle est cueillie en surface, mais d’ordinaire, le moi y est si fortement impliqué qu’il ne sait rien de sa provenance. C’est un peu comme une bulle qui serait née dans les profondeurs d’un lac, qui aurait affectée par des remous et ne serait reconnue comme présente que quand elle fait « ploc ! » à la surface. Quand nous disons que le désir met les sens en action, à y regarder de près est en réalité il faudrait parler plutôt de ré-action qui sourd des profondeurs de l’inconscient. La soi-disant action est imprégnée de l’aura de nostalgie qui teinte la mémoire, du parfum d’une aspiration du passé. En fait, à la base de la création du désir, il y a un sentiment de manque et c’est à travers ce sentiment de manque que le sujet s’est identifié au processus du désir. Le sujet identifié au désir trouvant son origine dans le passé est l’ego. L’ego est le sujet pour autant qu’il est en quelque sorte hypnotisé par le trouble d’un passé, le vague à l’âme d’un manque secret qu’il veut chercher à combler. La conscience de l’ego est par nature baignée d’inconscience. Tout désir né du passé est donc conditionnel. Il fait partie du conditionné. Il met en scène un conditionnement sous la forme d’une répétition et se situe entièrement dans la continuité de l’histoire personnelle de l’ego. C’est cette histoire personnelle que l’ego amplifie, théâtralise dans son mélodrame personnel. Sans bien sûr qu’il s’en rende compte.

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Vos commentaires

Questions :

1.       Laisser tomber  les désirs de l’ego est-ce enlever toute forme de motivation?

2.       Peut-on être libre en désirant par rapport au passé?

3.       L’avidité dans le désir pourrait-elle s’expliquer en termes uniquement biologiques?

4.       Désirer toujours plus, n’est-ce pas une manière de se sentir vivre dans le futur?

5.       C’est une joie de désirer ce qui paraît impossible dans la mesure où… :  comment complèteriez-vous cette phrase?

6.       L’ego collectif peut-il être réellement différent de l’ego individuel ?

7.       Quelle relation y a-t-il entre désir de l’ego et duplicité?

 

     © Philosophie et spiritualité, 2008, Serge Carfantan,
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