Leçon 88.    Temps cyclique et temps linéaire         pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    L’image de la ligne pour représenter le temps domine notre conception moderne de la Durée. Il y a en arrière du temps une longueur de temps qui va à l'infini et notre pauvre existence ne tiendra que sur un petit segment de droite, la demi-droite du futur ne nous est pas accessible. Il est dans la nature de la vigilance de propulser la conscience en avant, dans la visée d’une intention, d’un ob-jet. Qui dit visée, dit flèche dirigée vers un but, donc entre l'arc et la cible, c'est encore une ligne que nous pensons. La conscience de veille est elle-même comme un flèche qui vise un objet. Quoi de plus naturel donc que d’étendre cette condition de notre vécu et de penser que le temps est une ligne droite qui va à l’infini dans le passé et dans le futur ?

    Pourtant, la science nous montre que la Nature fonctionne dans des cycles : cycles de la reproduction, cycles biologiques, cycles des climats etc. Un cycle suppose une évolution circulaire et non pas linéaire. Curieusement c’est bien cette représentation du temps qui a dominé dans les cultures traditionnelles. Le temps ne fonctionne pas en suivant une ligne mais en cercle.

    La question se pose donc de savoir si l’analogie (R) de la ligne est pertinente. En quoi notre représentation du monde serait-elle modifiée si nous concevions le temps comme un cercle ou une spirale, plutôt que comme une ligne ?

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A. Le temps du mythe et celui de l’Histoire

    Commençons par étudier la représentation traditionnelle du temps, la représentation qui imprègne les mythes de l’humanité. La société traditionnelle vit au rythme des rites qui ponctuent les moments de la journée, rituel du matin au lever du soleil, rituel du repas, rituel qui accompagne le travail, rituel des cérémonies etc. Un rituel est une célébration qui renvoie l’homme à l’Origine, telle qu’elle a été posée dans les mythes fondateurs. Le rite effectue la répétition d’un acte sacré qui a été fait par les dieux à l’Origine. La répétition rituelle, c’est le retour circulaire du temps, le retour du Même, contre le changement dans le Devenir.

    1) Le brahmane qui récite la prière au soleil, Surya namaskar, répète un geste dont l’origine remonte aux temps védiques. Au moment où il accomplit un rituel, il n’est plus situé dans le devenir ordinaire de la vie, mais dans le temps sacré de la création, en communion avec les dieux. Dans les rituels védiques, les yagyas, il y a même une procédure pour sortir de l’espace-temps du sacré pour revenir à l’espace temps profane. La cérémonie du sacre d’un roi, le rajasuya¸par exemple, est « la reproduction terrestre de l’antique consécration que Varuna, le premier souverain, a faite à son profit… si le roi fait le même geste, c’est parce que, à l’aube des temps, le jour de sa consécration, Varuna a fait le même geste ». La tradition est fondée sur cette répétition des archétypes sacrés. Elle ignore le temps dans ce qu’il comporte de changement, de valeur de l’Autre, dans ce qu’il possède de neuf, d’imprévisible, dans ce qu’il peut avoir d’unique. Elle est axée sur la répétition et la permanence du Même.

    Ainsi, en devenant tradition, un récit historique est toujours transformé : la tradition en retient non pas ce qui est unique et individuel, mais seulement l’exemplaire. La tradition n'est pas "historique". Ainsi s’explique, selon les thèses de l’anthropologie contemporaine, que le fait historique soit peu à peu transformé par la mentalité collective en mythe. On peut en donner de très nombreux exemples, tant anciens, que  très modernes. Tout événement qui résonne dans la conscience collective, qui émeut profondément l'âme d'un peuple et possède une charge symbolique importante, peut devenir plus tard un mythe. Mircea Eliade donne un exemple dans Le Mythe de l’Eternel Retour qui se situe en Roumanie. Une jeune fille perd son futur mari quelques jours avant son mariage. Cet événement tragique du fiancé qui tombe dans un précipice, avec le passage du temps, devient un conte populaire : le jeune fiancé avait été ensorcelé par une fée des montagnes, et quelques jours avant son mariage, par jalousie, la fée l’avait précipité du haut d’un rocher. Le fait historique une fois entré dans le folklore populaire est en passe de devenir un mythe. Ce n’est plus un fait tragique, c’est un événement revêtu d’un sens occulte : la conscience collective, délaissant l’historique, opère la mythisation de l’accident. C’est assez singulier pour que nous le remarquions : la pensée traditionnelle n’est pas historique. Elle n’a pas le souci d’une mémoire exacte, donc aucun souci de l’histoire. Et ce processus de pensée existe dans toute culture, y compris la nôtre. Nous ne pouvons pas dire seulement autrefois, l’humanité n’avait pas de souci de l’histoire, tandis qu’aujourd’hui elle s’y intéresse. La culture traditionnelle fait peu de cas de l’Histoire, parce son axe, ses valeurs, sont intemporels. L’homme traditionnel, explique M. Eliade, vit dans un continuel présent mythique. Le souci de l'histoire est un souci moderne. (texte)

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    ... remonter aux origines du christianisme pour en trouver les premières traces, lors d’un concile qui a posé les fondements du dogme chrétien. Pour marquer la différence entre les « croyances païennes » et la « foi chrétienne », les Pères de l’Église ont décidé que devaient être abandonnées l’hypothèse de la renaissance et l’interprétation cyclique du temps, qui étaient admises par les premiers chrétiens. On en trouve des traces très claires, notamment dans les écrits apocryphes. Il était en effet insupportable de penser que le Christ, qui avait tant souffert, devait revenir encore et encore pour sauver l’humanité. C’était justifier l’insoutenable, admettre la répétition de ce qui engendra toutes les souffrances du Christ et devoir renouveler le Sacrifice. Non, le Christ est mort sur la croix une seule fois et l’humanité est sauvée une fois pour toute. Dès lors, le temps apparaissait dans la représentation chrétienne comme une ligne sur laquelle sont marqués des événements : la genèse, la chute, la révélation faite à Moïse, la naissance du Christ, la montée au Calvaire, la Résurrection et dans les temps à venir, l’avènement de la Cité de Dieu, comme le dit Saint Augustin. Il fallait alors imaginer avec un « début » du temps, ce qui correspond à la création ex nihilo, une « fin » des temps, l’Apocalypse – ce qui n’a de sens que dans une conception du temps sous forme de droite. Une représentation linéaire du temps était posée, en opposition avec la représentation cyclique du temps qui prévalait auparavant, y compris chez les premiers chrétiens.

    A

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     © Philosophie et spiritualité, 2003, Serge Carfantan. 
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