Leçon 222.    La leçon des Lumières      pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    La pensée occidentale a été découpée en périodes dont celle de la Modernité suivie du Siècle des Lumières. La Modernité s’ouvre avec Descartes et Galilée et le projet inaugural de la techno-science, parvenu jusqu’à nous avec le succès que l’on connaît. Descartes a en son temps opéré une rupture avec le Moyen-Âge, pendant lequel la philosophie ne devait être selon les mots de Saint Thomas d’Aquin que la « servante de la théologie ». Il y a chez Descartes une volonté explicite de placer l’exercice de la philosophie sous l’autorité de la lumière naturelle de l’intelligence présente en tout homme. L’expression « lumière naturelle » entre dans le langage des érudits et se retrouve chez Pascal, Malebranche, Spinoza ou Leibniz. Descartes est parvenu à faire admettre que la lumen naturale, « lumière naturelle » suffit pour toute question d’ordre scientifique. Ainsi, par exemple, il n’est pas nécessaire de croire pour rencontrer l’évidence dans le domaine des mathématiques. La raison suffit pour accéder à l’universalité du vrai, elle n’a pas besoin d’autre appui que l’évidence. Par contre, en matière de compréhension des Écritures et de Mystères, il est besoin de lumières surnaturelles, celle du dogme et celle de la foi qui passe la raison. C’est un dilemme typique de Pascal. La foi relève d’un ordre qui est au-dessus de la raison, et non pas contre.

    Cela n’a l’air de rien, mais cette distinction est prodigieuse de conséquences, car, après des siècles et de siècles de subordination, elle autorise une véritable émancipation de l’esprit en dehors de la tutelle de l’Eglise. Quand les historiens parlent du « siècle des Lumières », ils ont bien sûr en vue le rayonnement au XVIIIème, d’une République des Lettres éclairée, avec un certain nombre de grands noms : Voltaire, Rousseau, Diderot, d’Alembert. Mais il ne s’agit évidemment pas seulement de littérature, mais surtout de diffusion du savoir, d’où l’importance centrale de l’Encyclopédie. (doc) Le siècle se veut éclairé de la lumière du savoir et non plus des lumières de la religion. Et si le grand siècle se veut éclairé, comme la lumière s’oppose à l’obscurité, le savoir s’oppose à l’obscurantisme. Il est indiscutable que la diffusion de la philosophie des Lumières a pris très tôt une inflexion anticléricale qui n’a fait que se développer avec le temps.

    Nous laisserons ici de côté la dimension purement historique que le lecteur pourra trouver abondamment exposée ailleurs. Nous nous attacherons au sens du tournant que constitue le siècle des Lumières. Quel est le point de vue le plus pertinent pour le considérer ? S’agit-il de nous gausser avec fierté d’une période d’histoire pour la donner en exemple ? Après tout les Italiens font de même avec la Rome antique. Ce serait idéologique et futile. Non, l’enjeu est ailleurs. S’agit-il d’une leçon d’émancipation politique ? D’un plaidoyer en faveur du savoir scientifique ? La leçon des Lumières n’est-elle pas surtout une sorte de déclaration d’indépendance de l’esprit vis-à-vis de l’autorité ?

*   *
*

A. Plaidoyer pour l’usage de la raison

    Nous allons pour commencer nous arrêter sur un opuscule de Kant Was ist Aufklärung?, Qu’est-ce que les Lumières ? Texte très court, mais incontournable. Le terme allemand d’Aufklärung rejoint tout ce que nous avons pu dire à partir du latin lux, lumière, dans lucidité. Il n’y a de compréhension que lorsque l’intelligence voit en toute clarté. L’homme éclairé, c’est, c’est celui qui est à même de conduire son existence dans la connaissance, tandis que l’ignorant est celui dont l’esprit demeure dans l’obscurité, la confusion, la nuit. Nous voyons que la signification des Lumières est plus profonde que l’idée de progrès des sciences à laquelle on la ramène le plus souvent. 

    1) Le terme allemand d’Aufklärung enveloppe une idée dynamique de diffusion, de propagation, de sorte que selon lui, il faudrait souvent le traduire par les expressions progrès des Lumières ou parfois accès aux Lumières.

    Le texte de Kant commence par une attaque vigoureuse résumée dans une formule : « Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Telle est la devise des Lumières ». Le reproche est moral, Kant y voit une faute. Pourquoi ? Tant que l’homme ne fait pas un usage complet de son intelligence, il reste immature, à l’état de mineur et n’atteint pas la majorité. Dans un état immature de l’intelligence, l’homme est « incapable de se servir de son entendement sans la direction d’un autre ». Nous avons vu que c’est le sens du tuteur qui soutient pendant un moment le développement de l’arbrisseau, mais que l’on doit jeter une fois que l’arbre arrive à maturité. Se tenir par soi-même est autonomie et  maturité. Il y a un impératif moral à faire en sorte que l’homme sorte de la minorité pour entrer dans la majorité. Nous pouvons comprendre l’injonction kantienne en deux sens : d’une part une adresse à tout homme de se lever pour faire usage de sa propre raison et devenir mature,  d’autre part un impératif dirigé vers les éducateurs pour qu’ils fassent en sorte que leurs élèves accèdent à la majorité. Nous y reviendrons.

    Comme on pouvait s’y attendre, le mot tuteur apparaît dès le §2. Kant voit une forme de paresse que de continuer à s’appuyer un tuteur alors même que l’on est adulte. (texteL’humanité a été trop longtemps maintenue dans une sorte d’apathie spirituelle. Un état d’inertie de l’intelligence. Un esprit paresseux glisse sur la pente de l’imitation, Kant y voit un choix, celui de rester mineur toute sa vie, une lâcheté, un manque de courage à user de sa propre raison dans la conduite de la vie. Inversement, cette attitude explique la facilité avec laquelle, dans tous les domaines, les tuteurs parviennent à maintenir leur emprise. Concrètement : pas la peine de réfléchir par moi-même,  il suffit que fasse du copier/coller d’un livre. Pas la peine de me questionner en matière de morale ou de religion, il suffit de suivre une autorité religieuse. Pas la peine de prendre soin de mon corps, il suffit de déléguer au médecin etc. « Il ne m’est pas nécessaire de penser, pourvu que je puisse payer » ! Et c’est ainsi que l’existence humaine est semblable à celle du bétail que l’on mène et qui n’ose pas se frayer un chemin, tant il a peur du danger de marcher seul.

    Mais il est possible que l’homme s’éclaire lui-même. Une seule condition : qu’il soit libre de le faire. Et il y aura toujours des exemples d’hommes qui se sont redressés. Ceux-là ont « secoué le joug de la minorité », ils répandent autour d’eux  le « sens raisonnable de l’appréciation de sa propre valeur », de la dignité pour « chaque homme à penser par soi-même ». C’est au fond toute la dignité et le sérieux de l’enseignant, donc le noble sens du tuteur, mais Kant remarque aussi que ce chemin n’est pas facile : « un public ne peut que parvenir lentement aux Lumières », parce qu’il n’est pas aisé de se débarrasser des préjugés. A ce titre, il ne faut pas confondre révolution politique et transformation du mode de pensée. Une révolution peut mettre fin au despotisme, sans que pour autant la masse de préjugés dans l’opinion soit changée. Pour qu’un changement ...

    Ce qui veut dire ? Par usage public de la raison, Kant entend la mise en œuvre d’une réflexion personnelle comme le serait celle des savants discutant d’une question, ou la communication dans le « monde des lecteurs ». Par usage privé de la raison, l’usage qui peut être autorisé, permis à un ------------------------------homme dans les limites de la fonction qui lui est attribué. Ce qui implique qu’il y a un certain nombre d’activités régies par des mécanismes sociaux purement fonctionnels, largement artificiels, qui ne peuvent pas faire l’objet de discussion. « Alors il n’est certes pas permis de raisonner ; il faut au contraire obéir ». « Ainsi, il serait très dangereux qu’un officier auquel sont supérieur a donné un ordre veuille en service ratiociner à voix haute sur le caractère approprié ou sur l’utilité de cet ordre. Il faut qu’il obéisse ». Par contre, et c’est là que se rencontre la position de Kant, on ne peut pas l’empêcher de contribuer, en tant qu’être de raison à une réflexion sur les fautes commises dans les opérations politiques et militaires, et il a parfaitement le droit de soumettre son jugement au public. De même, le citoyen devra s’acquitter des ses impôts et se soumettre aux actes de la justice. Ce qui ne l’empêche pas pour autant de contribuer publiquement à un débat sur le bien fondé de ces impôts, ou d’une législation qui mériterait d’être modifiée. Cet usage de la raison doit toujours rester libre et il est apte à répandre les Lumières parmi les hommes. On a donc ce paradoxe : « raisonnez autant que vous voudrez et sur tout ce que vous voudrez, mais obéissez ! »

    2) Suit une très longue analyse consacrée à la position du prêtre. Kant va  répliquer le même raisonnement. Il appartient à la fonction du religieux ayant une charge dans l’Église de s’adresser à sa fidèles selon la doctrine dont il est le serviteur. Il y a une organisation sociale de l’Église et par conséquent, une fonctionnalité interne de tous ceux qui y travaillent. Le prêtre doit donc officier selon la doctrine et il faut aller jusqu’à dire selon le dogme. Cependant, parce qu’il est homme doué de raison, il est de fait inclus dans la communauté des savants  et il prend par à une réflexion publique. Il a ainsi vocation à communiquer ses pensée    -------------- L'accès à totalité de la leçon est protégé. Cliquer sur ce lien pour obtenir le dossier

 

 

 

Vos commentaires

Questions:

1. La guerre contre les préjugés peut-elle prendre fin quand la société est édifiée sur un savoir scientifique?

2. Au fond penser par soi-même n'implique-t-il pas être capable de penser sans s'appuyer sur une autorité?

3. En quel sens peut-on parler d'idéologie de la raison?

4. La paresse intellectuelle est-elle autre chose qu'une forme invétérée de conformisme?

5. Peut-on concevoir une vie libre sans exercice de l'intelligence?

6. Le dogmatisme peut-il se prévaloir de l'appui de la raison?

7. Croire que l'homme puisse se dispenser de toute croyance n'est ce pas au fond une illusion?

 

 

  © Philosophie et spiritualité, 2012, Serge Carfantan,
Accueil. Télécharger. Notions.


Le site Philosophie et spiritualité autorise les emprunts de courtes citations des textes qu'il publie, mais vous devez mentionner vos sources en donnant le nom de l'auteur et celui du livre en dessous du titre. Rappel : la version HTML n'est qu'un brouillon. Demandez par mail la version définitive, vous obtiendrez le dossier complet qui a servi à la préparation de la leçon.