Leçon 250. L’argent comme outil de pouvoir    pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    Même si, sans que l’on n’y prête attention, dans l’opinion commune les termes sont interchangeables il y a une différence subtile entre l’argent et la monnaie. Quand nous employons le terme de monnaie, nous devrions surtout avoir en vue l’intermédiaire par lequel s’effectue nos échanges marchands. Pas tous les échanges bien sûr. Ni la relation de don. Nous avons vu avec Aristote sa justification. D’autre part, nous avons vu la différence entre la monnaie fiduciaire, émise par les États, ou par une fédération d’États, comme l’Union Européenne et la monnaie scripturale générée par les banques par le biais des emprunts. Enfin, nous avons aussi vu la différence considérable entre monnaie d’État et monnaie locale.

    Le terme "argent" a lui un sens qui en appelle d’emblée à l’idée de thésauriser de la richesse. Le métal argent dans son aspect brillant évoque l’idée d’une valeur qui échappe à la destruction du temps. La cassette d’Harpagon. L’or parle dans le même symbolisme : un métal de la couleur du soleil, le métal incorruptible par excellence. Donc, encore une fois, qui échappe au temps. D’où l’idée que l’argent est le symbole de la richesse qu’un individu peut posséder, qui lui permettrait d’éviter la destruction du temps et celui qui en possède beaucoup est quelqu’un que l’on dit « à l’abri » ! Et il est appelé riche. Mais la notion de richesse est en fait très subtile, car la richesse de l’argent n’est que la richesse extérieure visible. Mais quand l’homme n’a plus de regard que pour la comédie des apparences, quand la hiérarchie des valeurs d’une société met au sommet l’argent, alors de toutes évidence, la volonté de puissance ne peut faire autre chose que d’identifier à l’argent la proie de tous les désirs. Et à travers cette identification, l’argent est « vu » comme une concentration de la puissance, il est alors entendu que c’est par lui que l’on peut accéder à tout le reste. Une étrange hallucination en fait, car tout bien pensé, la Valeur de toute les valeurs est plutôt la Vie, et c’est une étrange folie qui s’empare de nous quand nous entrons en adoration devant l’argent.

    Maintenant, est-ce que ce n’est pas justement dans la volonté de puissance qu’il faut chercher l’origine de ce déplacement ? En quel sens peut-on dire que l’argent est un outil de pouvoir ?

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A. De la fascination exercée par l’argent

    Stiglitz termine in extremis son livre sur la crise de 2008, Le Triomphe de la Cupidité, par quelques considérations sur la psychologie humaine, brèves, trop brèves. Eh bien nous allons commencer par là. C’’est un aspect qui a été très peu étudié par les économistes et pour cause, l’économiste est un théoricien et il a tendance a ne prendre en compte que l’abstraction objective et non le vécu dans lequel l’abstraction est nourrie quand la pensée se met à y croire. On peut indéfiniment se perdre dans des abstractions il restera qu’en amont de toutes nos conduites, il y a la subjectivité humaine, et en elle la foi que nous investissons dans nos croyances. Si nous sommes à ce point fasciné par l’argent, c’est parce que nous vivons une société dans laquelle l’adhésion au credo de la puissance de l’argent est en permanence réassurée. Ce fondement psychologique est premier, il faut toujours et revenir.

    1) Revenons sur la genèse du désir. Être fasciné, ce n’est pas admirer. Nous pouvons admirer la ligne d’une belle voiture et en rester là. Nous pouvons admirer les jardins d’une propriété et une demeure magnifique et en rester là. Il y a un plaisir esthétique et sans aucun doute les apparats du luxe offrent un plaisir esthétique. Mais voici que naît dans l’esprit un train de pensées subconscientes: « comme j’aimerais posséder cette voiture, au volant d’un coupé sport de cette allure on doit se sentir comme un dieu… Ce doit être vraiment extraordinaire d’être riche, de vivre comme dans ce genre de palace, au milieu du luxe. Profiter de la vie et ne plus penser à rien. Le rêve…  ». La pensée a fait naître le désir. En soi le désir n’est pas en lui-même un problème, il a son énergie et son mystère, c’est la pensée qui en est un à partir du moment où elle fabrique un double hallucinatoire du réel ou l’esprit se perd. Fasciné. La pensée produit alors une énorme amplification de l’ego et susurre à l’oreille la petite voix dans la tête : « si j’avais, comme ces gens beaucoup d’argent, je me sentirais plus puissant, je pourrais en imposer d’avantage,… je pourrais être davantage moi-même ». Encore une fois, toujours sur un plan subconscient, dans le monologue de l’ego, pas sur un plan vraiment conscient et verbalisé. D’ailleurs, dès que nous verbalisons toutes ces sornettes, cela devient complètement ridicule. Mais dans l’intimité secrète des pensées, cela fonctionne très bien. C’est tout simplement ce que l’on appelle un fantasme. Le même processus se développe ... d’abord la perception d’une très belle femme, ou d’un bel homme, puis le désir et ensuite le flot des pensées autoalimentées par l’ego, le flot des pensées obsessionnelles. Dans les deux cas, le résultat fait que l’attention n’est plus du tout une appréciation, elle n’est plus dans la perception, elle n’est plus du tout dans le réel, elle est subjuguée par la pensée, elle est complètement identifiée aux pensées. Et c’est le commencement de la folie.

    Cela peut aussi s’appeler rêver les yeux ouverts. Le plus étrange c’est que cette hallucination tend d’elle-même à effacer l’appréciation sensible. Vous luttez comme un diable pour gagner plus d’argent pour vous payer un belle maison, vous l’obtenez et assis sur le canapé, il y a toujours ce moment où la pensée revient : « bon. Alors… Oui c’est confortable…mais où est le sentiment que je cherchais d’être enfin moi-même ? ». La satisfaction ne fait que passer. « Il m’en faut encore plus pour me sentir vraiment moi-même. Peut être une plus grande maison ? Peut être une trophe wife pour aller avec ? » Qu’est-ce que je peux ajouter encore à moi pour être enfin moi-même ? ». Bien évidemment, cette pensée ne peut fonctionner que dans la comparaison : « les voisins ont une piscine magnifique. Il m’en faut une… ». Le sens de l’ego n’existe que dans la comparaison. « Pour que je me sens d’avantage moi, il m’en faut au moins autant qu’un autre, il m’en faut d’avantage, je me sentirais d’avantage moi quand je pourrais montrer que je possède d'avantage. Ils verront que je suis bien plus puissant ». Et il faut que cette supériorité soit visible, il faut qu’elle soit reconnue, enviée. Il faut qu’elle ait une valeur telle qu’elle suscite chez les autres l’envie. Le luxe. « Je ne le dirais pas, mais j’envie les aut

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    2) Et autour de cette valeur l'ego développe de gigantesques constructions mentales. Des cathédrales de concepts pour construire un réel à la mesure d’un désir halluciné. Des toiles d’araignée d’argent pour relier tout ce qui a une existence et une valeur. De sorte que tout soit évalué par l’argent. Il faut bien que l’argent soit la valeur suprême, puisque c’est par son moyen que l’on peut obtenir tout ce que l’on veut. Il faut donc présupposer qu’ici bas l’argent condense toute la Valeur, car tout le reste lui est lié et en dépend. Le Monde est de part en part un monde économique, tous ceux qui s’entendent la–dessus font partie de la même coterie. Et celui qui n’y croit pas est un rêveur, un fou ou un idéaliste qui d’emblée en est exclus. Les gens « réalistes » pensent en termes d’argent et ils mesurent la réalité avec l’étalon de l’argent. Point barre. Cela ne se discute pas. Ils sont comme les croyants dogmatiques, l’âme chevillée à leur foi. Ils peuvent se piquer d’un zeste de tolérance et admettre du bout des lèvres qu’existent d’autres « religions », mais au fond de leurs pensées, il ne peut y en avoir qu’une, la leur. Point barre. Cela ne se discute pas. Les « réalistes » postmodernes ont une foi inconditionnelle dans l’argent mais dans leur grande largesse ils tissent de propos vaguement élogieux les autres valeurs, la valeur de l’amour, de la culture, de la famille, de la Terre, mais leur pensée centrale rester la même. « Les affaires c’est les affaires ». « Le profit, c’est le profit ». "L’argent, il en faut pour se payer une bonne vie". « L’argent ne fait pas le bonheur… mais il y contribue ». Dans les paroles du réaliste c’est ironique et complètement hypocrite. Le sous entendu, c’est : « cause toujours… Moi je sais que l’argent, c’est ce qu’il y a de plus important, alors tes fadaises philosophiques sur le bonheur, tu peux te les garder, je n’en n’ai rien à faire ».

    La foi inconditionnelle ... enferme l’Absolu dans le dogme. Les « réalistes » postmodernes font de l’argent un absolu et de tout le reste le relatif qui en dépend. Ils pensent à l’intérieur du culte monothéiste de l’argent. Même quand ils se rendent à l’Église ou au temple… pour prier Dieu de protéger leur commerce. Mais il y a pire. Nous avons vu que les croyants dogmatiques, parce qu’ils ne font qu’exprimer une forme d’ego collectif, ont besoin d’ennemis pour renforcer le sentiment qu’ils ont d’eux-mêmes, d'être un « nous » face à «eux». Le même schéma égotique se réplique dans la religion avec l’argent. Ceux qui font de leur richesse une identité, ont besoin de leurs ennemis, les pauvres pour sentir leur supériorité, car cela renforce leur sens du moi. Nous disions que si tout le monde était croyant de la même foi, cela affaiblirait le sens de l'identité. Si tout le monde était riche l’argent perdrait illico sa valeur comme investissement égotique. Inversement, ceux qui font de leur pauvreté une part essentielle de leur sens de « moi », ont ...tout en les enviant en secret. ... dans la même illusion dans une société dans laquelle il est implicitement admis que la valeur d’une personne se mesure avant tout par la taille de son compte en banque. Hegel disait que le dominant savoure sa supériorité en lisant la peur dans le regard terrifié de celui qui est dominé. L'esclave reconnaît lui la puissance de celui qui le domine et voit confirmé son statut de dominé qu’il reconnaît. L'un et l'autre renforcent leur sens du « moi ». La supériorité de classe n’a donc pas besoin pour être étayée d’idéologie politique, elle n’est pas sociale fondamentalement, à sa racine elle est psychologique. d'ailleurs quand les idéologies politiques ne sont plus que des joutes verbales, demeurent en sous-main les hiérarchies de l’argent et les luttes égotiques qui les justifient.

    Jean-Claude Carrière dans L’argent, sa vie, sa mort,  ajoute encore quelques remarques à cette « théologie » de l’argent. Tout d’abord, une observation : « Si les Grecs et les Romains honoraient un dieu du commerce, l’argent, l’argent en soi, simple outil d’échange, où les maître du moment aimaient à frapper leur profil », n’était pas perçu comme une divinité (texte) « à laquelle il serait possible d’élever des statues, d’adresser des prières. Il servait à lever des troupes, à payer des rançons, à achever des alliance

 

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  © Philosophie et spiritualité, 2014, Serge Carfantan,
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