Leçon 179.       Pourquoi la démocratie ?       pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

   Un régime politique est un système par lequel s’exerce le pouvoir politique et se légitime son autorité. Dans la liste classique on distingue la monarchie, gouvernement du roi, appelé monarque. Elle est dite « absolue » quand le roi détient tous les pouvoirs. On entend par aristocratie un pouvoir politique exercé par une classe sociale, une noblesse et qui exerce, comme pour les chevaliers, ou les kshatriyas de l’Inde ancienne, de la puissance militaire.  Quand le pouvoir politique se réduit, pour être entre les mains d’un très petit nombre de personnes, on parle d’oligarchie. Quand  il dérive pour devenir un gouvernement entre les mains et au service des riches, on parle de ploutocratie. La conception d’un gouvernement des hommes par eux-mêmes dans laquelle l’État, en tant qu’institution, est dissolu est appelé anarchie. Enfin, on appelle démocratie, le pouvoir (kratos) direct du peuple (demos) ou le pouvoir du peuple par lui-même.

    S’il est un sujet sur lequel règne un consensus solide dans nos sociétés actuelles, c’est bien sur le fait que la démocratie est le seul régime qui mérite nos faveurs, si bien que se dire « démocrate » aujourd’hui n’a plus grand intérêt car tout le monde l’est et personne ne conteste (ouvertement ?) le bien fondé de la démocratie comme régime politique. Cependant, cela ne veut pas dire que nos raisons soient identiques. Donc, la meilleure façon de tourner la question serait : Pourquoi voulons-nous la démocratie ? Est-ce parce qu’elle est le seul régime conforme avec notre aspiration à la liberté ?  Ou, plus trivialement, parce qu’elle est le seul régime compatible avec l’économie de marché ? Est-ce une sorte de choix par défaut à la manière de Churchill disant que la démocratie est le pire des régimes… à l’exception de tous les autres !

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A. Un idéal ou un aléa historique?

    Nous avons vu précédemment que la conception de l’État des grecs était centrée sur la Cité. C’est un mot qu’il vaudrait mieux conserver et garder le terme d’État pour désigner le gigantisme de nos structures actuelles qui n’a aucun rapport avec la modestie de dimensions de la Cité grecque. La Cité c’est la politique à dimension humaine. Pour Aristote, la Cité est naturelle, car dans l’extension de la famille et des clans. Les citoyens ne doivent pas être trop éloignés les uns des autres pour pouvoir régulièrement s’assembler. Cependant, à Athènes, tout le monde n’était pas citoyen et seule une partie des citoyens, 6000, se réunissait à l’assemblée de l'Ecclésia. La petitesse des structures ne suffit pas pour rendre possible une démocratie « parfaite » (Ce qui n’a en fait jamais existé). Les droits accordés aux hommes en général et ceux qui était accordés aux citoyens n’étaient pas identiques.

    ---------------1) Pour comprendre en quoi la démocratie constitue un idéal, dont la réalisation historique a toujours été difficile, partons de l’autre terme avec lequel on la confond toujours, le terme de République. Le terme de république veut dire « res » la chose, « publica », publique, autrement dit, l’intention d’organiser un bien commun. Une République se doit par essence d’être bien ordonnée, au sens où elle est une société d’hommes libres rassemblée afin de bien vivre. Une île livrée à des pirates qui n’ont en vue que le pillage, une région livrée à des troupes de brigands, n’est pas « ordonnée ». La Souveraineté du peuple n’est pas manifestée, le souci du bien commun n’est pas porté. Quand on lit Kant et Rousseau, on voit qu’ils donnent leur adhésion sans réserve à l’idée de République. Mais la manière dont on parvient à ce résultat au moyen de tel ou tel régime, c’est autre chose. On peut donc être républicain, sans pour autant être démocrate (texte). Pour Kant, l’essentiel dans une République, c’est qu’y règne un état de droit, qu’il y ait un système représentatif permettant de voter des lois. La République idéale accompli le règne des fins de la raison. La démocratie en tant que régime est nécessairement républicaine, mais une République n’est pas forcément démocratique. Pour la plupart des auteurs classiques, il est possible de confier le souci du bien commun à une seule personne, si on considère qu’elle a les compétences nécessaires pour préserver la République.  Machiavel lui-même est attaché à la République, parce qu’il a fort bien compris le principe de la raison d’État. Mais cela ne fait pas de lui un démocrate, notamment parce qu’il refuse un principe auquel nous sommes attachés en démocratie, celui de la transparence.

    2) La question du régime politique se pose à partir du moment où nous nous demandons quel est le meilleur gouvernement offrir à une République. Cette question, c’est exactement celle qui est développée par Platon dans le livre VIII de La République . Un régime politique peut-il être imposé ? Ne résulte-t-il pas logiquement de ce que les hommes sont eux-mêmes ou de ce qu’ils sont devenus? Les formes de gouvernement viennent « des mœurs des citoyens, qui entraînent tout le reste du côté où elles penchent ». Ce sont les mœurs des hommes qui les inclinent à se doter d’un régime politique et leur régime est aussi un reflet de la manière dont chacun se gouverne lui-même. Ainsi serions-nous fondé à parler « d’homme aristocratique », ou « d’homme démocratique », pour désigner le type humain dominant dans un État à une époque historique donnée, type humain qui se dote des institutions qui lui ressemblent. Platon raisonne en partant d’une analogie (R) entre la maîtrise de l’intériorité et celle de la Cité ; par là il entend montrer par quelle logique les hommes sont conduits d’une forme de gouvernement à une autre.

    a) Dans la succession historique, Platon considère dans l’ordre d’abord ce qu’il appelle la timocratie. La timocratie est un régime politique « qui aime la victoire et l’honneur, formé sur le modèle de gouvernement de Lacédémone». Le mobile central de l’homme timocratique est la recherche de la gloire au sens où il attache une valeur au fait d’être jugé digne, récompensé, honoré ou admiré dans la Cité. Ce régime est fortement militarisé, ce qui veut dire qu’il est en quête de chefs intrépides et qu’il favorise une éducation où prédomine la gymnastique, l’entraînement guerrier et la chasse… et délaisse l’éducation intellectuelle. « La raison… alliée à la musique ; elle seule, une fois établie dans l’âme, y demeure toute la vie conservatrice de la vertu ». Mais dans une Cité de ce genre, il demeure un sens de la vertu, mais qui n’est pas une vertu de l’intelligence, mais plutôt le courage, l’ardeur généreuse, l’ambition. Soucieux des apparences, l’homme timocratique en a aussi la vénération, d’où le l’importance de la bonne réputation et non pas celle du mérite réel. Ce qui va le corrompre de l’intérieur, c’est que les citoyens de la timocratie vont peu à peu être porté à rechercher la richesse, ce qui va conduire le régime à un point de rupture. « Leur passion du gain fait de rapide progrès, et plus ils ont d’estime pour la richesse et moins ils en ont pour la vertu… Quand la richesse et les riches sont honorés dans une cité, la vertu et les hommes vertueux y sont tenus en moindre estime ». 

    b) Le régime timocratique va donc se naturellement se dégrader dans le régime appelé oligarchie. L’avènement de l’oligarchie se produit quand quelques uns s’emparent du pouvoir par la richesse. Un changement de valeur s’est produit, l’homme oligarchique vénère en tout premier lieu l’argent et sa conception du pouvoir le porte à organiser le bien public sur son accroissement au profit de quelques uns. « Les citoyens finissent par devenir avares et cupides ; ils louent le riche, l’admirent et le portent au pouvoir, et ils méprisent le pauvre ». Ce qui va exposer l’État à toutes sortes d’erreurs, car en cherchant à enrichir les riches, il appauvrit les pauvres et se trouve peu à peu conduit à son propre renversement par le peuple lui-même. Les riches ne sont pas les plus compétents pour

    c) Le régime oligarchique va naturellement se dégrader dans le régime appelé démocratie. En effet, la multitude opprimée par les excès et les contradictions de la politique de l’argent, elle va se révolter, renverser les riches et s’emparer du pouvoir. « La démocratie apparaît lorsque les pauvres ayant remporté la victoire sur les riches, massacrent les uns, bannissent les autres, et partagent également avec ceux qui restent le gouvernement et les charges publiques ». (texte) Dans la démocratie, les citoyens « sont libres… la cité déborde de liberté et de franc-parler, et … on y a licence de faire ce que l’on veut». Et « Partout où règne cette licence chacun organise sa vie de la façon qui lui plaît ». L’opinion est rendue à chacun, et chacun est censé donner son avis en matière de décision publique. C’est la bigarrure de l’opinion. Et en ce sens, de ce type de gouvernement « il y a des chances qu’il soit le plus beau de tous. Comme un vêtement bigarré qui offre toute la variété de couleurs, offrant toute la variété des caractères, il pourra paraître d’une beauté achevée ». Nietzsche parlera lui de « vache multicolore » pour désigner la démocratie de son époque. Platon voit dans la démocratie un régime agréable, plutôt désordonné dans son pouvoir (tendance à l’anarchie), « qui dispense une sorte d’égalité aussi bien à ce qui est inégal qu’à ce qui est égal ». Bref, le relativisme est la vue qui sied le mieux à la démocratie.

    Comme pour les régimes précédents, il faut considérer l’homme type. Qu’est-ce que l’homme démocratique ? Pour répondre, Platon va étonnamment insister sur la différence entre désirs nécessaires et désirs superflus. L’homme démocratique hérite de la maladie dispendieuse du régime précédent. Son goût pour la licence des moeurs, qu’il revendique au titre de liberté, le porterait aisément à mépriser la sagesse des anciens et la tempérance. Il est dans sa force un Calliclès, traitant la pudeur d’imbécillité, la tempérance de lâcheté, il se moque de la modération et de la mesure dans la dépense. Il aime à l’excès « une foule d’inutiles désirs ». « Il ne dépense pas moins d’argent, d’efforts et de temps pour les plaisirs superflus que pour les nécessaires. Et s’il est assez heureux pour pousser sa folie dionysiaque trop loin, plus avancé en âge, le gros du tumulte étant passé,… il établit une espèce d’égalité entre les plaisirs». « Il soutient que tous les plaisirs sont de même nature et qu’on doit les estimer également ». L’hédonisme est très démocratique. La démocratie tolère toutes les préférences, car elle est le régime de l’homme bigarré. Et l’excès de licence finit par perdre la démocratie : « l’excès de liberté doit aboutir à un excès de servitude et dans l’individu et dans l’État ». (texte)

    d) Le régime démocratique va naturellement se dégrader dans le régime appelé tyrannie. « La tyrannie n’est donc issue d’aucun autre gouvernement que la démocratie, u

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Vos commentaires

Questions :

1.       Qu’est-ce qui peut bien faire dire à certains que nous ne vivons pas en démocratie mais dans une oligarchie ?

2.       Qu’est-ce qui fait la faiblesse de la démocratie ?

3.       Sous quelles conditions la démocratie pourrait-elle être un régime idéal ?

4.       La prise de conscience de notre citoyenneté terrestre modifie-t-elle notre conception de la démocratie ?

5.       La société de consommation est-elle une conséquence directe du choix de la démocratie comme régime politique ?

6.       Faut-il en appeler à une tyrannie bienveillante pour  restaurer un équilibre dans notre monde en crise ?

7.   Y a-t-il un rapport entre l’empire grandissant de l’ego et le régime démocratique ?

 

     © Philosophie et spiritualité, 2008 Serge Carfantan,
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