Leçon 11.   L’hypothèse de l’inconscient   english flag       pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    L’identité ne ferait guère problème si le sujet se possédait entièrement et de manière continue. Mais n'avons-nous pas des moments d'absence? Sommes-nous toujours conscients? Même dans la vigilance quotidienne nous sommes  davantage conscients du monde des objets que de nous-mêmes. N’entrent dans la conscience que les contenus vers lesquels elle veut bien se tourner. N’y entre pas ce qu’elle n’a pas en vue et peut-être aussi ce qu’elle se refuse à voir. Y a-t-il donc dans l’esprit une part qui reste obscure ?

    C'est ce qui est désigné par le terme d'inconscient. Mais qu'est-ce que ce mot veut dire? La question n’est pas simple parce que l’inconscient ne peut-être posé comme un objet d’expérience, il est une manière de considérer de façon détournée ce qui a effectivement lieu dans les marges du champ de conscience. Quelle importance accorder à l’hypothèse de l’inconscient ? Faut-il voir dans le recours à l’inconscient un effet de mode issu de la psychanalyse ou bien cette hypothèse a-t-elle de sérieuses raisons pour s’imposer ?

*  *
*

A. Le paradigme de la conscience et l’inconscient

    En occident Freud est vénéré comme celui qui a révolutionné le paradigme de la psychologie. Il y aurait la psychologie "avant" et la psychologie "après" Freud dit-on. En quoi l’hypothèse de l’inconscient a-t-elle été à ce point de vue révolutionnaire ? Est-ce à dire que l'inconscient n'a jamais été décrit auparavant? Bien avant que la psychanalyse freudienne

 1) ... au sens où elle intervient comme un changement d'orientation dans l’histoire de la psychologie occidentale, en provoquant une rupture de paradigme - du modèle - de la psychologie, telle qu’on la concevait depuis Descartes. En effet, la psychologie classique était une psychologie de la conscience. Si nous suivons les indications contenues dans le modèle cartésien, nous n’aurons en effet guère de possibilité de rencontrer l'idée de l’inconscient. Descartes pose que l’âme est conscience et il définit cette conscience comme une saisie immédiate de la pensée. La psychologie, comme son nom l’indique, étant une étude de la psyché, de l’âme, cela veut donc dire, suivant le modèle de Descartes, qu’elle est l’étude de la conscience comme pensée. Si l’âme est une substance pensante, elle est de part en part une pensée en acte. Comment se pourrait-il qu’il y ait en elle quelque chose dont elle n’ait pas conscience ? Comment pourrait-il y avoir une chose telle que "la pensée inconsciente » ? Cela semble contradictoire. La pensée est consciente ou bien elle n’est pas Ce qui n'appartient pas à la pensée peut relever de la matière, (texte) de la substance étendue, mais ne relève pas de la conscience. Descartes n’aurait jamais pu parler de « pensée inconsciente », c’est une formule qui semble (texte) dans son système dépourvue de sens.

    Conformément à la tradition issue de Descartes, l'usage qu'aujourd'hui encore nous faisons en Occident du mot "pensée" comporte une grave ambiguïté. Le problème vient de ce que l’on assimile conscience, comme synonyme d’éveil, ou de vécu, et pensée, synonyme d'activité mentale, d’objet de conscience voire de représentation. Mais être éveillé et penser sont-ils une seule et même chose? Si on croit dans cette assimilation, la continuité de l’âme est identifiée avec la continuité de l’acte de penser. Partant de là, l’âme, qui est pensée, doit pour exister penser toujours. Descartes le dit clairement « je trouve ici que la pensée est un attribut qui m’appartient : elle seule ne peut-être détachée de moi. Je suis, j’existe, cela est certain, mais pour combien de temps ? A savoir autant de temps que je pense, car peut-être se pourrait-il faire, si je cessais de penser, que je cesserais d’être ou d’exister ».

  Et le sommeil ? et le coma ? Que dire par exemple de l’embryon dans le ventre de sa mère ? Pense-t-il-lui aussi comme je pense maintenant ? Ne peut-il y avoir comme une annulation de la pensée ? Et la syncope ? Et le sommeil profond? Dans le sommeil profond, je cesse de penser et pourtant je ne laisse pas d’être. Que faire de tous nos moments d’inattention, de distraction ? De nos actes manqués? De nos rêves? Il faut bien

   - ou bien, on maintient l’idée que l’âme (l'esprit?) « pense toujours », auquel cas il faudra rendre compte de la possibilité d’intermittences de conscience qui ne remettent pas en cause la continuité de l'âme. C'est le fil conducteur de la théorie de la conscience en Occident. C'est un point de vue que partageront tous les cartésiens (Leibniz, Malebranche, Spinoza).

    - ou bien nous abandonnons l’idée que l’âme pense toujours, et nous connaissons sa véritable identité sur un plan métaphysique qui ne dépend pas de l’activité mentale du sujet conscient, activité qui peut-elle effectivement s'exercer ou s’interrompre. C'est le point de vue que l'on retrouve dans la pensée indienne. Dans ce cas, il faudra distinguer éveil et pensée.

    Ce qui est décisif dans l'histoire de la psychologie en Occident, c’est que les cartésiens choisissent la première orientation qui maintient une ambiguïté dans le terme de « pensée ». Descartes écrit cependant dans les Réponses aux objections : « Ce n’est pas merveille si nous ne nous ressouvenons pas des pensées que nous avons eu dans le ventre de nos mères ou dans l’évanouissement car nous ne nous ressouvenons pas non plus de plusieurs pensées que nous avons étant adulte, sain et éveillé ». En bref, l’âme pense toujours, mais elle oublie une grande part des pensées qu’elle a eu, pensées qui nécessairement ont bien dû avoir lieu, puisqu’elle est par essence une substance qui pense. Descartes est donc obligé de reconnaître une forme d’inconscient qu’il confie à la mémoire. Il garde pour le conscient l’activité de la pensée dont nous avons immédiatement conscience, cette activité par laquelle nous sommes une volonté, un ego agissant.

    1) Mais cette réponse reste obscure. La conscience n'est pas d'un seul tenant et nous ne sommes pas conscients de tout. Ce qu’il faudrait préciser, ce sont les degrés de conscience qui font qu’un contenu est présent ou bien disparaît du champ de conscience, tout en restant confié à la mémoire. La théorie des petites perceptions de Leibniz résout cette difficulté (texte). La perception comporte des degrés infinitésimaux. Quand un seuil est franchi, l’objet entre dans le champ de conscience. Un bruit, s’il est trop faible, n’est pas remarqué, et pourtant il entre dans le domaine infinitésimal de la sensation. S’il atteint un seuil suffisant, il entrera dans le domaine de la perception. Ce que nous appelons un fait conscient n’est rien d‘autre qu’un concours de « petites perceptions » composant une perception consciente. Ce qui est présent, mais n'entre pas dans le champ de la conscience, relève de l'inconscient. Donc « c’est une grande source d’erreur de croire qu’il n’y a aucune perception dans l’âme que celles dont on s’aperçoit. » En d’autre terme, le vécu conscient émerge d’une condensation de perceptions inconscientes. On peut dire aussi en ce sens que tout vécu conscient possède sa marge inconsciente. La naïveté serait de croire que n’existe que ce dont nous avons conscience. C’est une position qui est fausse, autant dans la visée du monde extérieur (dont je ne perçois pas tous les aspects) que dans le monde intérieur (je n'ai même pas conscience par exemple de tout ce qui se déroule dans mon corps). Ce que je nomme comme étant une "pensée" a très bien pu se former dans l’inconscient. ... qu’en prendre conscience.

    2) ... est possible d’assimiler le pouvoir de la conscience à celui de la volonté et de reléguer ce qui est inconscient à une forme d'automatisme. Si nous voyons la conscience comme identique à la volonté, la différence entre le conscient et l’inconscient peut se distinguer entre lattention volontaire et réfléchie qui éclaire les objets de ma conscience de veille et l’inattention involontaire, affaiblie et distraite qui glisse du côté du subconscient. Les habitudes, les réactions mécaniques sont inconscientes, par contre une action réfléchie, volontaire est consciente. Veiller, c’est aussi vouloir. C’est toute la différence entre ce qui est conscient, parce qu’exécuté volontairement et ce qui est inconscient parce que devenu mécanique. C’est pourquoi Bergson départage les données de la conscience, relative à l’attention à la vie et ce qui retombe dans l’inconscient à titre de souvenirs. Dès que cesse la tension-vers de l’intérêt de la vigilance, la sélection de données de la conscience cesse d’opérer et c’est alors que peut commencer le rêve : « supposez qu’à un moment donné, je me

   

---------------- L'accès à totalité de la leçon est protégé. Cliquer sur ce lien pour obtenir le dossier

-

 

Vos commentaires

Questions:

1. Pris comme adjectif, le mot "inconscient" peut avoir plusieurs sens, lesquels?

2. Pour quelle raison l'idée de pensée inconsciente peut-elle passer pour une absurdité?

3. L'idée selon laquelle la perception consciente émerge à partir de niveau inconscient n'implique-t-elle pas l'existence d'une forme de mémoire latente?

4. Pourquoi vouloir identifier conscience, volonté et effort?

5. Pourquoi dire que le rêve appartient au subconscient?

6. En quoi le refoulement peut-il nous aider pour comprendre les actes manqués?

7. Pourquoi l'ego n'est-il pas le maître dans sa propre maison?

   © Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.
Accueil. Télécharger. Notions.


Le site Philosophie et spiritualité autorise les emprunts de courtes citations des textes qu'il publie, mais vous devez mentionner vos sources en donnant le nom de l'auteur et celui du livre en dessous du titre. Rappel : la version HTML n'est qu'un brouillon. Demandez par mail la version définitive, vous obtiendrez le dossier complet qui a servi à la préparation de la leçon.