Leçon 277.    Démocratie et partis politiques      pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    De l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par toutes les options possibles, c’est un lieu commun : on s’accorde pour dire que les partis politiques sont nécessaires à la vitalité d’une démocratie, qu’il se saurait exister de démocratie sans partis, d’ailleurs la question ne se pose même pas : comment la politique pourrait-elle bien fonctionner sans partis ?

    Mais un lieu commun peut véhiculer des clichés, des stéréotypes et des croyances infondées. En revanche, nous savons d’un point de vue théorique que la volonté générale ne peut être divisée en volontés particulières. Or l’existence de quatre ou cinq partis dominants, c’est un peu comme s’il n’y avait que quatre ou cinq voix exprimées et non véritablement l’expression d’une volonté générale. En toute logique, Rousseau était contre l’existence des partis. S’il n’y en a qu’un seul, dans un régime totalitaire, comme en Chine ou en Corée du Nord, l’imposition d’un parti unique revient à confisquer la volonté générale en faveur du contrôle du parti et on se demande bien dans ces conditions à quoi peuvent bien servir l’Assemblée et le Sénat. Ils ne sont plus que des chambres d’enregistrement des décisions du parti. À quoi on rétorque que le rejet des partis chez Rousseau est un point faible de sa théorie, dans la pratique, on ne peut s’en passer, car ils sont nécessaires pour fédérer les opinions autour de programmes. Au vu de la situation de la Chine ou de la Corée du Nord, on dira qu’il est indispensable dans une démocratie qu’il y ait plusieurs partis et souhaitable qu’il y ait une alternance au pouvoir.

    La cause est bien entendue. Trop bien même. Est-ce par accoutumance que l’état de fait du fonctionnement actuel de nos régimes est considéré comme légitime ? Nous pouvons le craindre. Il y a des raisons. En 1940, Simone Weil rédigeait un court texte intitulé : Notes sur la suppression générale des partis politiques. Non content d’être bien écrit, il est solidement argumenté. Donc, faut-il maintenir ou bien supprimer les partis politiques ? Cette leçon gardera en toile de fond un lien avec le texte de Simone Weil qu’elle se propose de commenter, mais nous allons aussi faire quelques rapprochements.

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A. L’idée de parti et l’Histoire

    Dès le début, Simone Weil prend soin de signaler le sens européen de l’idée de parti et le sens pris dans les pays anglo-saxons. « Il y a dans les partis anglo-saxons un élément de jeu, de sport, qui ne peut exister que dans une institution d'origine aristocratique ». En effet, cette tradition ancienne se prolonge dans l’affrontement en travaillistes et conservateurs. Inversement en Europe, l’institution des partis est historiquement davantage plébéienne, car issue de la révolution et elle se prend de fait davantage au sérieux. Et cependant, il n’y a aucune logique qui puisse aligner les aspirations révolutionnaires et la création de partis. La Révolution Française n’a connu que des clubs comme les Jacobins qui n’étaient que des lieu de discussion. La question est donc de savoir comment, ce qui aurait plutôt passé comme un « mal à éviter », est devenu par certains mécanismes qu’il nous faut étudier, une soi-disant nécessité de fait.

    1) Le mécanisme fatal en question dans la période de 1789 a été la situation de la guerre et de la violence civile. « C'est uniquement la pression de la guerre et de la guillotine qui » vit la transformation menant vers un parti totalitaire. Il n’y a rien à redire sur l’existence de club de discussion, mais quand dans la violence civile apparaissent des factions qui luttent les unes contre les autres, comme cela a été le cas dans la période de la Terreur, on a une logique qui mène à la formule de Tomski : « Un parti au pouvoir et tous les autres en prison. » Et nous trouvons ici la thèse de Simone Weil : la tendance au totalitarisme est le péché originel des partis, ce qui veut dire que dès l’instant où nous acceptons l’existence des partis, nous laissons mettre en place des tendances totalitaires de façon quasiment irrémédiable.

    Nous avons donc une conjugaison de deux influences : d’une part, l’héritage du modèle anglais qui a longtemps séduit les intellectuels du continent comme Montesquieu, qui y voyait un exemple, un modèle ; d’autre part, il y a l’héritage de la Terreur qui nous montre un tout autre aspect, le pouvoir de division, des partis capables de créer des clans et des clivages pour dresser un peuple contre lui-même.

    La question de fait de la simple existence des partis politiques en va donc pas de soi. « Le fait qu'ils existent n'est nullement un motif de les conserver », on en dirait autant par exemple des centrales nucléaires, des OGM ou de la Bourse, un motif serait que les partis politiques participent du bien, ce qui reste à démontrer. Donc : « Y a-t-il en eux-mêmes une parcelle infinitésimale de bien » ? En bonne logique, si nous pouvons démontrer que leur existence contribue au bien commun, nous aurons des raisons de les conserver, mais s’il s’avère que dans la pratique, ils ne peuvent produire que du mal, nous serions avisés de les supprimer. On juge l’arbre à ses fruits. Voyons de quoi il retourne.

    Comment allons-nous reconnaître le bien ? Simone Weil répond : la vérité, la justice, l’utilité publique. Elle précise aussitôt que la démocratie n’est pas en soi un bien, elle ne l’est que comme un moyen que nous estimons efficace en vue du bien, ce qui est différent. Si c’est un pouvoir démocratique produit de la torture, de la violence policière, de la guerre, cela ne donne pas du tout de légitimité à ces actes. (Simone Weil compare la République de Weimar à Hitler). « Seul ce qui est juste est légitime. Le crime et le mensonge ne le sont en aucun cas ».

    2) Mais alors, dira-t-on, et la volonté générale, telle que Rousseau l’a défini dans Le Contrat social ? Il est exact que notre idéal républicain procède entièrement de la volonté générale, mais cette expression n’est plus du tout claire et nous nous sommes beaucoup éloignés de ce que disait Rousseau qui avait en vue notamment bien plus qu’un intérêt général. Rousseau partait de deux évidences : 1) « la raison discerne et choisit la justice et l'utilité… et que tout crime a pour mobile la passion ». 2) « la raison est identique chez tous les hommes, au lieu que les passions, le plus souvent, diffèrent ». Si sur un problème qui met en jeu le bien commun, chacun réfléchit et qu’ensuite les opinions sont comparées, elles vont certainement coïncider dans leur partie juste et raisonnable, par contre elles vont se séparer là où il y aura des erreurs et des injustices. C’est dans cette mesure limitée que nous pouvons admettre sur le plan politique que le « consensus » indique la vérité. L’idée est donc que la vérité et la justice sont unifiantes, tandis que les erreurs et les injustices sont variables. Nous adhérons à la démocratie, car nous pensons qu’elle est susceptible de fournir un mécanisme satisfaisant pour que la volonté générale s’exprime et nul doute que le peuple se veut du bien. Donc, un « vouloir commun à tout un peuple est en fait conforme à la justice, par la neutralisation mutuelle et la compensation des passions particulières ». Dans la suite, Simone Weil se sert d’une analogie, celle de la masse d’eau dans laquelle les particules sont en équilibre, condition qui lui permet d’indiquer correctement le plan horizontal. De la même manière, quand bien même il y aurait dans la masse du peuple des individus passionnés. « Une constitution démocratique est bonne si d'abord elle accomplit dans le peuple cet état d'équilibre, et si ensuite seulement elle fait en sorte que les vouloirs du peuple soient exécutés ». L’esprit de 1789 revient donc à soutenir qu’une chose est juste, non pas parce que le peuple le veut, mais que s’il est correctement exprimé, le vouloir du peuple a plus de chances qu’aucun autre vouloir d’être conforme à la justice ».

    Mais il y a une restriction de taille. « Le raisonnement de Rousseau tombe dès qu'il y a passion collective. Rousseau le savait bien. La passion collective est une impulsion de crime et de mensonges infiniment plus puissante qu'aucune passion individuelle ». Simone Weil a reçu les leçons d’Alain, (texte) son professeur qui se méfiait des exaspérations collectives du peuple, de ses fureurs aveugles. Ici, nous pourrions en appeler à Gustave Le Bon, La psychologie des foules. Dans ce cas, les impulsions mauvaises ne parviennent pas se neutraliser et elles augmentent en puissance. Pour reprendre l’analogie de l’eau, un courant, cinq ou six courants vont faire des remous et l’eau ne rendra plus l’équilibre. On aura des bandes de criminels. Et on devine ce qui sera écrit par la suite : l’existence même des partis est susceptible de créer ces courants violents.

    3) Il est indispensable que le peuple puisse exprimer sa volonté pour tout ce qui concerne le bien commun, car il ne s’agit pas seulement d’un choix de personnes, ni de collectivités. Or en 1789 cela a en effet existé dans les Cahiers de doléances. « Tout ce qu'il y a

 

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  © Philosophie et spiritualité, 2017, Serge Carfantan,
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