Même si,
sans que l’on n’y prête attention, dans l’opinion commune les termes sont
interchangeables il y a une différence subtile entre l’argent et la monnaie.
Quand nous employons le terme de monnaie, nous devrions surtout
avoir en vue l’intermédiaire par lequel s’effectue
nos
échanges marchands.
Pas tous les échanges bien sûr. Ni la relation de
don. Nous avons vu avec
Aristote sa justification. D’autre part, nous avons vu la différence entre
la
monnaie fiduciaire, émise par les États, ou
par une fédération d’États, comme l’Union Européenne et la
monnaie scripturale générée
par les banques par le biais des emprunts. Enfin, nous avons aussi vu la
différence considérable entre monnaie d’État et monnaie locale.
Le terme "argent" a lui un sens qui en appelle d’emblée à l’idée de thésauriser de la richesse. Le métal argent dans son aspect brillant évoque l’idée d’une valeur qui échappe à la destruction du temps. La cassette d’Harpagon. L’or parle dans le même symbolisme : un métal de la couleur du soleil, le métal incorruptible par excellence. Donc, encore une fois, qui échappe au temps. D’où l’idée que l’argent est le symbole de la richesse qu’un individu peut posséder, qui lui permettrait d’éviter la destruction du temps et celui qui en possède beaucoup est quelqu’un que l’on dit « à l’abri » ! Et il est appelé riche. Mais la notion de richesse est en fait très subtile, car la richesse de l’argent n’est que la richesse extérieure visible. Mais quand l’homme n’a plus de regard que pour la comédie des apparences, quand la hiérarchie des valeurs d’une société met au sommet l’argent, alors de toutes évidence, la volonté de puissance ne peut faire autre chose que d’identifier à l’argent la proie de tous les désirs. Et à travers cette identification, l’argent est « vu » comme une concentration de la puissance, il est alors entendu que c’est par lui que l’on peut accéder à tout le reste. Une étrange hallucination en fait, car tout bien pensé, la Valeur de toute les valeurs est plutôt la Vie, et c’est une étrange folie qui s’empare de nous quand nous entrons en adoration devant l’argent.
Maintenant, est-ce que ce n’est pas justement dans la volonté de puissance qu’il faut chercher l’origine de ce déplacement ? En quel sens peut-on dire que l’argent est un outil de pouvoir ?
* *
*
Stiglitz termine in extremis son livre sur la crise de 2008, Le Triomphe de la Cupidité, par quelques considérations sur la psychologie humaine, brèves, trop brèves. Eh bien nous allons commencer par là. C’’est un aspect qui a été très peu étudié par les économistes et pour cause, l’économiste est un théoricien et il a tendance a ne prendre en compte que l’abstraction objective et non le vécu dans lequel l’abstraction est nourrie quand la pensée se met à y croire. On peut indéfiniment se perdre dans des abstractions il restera qu’en amont de toutes nos conduites, il y a la subjectivité humaine, et en elle la foi que nous investissons dans nos croyances. Si nous sommes à ce point fasciné par l’argent, c’est parce que nous vivons une société dans laquelle l’adhésion au credo de la puissance de l’argent est en permanence réassurée. Ce fondement psychologique est premier, il faut toujours et revenir.
1) Revenons sur
la genèse du désir. Être fasciné, ce
n’est pas admirer. Nous pouvons admirer la ligne d’une belle voiture et en
rester là. Nous pouvons admirer les jardins d’une propriété et une demeure
magnifique et en rester là. Il y a un plaisir esthétique et sans aucun doute les
apparats du luxe offrent un plaisir esthétique. Mais voici
que naît dans l’esprit un train de pensées
subconscientes: « comme j’aimerais
posséder cette voiture, au volant d’un coupé sport de cette allure on doit se
sentir comme un dieu… Ce doit être
vraiment extraordinaire d’être riche, de
vivre comme dans ce genre de palace, au milieu du luxe. Profiter de la vie et ne
plus penser à rien. Le rêve… ». La pensée a fait naître le
désir. En soi le désir n’est pas en lui-même un
problème, il a son énergie et son mystère, c’est la pensée qui en est un à
partir du moment où elle fabrique un double
hallucinatoire du réel ou l’esprit se perd. Fasciné. La pensée
produit alors une énorme amplification de l’ego et susurre à l’oreille la petite
voix dans la tête : « si j’avais, comme ces gens beaucoup d’argent, je me
sentirais plus puissant, je pourrais en imposer d’avantage,… je pourrais être
davantage moi-même ». Encore une fois, toujours sur un plan
subconscient,
dans le monologue de l’ego, pas sur un
plan vraiment conscient et verbalisé. D’ailleurs, dès que nous verbalisons
toutes ces sornettes, cela devient complètement ridicule. Mais dans l’intimité
secrète des pensées, cela fonctionne très bien. C’est tout simplement ce que
l’on appelle un fantasme. Le même processus
se développe ...
d’abord la perception d’une très belle femme, ou d’un bel
homme, puis le désir et ensuite le flot des pensées autoalimentées par l’ego, le
flot des pensées obsessionnelles. Dans les deux cas, le résultat fait que
l’attention n’est plus du tout une appréciation, elle n’est plus dans la
perception, elle n’est plus du tout
dans le réel, elle est subjuguée par la pensée, elle est complètement
identifiée aux pensées. Et c’est le commencement de la
folie.
Cela peut aussi
s’appeler rêver les yeux ouverts. Le plus étrange c’est que cette hallucination
tend d’elle-même à effacer l’appréciation sensible.
Vous luttez comme un diable pour gagner plus d’argent pour vous payer un belle
maison, vous l’obtenez et assis sur le canapé, il y a toujours ce moment où la
pensée revient : « bon. Alors… Oui c’est confortable…mais où est le sentiment
que je
cherchais d’être enfin moi-même ? ». La satisfaction ne fait que
passer. « Il m’en faut encore plus pour me sentir vraiment
moi-même. Peut
être une plus grande maison ? Peut être une trophe wife pour aller avec ? »
Qu’est-ce que je peux ajouter encore à moi pour être enfin moi-même ? ».
Bien évidemment, cette pensée ne peut fonctionner que dans la comparaison : « les
voisins ont une piscine magnifique. Il m’en faut une… ». Le
sens de l’ego n’existe que dans la comparaison. « Pour
que je me sens d’avantage moi, il m’en faut au moins autant qu’un autre, il m’en
faut d’avantage, je me sentirais d’avantage moi quand je pourrais montrer que je
possède d'avantage. Ils verront que je suis bien plus puissant ». Et il faut que
cette supériorité soit visible, il faut qu’elle soit reconnue,
enviée. Il faut qu’elle ait une valeur telle
qu’elle suscite chez les autres l’envie. Le luxe. « Je ne le dirais pas, mais
j’envie les autres qui possèdent ce que je n’ai pas et que j’aimerais avoir.
Cela me travaille. Cela me rend malade, mais je vais lutter comme un lion pour y
arriver ». Quand l’ego se compare à ceux qui ont tout, il se sent diminué,
il se sent moins que rien. Nul. «... En
gagnant plus. Beaucoup, beaucoup plus. Du coup, le flot hallucinatoire de la
pensée qui jamais ne s’arrête s’arrime solidement au seul objet qui semble pour
lui avoir une consistance, l’argent.
2) Et autour de
cette valeur l'ego développe de gigantesques
constructions mentales. Des
cathédrales de concepts pour construire un réel à la mesure d’un désir
halluciné. Des toiles d’araignée d’argent pour relier tout ce qui a une
existence et une valeur. De sorte que tout soit évalué par l’argent. Il faut
bien que l’argent soit la valeur suprême, puisque c’est par son moyen que l’on
peut obtenir tout ce que l’on veut. Il faut donc présupposer qu’ici bas l’argent
condense toute la Valeur, car tout le reste lui est lié et en dépend. Le Monde
est de part en part un monde économique,
tous
ceux qui s’entendent la–dessus font partie de la même coterie. Et celui qui n’y
croit pas est un rêveur, un fou ou un idéaliste qui d’emblée en est exclus. Les
gens « réalistes » pensent en termes d’argent et ils mesurent la réalité avec
l’étalon de l’argent. Point barre. Cela ne se discute pas. Ils sont comme les
croyants dogmatiques, l’âme chevillée à leur foi. Ils peuvent se piquer d’un
zeste de tolérance et admettre du bout des lèvres qu’existent d’autres
« religions », mais au fond de leurs pensées, il ne peut y en avoir qu’une, la
leur. Point barre. Cela ne se discute pas. Les « réalistes »
postmodernes ont
une foi inconditionnelle dans l’argent mais dans leur grande largesse ils
tissent de propos vaguement élogieux les autres valeurs, la valeur de l’amour,
de la culture, de la famille, de la Terre, mais leur pensée centrale rester la
même. « Les affaires c’est les affaires ». « Le profit, c’est le profit ».
"L’argent, il en faut pour se payer une bonne vie". « L’argent ne fait pas le
bonheur… mais il y contribue ». Dans les paroles du réaliste c’est ironique et
complètement hypocrite. Le sous entendu, c’est : « cause toujours… Moi je
sais que l’argent, c’est ce qu’il y a de plus important, alors tes fadaises
philosophiques sur le bonheur, tu peux te les garder, je n’en n’ai rien à faire ».
La foi
inconditionnelle ... enferme l’Absolu
dans le dogme. Les « réalistes » postmodernes font de l’argent un absolu et de
tout le reste le relatif qui en dépend. Ils pensent à l’intérieur du culte
monothéiste de l’argent. Même quand ils se rendent à l’Église ou au temple… pour
prier Dieu de protéger leur commerce. Mais il y a pire. Nous avons vu que les
croyants dogmatiques, parce qu’ils ne font qu’exprimer une forme d’ego
collectif, ont besoin d’ennemis pour renforcer le sentiment qu’ils ont
d’eux-mêmes, d'être un « nous » face à «eux». Le même schéma égotique se
réplique dans la religion avec l’argent. Ceux qui font de leur richesse une
identité, ont besoin de leurs ennemis, les pauvres pour sentir leur supériorité,
car cela renforce leur sens du moi. Nous disions que si tout le monde
était croyant de la même foi, cela affaiblirait le sens de l'identité. Si tout
le monde était riche l’argent perdrait illico sa valeur comme investissement
égotique.
Inversement, ceux qui font de leur pauvreté une part essentielle de
leur sens de « moi », ont ...tout en les enviant en secret. ... dans la même illusion dans une société dans laquelle il est implicitement
admis que la valeur d’une personne se mesure avant tout par la taille de son
compte en banque. Hegel disait que le dominant savoure sa supériorité en lisant
la peur dans le regard terrifié de celui qui est dominé. L'esclave reconnaît lui
la puissance de celui qui le domine et voit confirmé son statut de dominé qu’il
reconnaît. L'un et l'autre renforcent leur sens du « moi ». La supériorité de
classe n’a donc pas besoin pour être étayée d’idéologie politique, elle n’est
pas sociale fondamentalement, à sa racine elle est psychologique. d'ailleurs
quand les idéologies politiques ne sont plus que des joutes verbales, demeurent
en sous-main les hiérarchies de l’argent et les luttes égotiques qui les
justifient.
Jean-Claude Carrière
dans L’argent, sa vie, sa mort, ajoute encore quelques remarques à cette
« théologie » de l’argent. Tout d’abord, une observation : « Si les Grecs et les
Romains honoraient un dieu du commerce, l’argent, l’argent en soi, simple outil
d’échange, où les maître du moment aimaient à frapper leur profil », n’était pas
perçu comme une divinité (texte) « à laquelle il serait possible
d’élever des statues,
d’adresser des prières. Il servait à lever des troupes, à payer des rançons, à
achever des alliances, à se procurer des terres, des esclaves ou des femmes ».
Bref, l’argent était instrument de pouvoir. L’argent « ne méritait ni
prière ni sacrifice. On n‘adore pas un outil ». « Que de chemin parcouru ! Quand
nous nous rapportons aujourd’hui à l’argent, c’est bien d’une vie qu’il est
question, d’une nouvelle forme de vie». La seule que nous sommes parvenue
à déifier, celle de l’argent. Et comme il ne reste plus
que cela qui semble
encore avoir une valeur, il faut bien y mettre tout l’attirail de la
religion,
des prophètes : les économistes avec les « orthodoxes » et les « hérétiques ».
Des sacerdotes qui célèbrent des rites simples et répétitifs (les
applaudissements de clôture des bonnes séances de Wall Street). Et c’est en
toute bonne foi que les mêmes diront devant les caméras qu’être à Wall Street,
c’est être du conseil de Dieu ! (Si, si véridique voyez Capitalism a love
story de M. Moore) Wall Street en lieu et place de la basilique Saint
Pierre. (texte) Et en dessous des cardinaux, toute la hiérarchie vénérable de la
finance
jusqu’aux prélats du
marketing
qui vendent la bonne parole au peuple. Ces derniers temps, la fascination que
l’argent exerce n’ayant fait qu’empirer, les croyants se sont dit que les seules
études méritoires dans ce monde étaient la finance ou le marketing. Mais attention la
vérité c’est que « le vrai riche est né pour être riche. Il est prédestiné.
Il s’agit d’un destin, d’un état naturel, qui ne peut se discuter ni se refuser.
C’est pourquoi les riches réservent le plus grand mépris aux nouveaux riches ».
Dit autrement, pour calquer la religion monothéiste il faut considérer qu’y a
des élus ou des miraculés. dans les 1% de la population
mondiale. Et si les 99% leur doivent respect, ultimement, c’est parce qu’ils
sont les élus du dieu argent que l’on contemplera extasié dans la lucarne
de la télévision dans des émissions et des séries télé sur les riches. Très
populaires. Et nous comprenons pourquoi. On pourra prolonger l'extase du
peuple lui
faisant
croire dans les miracles (par définition rarissimes) de l’ascension
sociale. On lui dira, pour lui laisser croire qu’ils en fera un
jour partie, que « les riches méritent de l’être par leur travail, leur
invention, leur activité ». Mais par contre, avec la même morale, il faudra
culpabiliser les pauvres. « Dans un pays de libre entreprise généralisée comme
les États-unis d’Amérique, si la misère est un malheur… elle est aussi, et
surtout une honte ». La preuve que si vous avez manqué de travail, de
persévérance, de rigueur, pour ne pas avoir suivi à la lettre les conseils
donnés par les apôtres de l’argent, vous avez mérité votre échec. « Toutes les
portes leur étaient ouvertes, toutes les armes fournies… They did’t make
it ». (texte) Donc vous êtes responsable de votre état lamentable et vous
méritez le blâme ; la pauvreté est « le fruit d’une activité « immorale ». Tout
pauvre est suspect. Tout pauvre a commis une faute. Il la paie. Par effet de
miroir, tout riche est méritoire et doit être félicité. Peut être même
récompensé » ! Fascination ultime : la société doit idolâtrer et couvrir d’or
les très riches pour leur richesse et vilipender et mépriser les pauvres pour
leur indécrottable pauvreté. Ou bien vous êtes de basse naissance et vous devrez
ramer pour survivre (le métro c’est pour les rats), ou
vous n’avez pas bien appris les leçons du capital et c’est bien fait pour vous
si vous galérez. Mais vous pouvez élever vos regards vers le ciel et regarder
...
Adam
Smith
dans La Richesse des Nations, en 1776, inventait un mythe devenu depuis
un présupposé majeur de l’enseignement de l’économie, l’idée selon laquelle les
premiers hommes auraient d’abord pratiqué le troc
(les flèches contre le poisson) et qu’ensuite on aurait inventé la monnaie pour
donner aux échanges plus d’ampleur, l’État débarquant à la fin pour garantir que
la monnaie était bien légale et non pas fausse et que tout un chacun
devait respecter des contrats. En
fait, comme le montre David Graeber,
cette représentation est dépourvue de tout fondement historique ; plus grave,
elle a pour effet de dissimuler les rapports de pouvoir et de
violence qui fondent historiquement l’usage de la monnaie. Nous avons
déjà examiné la question de la dette avant que ne paraisse La Dette, 5000 ans
d’Histoire et pour l’essentiel, les analyses de Graeber ne font que
confirmer ce que nous avions pressenti. Arrêtons nous sur les relations de
pouvoir exercées par
l’argent.
1) Sautons
directement au chapitre II de son livre. Que dit Graeber ? Qu’on nous a raconté
une histoire : « Il était une fois des gens qui utilisaient le troc. Voyant que
cela ne marchait pas très bien, ils ont créé la monnaie. Et l’argent nous a
amené le crédit. » Du troc au crédit, une sorte de ligne droite nous amènerait
donc à la situation actuelle. Si on regarde plus attentivement l’histoire, cela
s’est passé bien différemment ! Le crédit a d’abord été créé. La
monnaie physique est apparue quelques milliers d’années plus tard ». Nous avons
vu qu’un des grands mérites de Marcel Mauss a été de
démontrer que tout rapport social se fonde primitivement sur des obligations
mutuelles, sur ce qu’il appelle le don et le
contre-don. Le service rendu implique une
dette morale à venir, mais qui n’est jamais mesurée, on peut rendre plus que ce
que l’on a reçu ou moins, mais à travers le don mutuel se crée un lien social
fondamental. Il y a une différence entre dette
morale et dette marchande. (texte) Graeber
ne cite pas Mauss, mais développe exactement les mêmes idées. Depuis les débuts
de l’histoire humaine, les êtres humains se sont sentis redevables les uns
envers les autres, envers leurs parents et envers les dieux. En fait on a
depuis toujours utilisé comme interchangeables les notions de
devoir et de dette, et ce n’est qu’au fil du temps
que la notion d’obligation a été très adroitement déplacée vers le pouvoir
temporel
pour justifier l’allégeance envers la puissance de l’État au nom de la moralité. « Notre vie sociale a toujours été un tissu d’obligations
mutuelles, pour le meilleur comme pour le pire. Par exemple, on a trop longtemps
raconté que l’économie primitive était fondée sur le troc. Balivernes ! Pour
nourrir un échange en nature quotidien, il aurait fallu que chaque habitant d’un
village soit assez spécialisé pour fournir une production particulière, ce qui
semble aberrant. Ce n’était d’ailleurs pas le commerce, mais le don, qui
animait les relations sociales et générait des obligations mutuelles, parfois
généreuses mais aussi teintées de mauvaises intentions. Un cadeau peut dépanner
une personne dans le besoin, mais il induit parfois une humiliation ou une
relation d’obligé lourde de conséquences. Je te donne ma vache, mais ne t’étonne
pas si je viens un jour demander la main de ta fille… Notre langage est façonné
par la référence à l’obligation : « thank you », qui vient du verbe to
think et signifie « je repenserai à ce que vous venez de faire ». Le « merci
» français signifie que vous vous mettez « à la
merci de », en
position de subordination face à votre bienfaiteur ».
Adam Smith
n’avait que très peu de connaissances anthropologiques et il s’est livré dans sa
théorie de la monnaie à une reconstruction artificielle sans rapport avec
l’histoire réelle. « Il concevait une société idéale où personne ne doit rien à
personne, un monde mû essentiellement par l’intérêt personnel et le besoin
d’échanges instantanés entre égaux. La réalité est bien différente ». En fait le
crédit au sens où je suis redevable par rapport à un autre a été le premier mode
d’échange, ce n’est qu’ensuite qu’a été crée la monnaie. Le troc n’a été utilisé
que de manière exceptionnelle. Souvent quand on manquait de pièces pour les
échanges. Nous disposons de trésors d’informations remontant jusqu’à
l... « En Mésopotamie, une bonne part des écrits
cunéiformes concerne des documents financiers. Les bureaucrates des temples
dressaient une comptabilité précise des loyers dus sur les terres agricoles
louées aux paysans, et des prêts accordés, par exemple, après de mauvaises
récoltes. La monnaie était rare, on ne savait pas la produire à des millions
d’exemplaires, et elle ne constituait qu’une unité
de compte interne qui ne circulait pas vraiment. Dans la plupart des
civilisations, la monnaie a été utilisée comme
convention abstraite pour définir dans les registres, une valeur précise des
biens lorsque cela est nécessaire, en cas de litige ou de dédommagement ». De
plus,
point sur lequel insiste Graeber, si on y regarde de plus près - et les
exemples sont très nombreux- , la monnaie a été instituée dans les conquêtes
pour obtenir des peuples conquis des provisions de bouche destinées aux
soldats, en complément de quoi la collecte de l’impôt était instaurée. « L’État
romain ou les rois indiens distribuent des pièces à leurs soldats pour qu’ils
puissent s’approvisionner par eux-mêmes pendant les campagnes militaires, et se
chargent ensuite de récupérer cet argent par l’impôt » C’est le marché de
dupes : Ou bien je te prends ta récolte et tu y perds la vie ou tu acceptes mes
rondelles de métal et je reviendrai l’an prochain te demander une contribution !
Contrairement à ce que soutient Adam Smith rien de très « rationnel » dans cette
instauration, car il ne s’agit de rien d’autre que de légitimer après coup un
rapport établi par la force et de le faire perdurer en
établissant à l’égard du conquérant une obligation que la morale pourra
sanctionner. « L’histoire montre que le meilleur moyen de justifier des
relations fondées sur la violence, de les faire passer pour morales, est de les
recadrer en termes de dette – cela crée aussitôt l’illusion que c’est
la victime qui commet un méfait.
Les
mafieux le comprennent. Les conquérants aussi. Depuis des millénaires, les
violents disent à leurs victimes qu’elles leur doivent quelque chose. Au
minimum, elles « leur doivent la vie » (expression fort révélatrice), puisqu’ils
ne les ont pas tuées ». (texte)
Les rapports de domination ne peuvent perdurer quand ils ne sont fondés uniquement sur la violence physique, ils doivent être institués et c’est bien ce qui se produit quand sont inventées des obligations. Ces obligations ne peuvent donc pas être des « devoirs » abstraits à la manière de Kant. Le procédé est bien plus subtil et bien plus machiavélique, la dette jette un filet d’asservissement cautionné ensuite par la morale sociale. Et cela ne date pas du « capitalisme », car ce processus d’asservissement de l’homme par l’homme ne fait que suivre l’empire de la domination de l’homme par l’homme, de moi sur un autre. Par exemple : « Dans la civilisation sumérienne, on trouve une immense caste de captifs de la dette. Les prêteurs ont les moyens de saisir leurs actifs, leurs maisons, et même leurs proches – par exemple, les enfants du débiteur – en gage de remboursement. Ceux-ci peuvent alors être vendus comme esclaves ou prostitués. Le premier mot jamais utilisé pour exprimer le concept de liberté date de l’époque sumérienne, et se prononçait «amargi ». Au premier degré, il signifie « revenir chez sa mère » et décrit le retour dans sa famille de l’enfant gagé pour une dette. La chaîne que l’on brise ».
Preuve que la pression du pouvoir de domination exercée via la dette était terriblement efficace est la nécessité ressentie dans les périodes d’extrême tension d’apurer la dette pour relâcher la pression sur les peuples. « Dans l’Antiquité, chaque fois que la société est réduite au désespoir et au chaos par le surendettement, le pouvoir lâche du lest, efface certaines ardoises, lors de grands jubilés cosmiques. Ou bien, comme à Rome ou à Athènes, il allège directement le fardeau des plus démunis par des distributions de monnaie. C’est ainsi que l’on maintient la paix. Dans l’Histoire, les révoltes et révolutions ont été plus souvent motivées par l’envie de brûler les livres de comptes des créanciers que par celle de changer la société, de renverser les hiérarchies, voire d’abolir le servage ». (texte) Si les grandes religions ont pu faire contrepoids vis-à-vis du pouvoir, ce n’est pas en contestant les hiérarchies, mais parce que fidèles à leurs enseignements elles ont condamné l’usure. « Le Moyen Âge a mauvaise réputation, mais c’est pourtant à cette époque que l’on crée des institutions pour adoucir le sort des débiteurs et maintenir l’ordre : catholiques et musulmans bannissent le prêt avec intérêts. En Asie, les temples bouddhistes contribuent à humaniser le système de crédit et à lui donner une éthique ».
2) Il y a donc nécessité d’opérer une clarification. Nous pensons que l’abus de pouvoir en politique c’est la liberté mise en servitude, la contrainte de l’enfermement des opposants, la suppression de la liberté d’expression et tuti quanti. Nous croyons que les puissances de l’argent constituent un autre pouvoir, un spectre qui est une menace permanente quant à l’exercice du pouvoir politique motivé par le souci du bien commun. Ce faisant, nous avons tendance à compartimenter ce qui de fait ne l’est pas. Depuis 200 ans dans le système de gouvernement représentatif l’argent permet de se faire élire et de s’acoquiner de plus en plus étroitement avec les puissances de l’argent. L’intrication est telle qu’au final la volonté politique sert majoritairement les intérêts des 1% bien plus qu’elle ne se met à la disposition du bien commun pour les 99%. Historiquement, le gouvernement représentatif a été fondé par la bourgeoisie montante et elle ne s’est même pas cachée pour dire que le gouvernement représentatif n’était pas la démocratie. ... il ne restait plus qu’à inventer en direction des masses la plus extraordinaire supercherie : prétendre que nous étions en démocratie, que la démocratie était notre conquête, alors même que nous n’avons eu de cesse, décennie après décennie, de construire en sous-main une oligarchie financière.
Si ... côté de l’argent, nous
pourrions nous rendre compte que bien des horreurs que nous attribuons aux
violences des abus de pouvoir peuvent aussi être
réalisées sous couvert de la domination de l’argent et à une échelle encore plus
vaste. Il existe un pouvoir de l’argent capable de mettre en servitude, de
contraindre à l’enfermement des opposants, d’attenter à la liberté, tout cela à
l’intérieur du cadre parfaitement légal du processus de dette. Il est entre les
mains des banques. Nous avons évoqué précédemment la
puissance hallucinatoire de l’argent et provisoirement laissé de côté le
registre en apparence plus neutre et fonctionnel de
la monnaie. Tout le monde sait qu’il y a un
lien entre ceux qui ont beaucoup d’argent et qui prêtent et ceux qui n’en n’ont
pas et doivent emprunter. Mais peut-on séparer
la monnaie et la
dette ?
Seulement en théorie, pas dans la réalité, nous avons vu en effet que nous
sommes aujourd’hui parvenus à un point où 95% de l’argent en circulation est de
l’argent-dette. Un peu de lucidité toute de même, il
complètement stupide de raisonner sur la monnaie avec un concept d’échange qui
n’a pas court, qui n’a plus rien à voire avec l’état de fait actuel. Cela
reviendrait
à
se laisser abuser par des abstractions et ne plus voir les choses en face.
Certes,
Aristote avait raison, l’usage sain de la
monnaie ferait d’elle un simple intermédiaire. Mais déjà à son époque, il ne
ménageait pas ses critiques quant à la corruption de l’échange. Il savait très
bien dans quelle perversion nous
pourrions tomber à partir du moment où l’usure deviendrait non l’exception mais
la règle. Nous ne sommes pas dans le cas de figure d’une société saine dans
laquelle l’échange serait équilibré et équitable. Nous sommes dans une économie
malade ou les déséquilibres et les inégalités sont extraordinaires, et la
maladie dont souffre l’économie est une leucémie
provoquée par la dette ; une leucémie car c’est le
sang qui est atteint et qui gangrène tout le reste. Donc, si la dette a
toujours été un instrument de pouvoir, par quelle opération magique pourrait-il
en
être
autrement aujourd’hui ? C’est la même histoire qui continue et l’homme n’a pas
changé. La même avidité, mais surmultipliée, magnifiée, déifiée sans que l’on y
prenne garde. La même hubris démentielle de l’ego devenue le mot d’ordre
de la dernière idéologie qui tienne encore debout, le
profit. Il fallait une sacrée propagande pour
nous faire avaler le contraire en prétendant que le système laissé à lui-même
allait se « réguler ». Ah « la main
invisible » ! Parangon de toutes les vertus. Le « marché » ! Ce tour de
magie a été accompli dans le discours des
économistes libéraux qui, par un
enchantement prodigieux, sont parvenus à nous faire croire que nous pourrions ne
tirer de la dette que des avantages, sans qu’elle ne vienne gangrener nos
libertés… En les rendant fictives. Illusoires. Il fallait donc lors de la
crise de 2008 « sauver les banques ». C’est
incroyable les sommes d’argent que l’on peut trouver pour les banques, des
milliards, quand on doit par ailleurs mendier auprès de l’État pour le service
véritable du bien commun !
Mais du
tréfonds de cette illusion règne
l’atout maître : la croyance que toutes les dettes sont légitimes, que
toutes les dettes sont arrimées à une obligation
morale de devoir être remboursées. Le détour historique proposé par David
Graeber fait hurler la sonnerie du réveil. Non l’échange vertueux entre les
êtres humains n’est pas marchand et
ne se mesure pas en termes d’argent. Non, toutes les dettes ne sont pas
légitimes, il
faut
faire la part de celles qui le sont et de celles qui ne le sont pas. Par
ailleurs, pour éviter l’exposition sociale d’une pression mortifère de la
dette, les anciens avaient la sagesse de prononcer
le jubilée de l’abolition
des dettes. Ce qui nous sauverait aujourd’hui. Ce qui bride le courage d’une
telle décision est l’attachement moral à un principe qui semble condenser à lui
seul l’idée d’obligation. Le devoir par excellence, ce
n’est pas de ménager un avenir pour nos enfants, ce n’est pas de porter secours
aux défavorisés, ce n’est pas de tout faire pour améliorer les conditions de
vie, d’accorder
une
importance cruciale à l’éducation, non, non, le
devoir… c’est de rembourser les dettes auprès des banques !
Impératif catégorique. Tout le reste est
dans la marge. Et il y a des gens haut placés pour croire naïvement que si on
payait nos dettes auprès des banques, nous aurions plus d’argent pour le reste.
Mais ce n’est vrai qu’au niveau strictement individuel, en réalité, c’est faux
au niveau collectif. Le système économique actuel est ainsi fait que s’il
n’y avait pas de dette contractée auprès des banques, il n’y aurait pas
d’argent du tout ! Pas de dettes, pas d’argent. Donc, non seulement il
faudrait un jubilée des dettes, mais immédiatement après une réforme
radicale du système économique. Rendre la monnaie aux
citoyens. Notre situation est bien plus
dramatique que ce que laisse circuler à tire
d’informations les mass
media quand elles parlent de la « crise ». On est véritablement au bout du
rouleau. Et il faut le voir en face, ce qui revient à défaire l’illusion dans
laquelle nous sommes enveloppés.
Marx a soutenu que l’argent était une aliénation de l’humanité. Difficile d’aller contre, le témoignage de l’Histoire parait accablant. Mais sur quel fondement ? N’est-il pas enveloppé dans une histoire de pouvoir dans lequel est devenu au fil des temps un instrument de plus en plus efficace ? Il est inutile de recourir à la force quand on peut tenir des individus, des communautés et des peuples par la dette. Ils dépendent déjà pour leur survie du travail que le capital daigne leur offrir. Selon Marx, le rôle de la superstructure idéologique d’une société, la pensée de l’élite dominante, est de légitimer la relation de domination. La religion détournée de ses origines pour sacraliser l’allégeance aux puissants comme représentants de Dieu. La morale convoquée pour honorer la soumission envers ceux à qui on doit tout. Le droit pour finir, pour inscrire l’obligation dans une norme inviolable permettant de conforter l’ordre établi, la force fondant le droit, mais se dissimulant derrière lui. Est-ce à dire qu’existe une puissance mystérieuse appelée « argent » au sommet de la pyramide ?
1) Bref, si
on allait jusqu’au bout du raisonnement, on dirait que depuis toujours, une
élite
a établi la
hiérarchie qui pourrait lui répondre et
qu’elle pourraient utiliser à des fins de contrôle, en parvenant à convaincre
l’individu soumis qu’il était au fond sans valeur, ou que sa seule valeur devait
être de servir. (texte) Et même si des siècles se sont écoulés, nous conservons encore
de ces structures mentales archaïques. Nous disposons encore de
hiérarchies contrôlées établies par une élite
dominante. Il en reste des traces visibles dans la manière dont l’État moderne
use de la police et de l’armée. Il y a encore trace de cette mentalité
archaïque chez les hommes politiques, dans les religions, dans les entreprises.
Des gens sont formés selon cet ancien modèle pour intimider ceux qui sont plus
bas qu’eux dans l'échelle sociale. C’est
ainsi que perdurent encore les manières de faire caractéristiques du
pouvoir
sur autrui (qui n’est pas le pouvoir avec), d’un pouvoir qui, cherche
à obtenir une obéissance inconditionnelle tandis que ses agents flattent avec
une révérence mêlée de crainte ceux qui sont plus haut dans leur hiérarchie. La
seule différence, c’est qu’à notre époque, le voile jeté par l’argent sur les
relations de domination les rend moins visibles. On pourrait même aller jusqu’à
dire que lorsque l’illusion atteint sa pleine puissance, la fascination
collective exercée par l’argent fait voir les plus riches
au-dessus des normes
morales tout en faisant admettre qu’elles ne valent que pour les masses. Ce qui
en bas relèverait du crime
devient en haut des « frasques ». Quand l’argent
nimbe de ses flagrances irrésistibles le vice, le vice cesse d’être identifié
comme tel et devient « normal » pour un ordre du monde qui n’appartient qu’aux
puissants. ... qui doivent vivre sous la férule
des lois, mais qui rêvent d'une liberté
liberté fantasque que l'argent seul promet.
Penser à l’intérieur de ce
brouillard de représentations
confuses étourdit tout jugement critique et
empêche de voir les choses comme elles sont.
Qu’est-ce que la richesse ? Selon la théorie économique classique, il n’y a de création de richesse que lorsque qu’une entité (individuelle ou collective) produit des biens et des services et qu’elle est en mesure d’échanger cette production, via la monnaie, contre d’autres biens ou d’autres services. - La monnaie étant théoriquement la mesure de cette richesse- . Nous avons employé précédemment le mot prospérité, pour désigner le bien être général du corps social qui en résulterait. Un peu comme on dit qu’un arbre est prospère quand il est vigoureux parce qu’il trouve dans ses racines de quoi se nourrir et prospérer.
Mais y
a-t-il un rapport entre cette définition et le monde dans lequel nous vivons ?
Peut-on encore décemment considérer la monnaie comme une mesure de la richesse
quand elle représente à 95% de la dette générée par les banques ? Ce serait le
cas si elle était émise de manière limitée par l’État dans une
démocratie réelle, en adéquation
stricte avec les biens et les services produits au sein de la communauté
politique. On ne génèrerait pas plus de monnaie qu’il n’y aurait de richesse
crée et celle-ci correspondrait trait pour trait à l’économie réelle. Tout ceci
bien
sûr au conditionnel car nous ne sommes pas du tout dans ce cas de figure. (texte)
Au risque de nous répéter, nous avons vu que l’essence du capitalisme réside dans l’accroissement du capital, donc du profit, (texte) il en résulte que dans le système économique qui est le nôtre, la richesse se mesure aux bénéfices générés et surtout accumulés, donc dans les sommes déposées sur des comptes en banques : du capital. En 2014 on a mesuré que la moitié de la population de la planète, 3,6 milliards d'êtres humains, possèdent la même fortune que les 85 personnes les plus riches. La richesse des 1 % des ultra-riches s´élève à 110 mille milliards de dollars, 65 fois la richesse totale de la moitié la plus pauvre de la population mondiale. De 1980 à 2012 les 1% ont fortement augmenté leurs revenus dans les 26 pays dont nous disposons des données. 95% de ce qui est considéré comme attributs de la croissance depuis 2009 ne concerne que les revenus les plus riches. Dans la plupart des pays développés, la part des revenus détenus par les 10% les plus riches a fortement augmenté depuis 2007 et celle des 40% les plus pauvres a diminué. Tous ces chiffres parlent de l’argent déposé sur des comptes en banque et si les riches ne connaissent pas la crise, c’est bien évidemment que la monnaie n’a plus du tout la fonction qui devrait être la sienne.
La « richesse » telle qu’on l’entend aujourd’hui a-t-elle un rapport avec la prospérité d’une nation ? Provient-elle de la création de biens et de services ? La richesse circule-t-elle sous la forme d’un accroissement de biens et de services ?
La logique
de capitalisme, parce qu’elle vise la maximisation du
profit, née d’une abstraction de la richesse concrète, devait infailliblement
mener à une conséquence : le profit est d’autant plus grand qu’il s’abstrait
complètement du monde réel et est obtenu en faisant
travailler l’argent sur l’argent,
indépendamment de l’économie réelle. L’apothéose de capitalisme c’est la
spéculation. (texte) Nous
l’avons vu, plus une entreprise est « riche », plus elle cherche à placer ses
bénéfices en Bourse pour les faire fructifier. La différence entre une petite
entreprise dont la valeur est faible et une grosse entreprise, c’est le fait que
seule la seconde est cotée sur le marché. L’introduction en bourse fait
entrer dans le monde de l’argent qui, même si certains prétendent le
contraire, est un monde parallèle, largement
déconnecté du réel. L’essentiel
dans
ce
monde n’est pas l’échange lui-même et moins encore la qualité des biens et des
services rendus, mais le fait qu’un titre soit attractif pour les
investisseurs ; que l’on trouve des gens riches pour prendre des jetons au
casino et se rendre à la table de jeu. En l’occurrence pour une entreprise des
actionnaires. L’actionnaire, motivé seulement par le profit se contrefiche de la
valeur travail au sens concret, lui dont la
profession consiste plutôt à faire « travailler » l’argent.
(texte) Il ne s’agit
plus dans ce système que de faire accroître l’argent en misant sur des titres.
Par conséquent, une fois que la logique du système s’emballe, dans la fièvre de
l’argent, on assiste à une multiplication des
titres. A leur surévaluation.
Des titres pour tout et n’importe quoi : sur le cours du blé, les aléas du
climat, les risques des maladies, les défauts de paiement prévisibles compensés
par des saisies, l’assurance prise sur la
stabilité d’un prix, l’assurance vie prise sur la mort d’un employé (rustre
mort) etc. Le mécanisme qui permet de gagner de l’argent, ce n’est même plus
la hausse, mais seulement les
fluctuations à la hausse comme à la baisse. On peut même éliminer les
traders et laisser faire des robots informatiques manipulant des algorithmes à
la vitesse la plus rapide possible. Autrefois on gardait un titre en moyenne
pendant cinq ans. Dans le trading haute
fréquence c’est quelques secondes.
L’argent ainsi défini n’a plus rien à voir avec l’idée de monnaie d’échange. C’est tout le contraire, il est fait pour être retiré de l’échange pour circuler en interne, c’est, disions-nous, un peu comme sur le cœur qui fait circuler le sang dans tout l’organisme, décidait de faire du « stock option » en accumulant le sang dans une poche pour l’accroître démesurément, dans le dépérissement progressif du reste de l’organisme. Jusqu’à ce qu’un krach boursier vide brutalement la poche, déflagration qui elle ne sera pas sans conséquences car le sang vampirisé par la finance provenait bien d’une économie réelle et elle devra en payer le sacrifice. (texte) Mais dans ce monde en folie on oublie vite et le mirage de l’argent facile est plus fort que tout, faute d’intelligence et d’esprit. Comme l’émulation autour de l’argent est sans cesse relancée, (texte) nous endoctrinons très tôt nos enfants. Ils vivent dans des jeux vidéo alors ils sont déjà familiarisés avec le virtuel. Les meilleurs iront dans de grandes écoles, ils apprendront à « se vendre », surtout dans les articles de luxe. La crème des mathématiques ira dans la finance. Les moins bons, mais tout aussi bien dressés chercheront les bonnes combines pour se faire beaucoup d’argent… sans travailler, mais en essayant de boursicoter au mieux. Et les plus désespérés, qui n’ont qu’un pauvre travail ou pas de travail du tout, mais qui sont convaincus, iront au café du coin acheter des tickets de jeux, en espérant comme les autres gagner un jour… beaucoup d’argent !
2) Résultat ? Les nantis qui possèdent beaucoup d’argent, n’en font que rarement bon usage et ils détruisent la valeur de l’argent en ... A l’autre extrémité, ceux qui n’en n’ont pas assez, deviennent souvent aigris et amer au risque de verser dans la délinquance.
Mais l’argent qui en tant que monnaie d’échange n’y est pour rien. Il n’est pas en soi « mauvais », au point que nous devrions y voir le symbole du mal. Il n’est pas « bon » en soi au point qu’il y aurait une vertu à l’accumuler, dans la croyance fallacieuse qu’il nous rendrait intérieurement plus riche. L’argent reflète l’énergie que nous manifestons dans le monde, énergie qui est portée par la qualité de la conscience de chacun. L’argent est chargé de la haine, de l’avidité, de l’espoir, de l’angoisse, des fantasmes, dépassé par la générosité suivant l’élan qui le porte. Il est coloré par l’usage que nous pouvons en faire, en l’utilisant avec bon sens ou en le chargeant du meilleur comme du pire.
Maintenant, qu’est-ce qui permet à une
communauté de prospérer ? La contribution de chacun au bien commun : De
celui qui participe en bénévole à une association de quartier. D’un autre qui
anime des ateliers créatifs de dessin, de réparation de vélo ou de jardinage. On
encore qui fait du soutien scolaire. Etc. il faut élargir. Après tout, celui qui
donne de son temps pour faire avancer un projet open source contribue
aussi à la richesse collective, de
même
que celui qui tient un site Internet et partage son savoir dans tel ou tel
domaine. ... qui part voyager une année autour du monde et revient enrichi de
nouvelles perspectives et fin prêt pour se donner à fond au projet qui lui tient
à cœur ?
Vaut-il moins
que cet autre resté derrière son bureau pour faire un travail dont on se demande
quelle contribution il peut avoir au bien commun ? C’est la
richesse humaine qui rend le monde meilleur et
rien d’autre, qu’elle soit mal reconnue, mal rétribuée à sa juste valeur ou pas
rétribuée du tout.
Nous entendons tourner en boucle l’idée
que l’on « manque de moyens » l’ironie, c’est que des moyens, nous en avons en
abondance, mais ce n’est pas du tout la richesse que l’on invoque d’ordinaire.
C’est la richesse humaine qui rend le monde meilleur, si tant est
qu’elle puisse le faire sans être entravée. Si seulement nous pouvions
évaluer la richesse non pas en terme d’argent, mais dans la capacité créative
des hommes à rendre le monde meilleur, nous nous apercevrions que nous jouissons
d’incroyables richesses qui ne demandent qu’à être partagées. ... car le partage se fait à travers la monnaie et elle
reste à l’heure actuelle indispensable pour que chacun puisse vivre décemment.
Or la monnaie est prise dans le corset très serré de la dette qui au final
... Son fonctionnement est
aliéné dans un système financier qui se contrefiche du bien commun. Ce que nous
avons oublié, c’est que la fonction première de l’argent n’est pas d’être une
richesse, mais seulement un intermédiaire pour
faciliter l’échange des vraies richesses. Les surimpositions
maladives que nous avons projetées sur l’argent on fini par nous mettre dans une
situation démentielle où paradoxalement l’argent manque et où les richesses
abondent. Et nous filons notre existence légère de consommateur, le nez en
l’air, au milieu des contradictions les plus
folles
en
attendant qu’elles nous éclatent à la figure. Il y a des gens qui passent leurs
journées avec l’estomac vide, et on jette à la poubelle en moyenne 43 % de notre
nourriture. On n’a pas d’argent pour payer des infirmières et des profs dont on
a cruellement besoin, mais il y a des montagnes d’argent qui sortent des
contribuables pour aller vers les banques. Pour quoi faire ? Pour alimenter des
jeux de casino stériles. Ceux sont les mêmes politiques qui disent que nous
manquons d’argent et qui laissent une manne financière prodigieuse dormir dans
des paradis fiscaux. Des personnes pleines de dévouement et d’abnégation
reçoivent un salaire de misère et on balance l’argent public à la pelle dans des
dépenses de prestige. Un chercheur qui se démène pour trouver un remède à une
maladie doit quémander de l’argent partout et on jette des fortunes à la figure
des vedettes du sport. L’argent qui dort, qui s‘accumule à foison et que l’on
fait grossir au casino ne sert à rien, et partout il manque là justement où les
initiatives se lèvent où l’énergie se dépense de manière vraiment utile. Mais
voilà… c’est trop bête ! Il n’y a pas de « moyens ! ». Les riches pourraient se
rendrent utiles en servant ceux qui travaillent, mais voilà, le fin du
fin dans le monde de l’argent, c’est de ne pas le dépenser, ... mais de le placer pour en obtenir encore plus,
afin d’en avoir encore plus, faire plus de profit pour en avoir encore plus,
même si cela ne sert à rien ! Et au bout du compte, ceux-là qui sont les plus
riches, les 1%, lors d’une crise financière, coûteront très cher aux 99%
(les pauvres qui devront payer aux riches), car il faudra renflouer les banques
sur le dos du contribuable. Une ligne d’écriture informatique sur un compte qui
ne sert à rien vaut plus que le bien-être de centaines de milliers de personnes.
Parce que filtrée par les croyances
inconscientes, elle gonfle d’importance celui qui en dispose et que les
masses sont étrangement subjuguées devant ces gens qui semblent bien plus
puissants, puisqu’ils sont très riches. Il faudrait se réveiller. Sortir de l’égarement.
Voir toute cette folie. C’est là que la révolution de l’esprit peut ... aliénation culturelle
parce qu’à la racine aliénation psychologique.
* *
*
Notons qu’à travers la perspective étudiée précédemment de l’homme augmenté, l’idée qui nous a servi de point de départ, d’une sorte de recherche inconsciente de l’immortalité par l’argent, se voit largement confortée. Si on écoute les discours transhumanistes, les riches pourront bientôt se payer l’immortalité. Ils tenteront une nouvelle fois par là de montrer qu’avec l’argent on peut s’approprier plus de vie, peut être un pu plus de cette lumière de la vie, de cette lumière qui donne à l’or son éclat. Cette brillance qui, si nous disposions en abondance à l’intérieur de nous-même… nous rendrait très vivant. Mais peut on acheter la vie ? N’est-ce pas dès le début une illusion que de croire que nous pouvons la posséder, alors que c’est elle qui nous tient ? Qu’est-ce qui nous rend profondément vivants ? Qu’est-ce qui fait qu’un être humain peut exulter et se sentir riche de toute vie possible ? Qu’est-ce qui nous met en contact avec la richesse des richesse, la plénitude la Vie ?
L’argent ? Il est facile de penser qu’il se confond avec la joie, parce que souvent il la déclanche. Parce que c’est la joie que nous cherchons. Au fond toute l’arrogance de l’argent est de se donner à croire qu’il condense toute la valeur désirable contenue dans la joie. Cela ne marche jamais, car l’argent n’est qu’une occasion et que la joie véritable est sans objet. Mais qu’importe, l’illusion peut toujours être relancée et il faut qu’elle le soit car l’ego en a besoin. La jouissance du pouvoir de l’argent est précisément pour l’ego de lire dans des regards extasiés et envieux un ascendant et une adhésion inconditionnelle. Ce n’est pas la sécurité que promettait l’argent, ce n’est pas la paix, ni même la joie, mais un plaisir et une flatterie de sentir qu’on est au dessus et supérieur à d’autres.
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© Philosophie et spiritualité, 2014, Serge Carfantan,
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