Commençons
... Pour comprendre l’envergure du
problème actuel de l’énergie dans nos sociétés, il est indispensable de faire
retour sur sa naissance à la Modernité, retour sur les
déclarations prophétiques de Descartes dans le Discours de la Méthode.
L’approche objective de science moderne se proposait en effet comme un savoir
tourné vers l’action, capable de
délivrer un savoir « fort utile à la vie ». Un savoir par lequel
connaissant « la force et les actions du feu,
de l’eau de l’air, des astres, des cieux », nous pourrions contribuer au « bien
général de tous les hommes ». Le projet
techniciste était lancé ; et dès le début, il présupposait la maîtrise de
l’énergie comme condition de sa réalisation. Voilà un raisonnement
très Moderne : Sans l’énergie, pas de contribution au « bien générale de
tous les hommes », pas d’avantages « fort utiles à la vie », pas de
technique, et surtout pas de puissance
technique, car tout est là : la puissance technique dépend de la
puissance de l’énergie déployée. Il a existé des cultures qui
plaçaient leurs motivations ailleurs, seule la culture occidentale en a fait une
préoccupation
centrale. Sous cet aspect, Descartes est toujours à nos côtés,
nous n’avons pas dévié d’un pouce du projet dont il s’est fait le porte parole
dans le Discours. Un projet qui n’est pas le sien, mais celui de tout
l’Occident. Et les illustrations fourmillent : pensons aux conséquences
prodigieuses de la multiplication en Europe des
moulins à vent et des moulins à eau, à
cette ingéniosité fantastique que nous avons déployé dans notre
Histoire pour essayer de capturer de l’énergie
fossile pour l’utiliser ensuite.
Puisque
nous sommes ici au niveau des conditions de déploiement du projet
techniciste, tout ce qui relève de l’énergie constitue un enjeu vital, un
enjeu de contrôle, un enjeu de pouvoir.
Combien de guerres au XX ème siècle motivées
en sous-main par le contrôle de l’énergie ? Cela devient presque obsessionnel :
Faire la guerre pour trouver du pétrole… pour
pouvoir faire la guerre pour... (?) En fait la guerre objective de la
technique suppose la conquête de l’énergie, sans
laquelle il n’existerait tout simplement pas de société moderne. Prenons donc un
peu de distance pour contempler le tableau dans son ensemble :
En quoi la question de l’énergie est-elle essentielle
dans nos sociétés modernes ? Il est important d’avoir des
idées claires
sur le sujet
car il conditionne la ....
* *
*
Nous avons déjà proposé une présentation de la notion d’énergie dans le cadre de la relation entre la technique et le nucléaire. L’énergie est une grandeur qui exprime la capacité d’un système à modifier l’état d’autres systèmes avec lesquels il est en interaction. Dans toutes les analyses de la question de l’énergie, on souligne ce qu’on appelle principe de la conservation de l’énergie qui stipule qu’un système isolé possède une énergie totale constante, d’où suit qu’il ne peut y avoir création ou disparition d’énergie, mais seulement transformation d’une forme d’énergie dans une autre. Ce principe est constamment corrélé avec un autre, le second principe de la thermodynamique, qui dit que le dégagement d’énergie ne peut se faire qu’avec un accroissement de l’entropie. Il y a donc une différence entre l’énergie utilisable, mettons celle d’un litre de fuel et l’énergie inutilisable déployée en chaleur et fumée. Si la loi de l’entropie n’existait pas nous pourrions réutiliser le litre de fuel à volonté. Nous disions qu’un habitant d’une société technologiquement avancée consomme 115 fois plus d’énergie que celui d’une société traditionnelle, ce qui situe bien le problème auquel nous sommes confrontés. Nous devons impérativement trouver des sources d’énergie utilisables, les rendre disponibles ce qui se traduit par le fait de les relâcher en énergie inutilisable dans la consommation.
1) Les deux
principes ci-dessus sont très limitatifs et en contradiction flagrante avec la
déclaration qui les suit. Nous ne pouvons que puiser dans l’énergie qui est
disponible et en l’utilisant sous la forme de transport, de travail mécanique,
d’éclairage, etc. mais elle nous échappe irrémédiablement, tandis que par
ailleurs la demande elle n’arrête pas d’augmenter de manière exponentielle. Il
faut donc en trouver toujours plus. Logiquement, pour arriver à
suivre le toujours plus, qui est le rythme d’enfer du
progrès, la technique doit donc se mettre en quête de
la source d’énergie la plus facilement accessible, la plus concentrée possible,
la moins chère. Et si on suit les politiques au pouvoir aujourd’hui, le salut,
c’est : toujours plus de croissance, alors cela veut dire toujours
plus de consommation, donc toujours plus d’appropriation
des ressources de la Terre et
donc
toujours plus d’énergie. Imparable ; et cela marche aussi en sens
inverse : pas d’énergie, pas d’appropriation des ressources de la Terre, pas de
consommation, pas de croissance, ...
Mais, ...
don merveilleux qui répond parfaitement à notre appétit vorace d’énergie, la
Terre nous l’a fourni depuis des décennies sous la forme du
pétrole.
L’ère industrielle a vraiment commencé quand on a creusé pour obtenir le noir
solide du charbon, et elle s’est envolée, quand on a foré pour obtenir le noir
liquide du pétrole. Aussi sale l’un que l’autre, mais quelle débauche de
puissance ! Avec le pétrole, on obtient le rêve d’une énergie bon marché,
transportable, très répandue, facile et universelle d'usage et que rien ne peut
concurrencer. C’est un peu bête à dire, mais le pétrole, c’est liquide ;
extraordinaire qualité : facile à transvaser via un pipe line, facile à stocker
et beaucoup plus simple à utiliser qu’un charbon qu’il faut casser, qui laisse
trop de résidus, ou qu’un gaz qui peut s’évader
dans des fuites ou être explosif
à température élevée. Une densité énergétique qui ridiculise l’effort mécanique
de l’être humain : un kilo, 11,6 kWh d’énergie, soit 10 kWh par litre, c’est
énorme. Un ouvrier qui effectue un travail très "physique" pour creuser un trou
à la pelle, consomme environ 5 kWh par jour. Avec 1 litre d’essence acheté on a
l’équivalent de deux ouvriers travaillant une journée complète ... 1 euro. C’est un prix ridiculement faible
pour un saut quantitatif
énergétique fantastique, utilisable directement par une machine qui va creuser
beaucoup plus vite. De là suit que le pétrole devait catapulter le développement
technologique de l’humanité à des hauteurs telles que c’est bien une nouvelle
ère qui s’ouvrait dans l’Histoire. On est sorti de
la société traditionnelle pour entrer dans l’ère de
l’énergie fossile par le charbon, pour atteindre un développement exponentiel
grâce au pétrole.
Non seulement cela,
mais les largesses du pétrole ne se limitent pas à l’énergie qu’il contient mais aussi
au bonus de ses produits dérivés : de quoi faire des plastiques, de la peinture,
des engrais, des tissus etc. Cette spécificité a permis coup sur coup le
développement parallèle de l'industrie, des transports et de la pétrochimie.
Tous les objets et les gadgets que nous utilisons contiennent des plastiques
dérivés des hydrocarbures, toute la nourriture que nous consommons est produite
aux moyens d’engrais liés au pétrole et nécessite le pétrole pour être récoltée.
Si les plastiques régressaient vers leur origine, nous serions dans le cambouis
du
matin et soir ! Nous ne pourrions ni manger, ni nous habiller, ni nous déplacer
sur de longues distances.
C’est très simple à
comprendre, l’intégralité de ce que nous appelons la
société de consommation est harnachée
indéfectiblement au pétrole. C’est directement du pétrole que sont issus les
développements économiques de tous les secteurs d’activité industrielle, et le
tout fonctionne désormais en boucle et fait
système : le marché crée une
demande toujours plus forte du pétrole pour que s’accélère la distribution du
pétrole, tandis qu’une bonne partie de la manne financière dégagée par
l’industrie revient directement dans les investissements titanesques requis pour
l’extraction, le transport, la transformation et la distribution des produits
pétroliers. Les grandes compagnies pétrolières disposent d'une capacité
financière faramineuse, mais leur rôle est si fondamental dans nos sociétés
qu’elles sont pratiquement intouchables et peuvent même se payer le luxe de
faire appel à des subventions publiques. Sans que personne n’y trouve à redire.
Souvenons-nous des remarques faites dans une autre leçon : pour faire la guerre,
il faut du pétrole et beaucoup de pétrole, donc autant que ceux qui le
distribuent arrosent les deux camps dans un conflit. Ils sont dans une position
méta-politique intouchable. Il est indispensable de voir les
documentaires sur le sujet. La technique, nous l’avons montré,
est dans une position méta-politique dans toutes les sociétés avancées,
incontestable et incontestée, alors, que dire que l’énergie qui la fait
tourner ! Elle met illico les cinq méga-compagnies pétrolières dans une
position de force exceptionnelle. Face aux gouvernements. Et au bas de
l’échelle, en tant que
consommateur, nous avons tellement besoin du pétrole que
nous sommes au stade d’une
addiction collective entrée en phase critique.
Ce n’est pas du tout exagéré : notre dépendance est telle, dans la
société actuelle, que si nous n’avons pas notre dose, toutes nos
conditions de
vie sont remises en question, tout s’arrête et le chaos n’est pas loin.
2) Pas loin du tout, nous avons déjà reçu en guise d’avertissement des chocs pétroliers, mise en demeure politique. Mais nous entrons irrémédiablement dans le problème économique de fond : l’or noir est une ressource limitée et en voie de disparition. (texte) Il s’est formé il y a des millions d'années, à partir de la décomposition d’organismes au fond des océans. Avec le temps ils se sont mélangés au limon pour former des poches de sédiments riches en matière organique : le kérogène. Avec le mouvement des plaques tectoniques le kérogène s’est enfoncé dans le sol, s’est réchauffé dans les profondeurs pour se transformer dans la pâte des hydrocarbures, le pétrole brut ; et il s’est accumulé dans ce qu’on
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Il y a beaucoup de
régions du monde, comme Bakou en Russie et le Texas aux États-unis, dans
lesquels
on rencontre d’immenses champs de puits de pétrole abandonnés. On doit à un
géologue K. Hubbert, une méthode prédictive qui vise à déterminer le moment où
la production d'un gisement pétrolifère atteint son point culminant. On parle
alors de
peak oil, de pic pétrolier
et l’expression est passée dans le langage, pic de Hubbert. Il est
d’usage de rassembler les statistiques de production par pays et l’on peut dire
lesquels ont atteint leur pic et sont en phase descendante et lesquels sont sur
la courbe montante avant le pic. On apprend ainsi que la Grande-Bretagne a piqué
en 1999, la Norvège en 2001, le Danemark en 2004, Les USA ont connu leur pic de
production en 1971, pour se lancer vers 2008 à corps perdu dans les schistes
bitumineux et remonter leur courbe. Il faut consulter les chiffres - ils sont
globalement très inquiétants. Personne ne
peut aujourd’hui se permettre
d’évacuer le problème du pic mondial de production du pétrole sans mentir
sciemment. Il est très difficile de le prouver, mais il est possible que nous
ayons déjà dépassé le pic mondial, un indice sérieux étant la prospection
actuelle qui investit dans des défis de plus en plus coûteux et très peu
rentable d’exploitation des pétroles
non-conventionnels. Ce n’est pas une
gloire, c’est le signe de la fin, la tentative désespérée d’aller chercher du
pétrole même dans des conditions extrêmement difficiles. Pour tirer du pétrole
des schistes bitumineux, on en arrive à brûler un baril de pétrole pour en
extraire deux !
Les stocks de ces
combustibles fossiles étant fixes, il faut nécessairement envisager avec
lucidité la date de leur épuisement et se réveiller, sortir d’une ébriété
énergétique qui n’a que trop duré. Au rythme actuel, l'humanité aura en
moins de deux siècles épuisé les réserves accumulées sur terre pendant plusieurs
centaines de millions d'années. Vertigineux : un million de
fois plus vite que
le temps que la Nature a mis pour les constituer. La question peut alors être
formulée de manière simple : Connaissant le montant des réserves de pétrole
et le taux de consommation actuel, combien de temps faut-il pour épuiser tout le
pétrole? En jargon technique, c’est le ratio R/P. La firme BP
elle-même donnait en 2003 40,6 années (cf. la rengaine qu’on nous ressort depuis
40 ans : « il y en a encore pour 40 ans»). En 2013 La production de brut totale
des cinq majors a reculé de 2,05 %, ce qui porterait le déclin à 27,35 % depuis
un pic en 2004, et pourtant ce n’est pas faute d’avoir dopé les dépenses
d’investissement qui ont triplé.
Ce n’est plus une
question d’écologiste rêvant d’un monde plus propre, c’est carrément une
butée qui se profile devant nous. Un mur. Pesons les mots, la parole à Yves
Cochet : « La fin
imminente
du pétrole et du gaz bon marché est la plus grande épreuve qu'ait jamais
affrontée l'humanité. Désormais inévitables, les conséquences sociales de cette
épreuve seront dévastatrices. Afin d'en repousser un peu la date et d'en réduire
un peu les effets, la seule conduite possible est
l'apprentissage de la sobriété. Soit, politiquement, une perspective
d'autosuffisance décentralisée, par minimisation des échanges de matières et
d'énergie, une mobilisation générale de la société autour d'une sorte d'économie
de rationnement organisé et démocratique ». « trois facteurs inédits : 1) le
déclin définitif de la production de pétrole (géologie) ; 2)
l’excès structurel de la demande mondiale sur l’offre de pétrole (économie)
; 3) l’intensification des guerres et du terrorisme pour l’accès aux
ressources non renouvelables (géopolitique). Ces trois facteurs, se
renforçant mutuellement, provoquent d’abord une hausse des prix des produits
pétroliers, puis du gaz et de l’énergie, enfin de toutes les denrées et services
qui en dépendent ».
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1) La position implicite à notre époque, consiste à relativiser fortement la menace (on en a encore au moins pour 40 ans de pétrole au moins…) : tant qu’elle n’est pas là de manière patente, on ne change ni le modèle de la croissance, ni le modèle de société ; toutefois comme elle est dans l’air, on sonne le clairon pour trouver à moyens termes une alternative énergétique viable. Mobiliser toute notre puissance technique en faveur d’une transition énergétique pour un développement durable. L’opinion traîne des pieds : personne n’a envie de revenir aux charrettes d’autrefois, ni d’adopter le mode de vie des Amishs, cela irait à l’encontre du progrès. Donc s’ensuit un déplacement du problème vers la technique chargée de relever le défi et de faire en sorte de soutenir notre standard actuel de notre mode de vie à l’occidentale.
Entre, d’un côté,
quelques rares images de documentaires apocalyptiques sur la fin du pétrole et
de l’autre le battage permanent des images de la publicité qui nous montre des
grosses cylindrées, il n’y a pas photo. Pour le
consommateur, la vie rêvée ne
va pas sans la jouissance de la beauté fringante de l’automobile et il en est de
même pour le confort dont il profite et dont le gratifie la technique. La
seule concession dans l’automobile serait de trouver des moteurs qui consomment
moins, couplés à un système électrique. Pour le reste, dans toutes formes de
consommation d’énergie : les transports collectifs, l’industrie, la nourriture,
le chauffage, le confort du logement, le mot d’ordre qui fait consensus est de
diversifier et de multiplier les sources. Comme
l’opinion n’est pas sourde et que les messages d’alerte ne cessent de se
multiplier, elle a entendu et intégré le message de l’économie de
l’énergie. Mais ce n’est pas suffisant. Par ailleurs, il est très
difficile de se dérober devant l’accumulation de preuves du
changement climatique, difficile d’éviter de voir la corrélation avec l’augmentation du
rejet de CO² dans l’atmosphère due aux activités humaines. La conjugaison des
deux facteurs de la disparition de l’énergie fossile et du dérèglement du climat
lié aux activités humaines conduit tout droit à une mise en cause de notre mode
de vie à l’occidentale. Ce qui constitue une pression que l’opinion a du mal à
accepter et on comprend dans ces conditions la réaction défensive qui consiste à
légitimer par avance toutes les positions révisionnistes
contre le consensus scientifique. Dans l’opinion un seul article prétendant que
le changement climatique est une « imposture », est mieux relayé que 10.000
démontrant qu’il est réel. Exactement le même phénomène avec la déplétion du
pétrole : un seul article qui prétend que nos réserves sont « quasi
infinies »,
pèse toujours plus que 1000 autres qui prouvent qu’elles se raréfient à une
cadence effroyablement rapide. .... l’idée un peu molle
qu’il n’y a pas de souci à se faire et que l’on peut continuer comme si de rien
n’était.
Par nature la conscience collective enveloppe de l’inertie, les mentalités sont lentes à changer. Mais elles peuvent pourtant le faire quand l’urgence est ressentie. Mais encore faut-il la voir. Celui qui sent que la maison brûle se démène pour aller chercher de l’eau pour arrêter l’incendie, mais ce n’est pas le cas de celui qui est pris dans l’illusion et ne voit que ses jeux et ses petites affaires. Il y a urgence. Il faudra bientôt fournir de l'énergie à 1,6 milliard de personnes supplémentaires dans le monde, tout en maintenant la consommation des pays développés, il faudra faire face à une demande accrue de tous les pays émergeants, tout en évitant de contribuer au réchauffement climatique. Si ce n’est pas une situation d’urgence, alors qu’est-ce que c’est ?
La société d’abondance que nous voulons perpétuer suppose une production gigantesque de béton, d’acier et de plastique qui n’est pas possible sans le pétrole. Pour conserver le statut quo il faudra : 1) se donner les moyens d’assurer la consommation actuelle de pétrole en allant le chercher partout où il y en a, dans l’Arctique, dans les schistes au moyen de la fracture hydraulique etc. 2) Fabriquer des substituts de pétrole avec des algues, détourner l’agriculture de la production alimentaire vers les agro carburants (le maïs). 3) Relancer au maximum l’énergie nucléaire pour la consommation électrique. Vu les dégâts collatéraux, pas sûrs que ce genre de choix recueille un consensus.
Les énergies
renouvelables doivent bien sûr être développées, elles offrent d’immenses
possibilités, mais est-il vraiment raisonnable de penser qu’un monde converti
aux énergies renouvelables sera identique à celui que nous connaissons ? Une
conversion même massive aux énergies renouvelables d’un point de vue physique
reste encore très loin du niveau actuel de besoins. Rien qu’en Europe, il
faudrait couvrir la totalité des territoires de barrages, accélérer de manière
intensive la production des forêts pour le bois de chauffage, multiplier partout
les éoliennes, la culture intensive pour les biocarburants… et on serait
encore très loin du compte. Il y des facteurs aléatoires difficilement
maîtrisables : on ne va pas demander au vent de se déplacer à volonté à la
vitesse qui nous convient. Ce qui est en revanche certain, c’est que ce genre de
choix est en contradiction flagrante avec un développement « propre ».
Combien d’environnements seront détruits pour capter de l’énergie à partir du
charbon, de la tourbe, des schistes bitumineux ? Du coup, c’est à se
demander si le concept même de « développement durable » ne devient pas
alors une gigantesque fumisterie. Les données scientifiques dont nous disposons
sont accablantes, elles montrent que les tendances énergétiques actuelles ne
seront pas viables ni à long terme ni même à court terme. Si seulement nous
avions le courage de regarder les choses en face, nous verrions que l’abondance
énergétique dans laquelle nous vivons va prendre fin avec la disparition des
combustibles fossiles. Dans l’état actuel, les énergies renouvelables sont
incapables de les remplacer et il va s’écouler un grand nombre d’années avant
qu’elles puissent occuper une place décente dans l’approvisionnement
énergétique. Bref, et là nous ne faisons que répéter les conclusions de
Jean-Marc Jancovici, le plus sage serait « de prendre le chemin d'une
division de la
consommation d'énergie par 2 ou 3, et non de l'augmenter "tant que ça
passe", en pensant que les renouvelables permettront de prendre le relais quand
nous le souhaiterons », ce qui est complètement irréaliste.
2) Ou bien nous prenons le taureau par les cornes : il faut abandonner le modèle de la croissance infinie et le modèle actuel de société et inventer, en étant plus sobre, un monde plus convivial. Jusqu’à présent, la question du choix de société se posait en termes idéologiques. (texte) Les projets politiques pouvaient être plein vent dans le libéralisme, mâtinés de socialisme, inspirés d’écologisme, de communisme etc. Mais nous avons dans la dernière décennie commencé à comprendre qu’il s’agissait de débats de façade, ce qui tirait véritablement les ficelles était en fait l’économie, du coup, pour les observateurs les plus lucides, les affrontements droite/gauche commençaient à prendre l’allure d’une fiction bien organisée. Depuis trop longtemps. Et l’évidence a commencé à s’imposer que finalement d’un bord comme de l’autre une fois au pouvoir, ils faisaient la même chose. Personne n’avait assez d’audace pour ...
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Les philosophes
apprécieront cet extraordinaire changement de perspective dont l’ampleur est
proprement inédite dans toute l’histoire humaine. L’ironie du sort, c’est que
jusqu’à présent, dans la lignée de Hegel, nous avons pensé l’Histoire dans la
temporalité linéaire de l’humanité, planant bien
au-dessus de la temporalité naturelle. (texte) C’est bien connu, la
Nature n’a pas
d’Histoire ! Et voilà que la Nature nous rattrape et qu’elle entre par
effraction dans notre Histoire en nous imposant partout une contrainte que nous
avions complètement oublié : la
finitude de la Terre. Si la Terre est un monde
fini, les ressources fossiles de la Terre le sont aussi. C’est un fait. Ce n’est
négociable avec aucune idéologie ou abstraction spéculative. C’est une
contrainte physique et nous vivons sur un monde physique. Tout projet de société
qui n’en tient pas compte est au mieux une rêverie sentimentale, au pire un
fantasme démentiel. La question de l’énergie occupe une place qui si
fondamentale en tant qu’infrastructure de toute société humaine que tout
politique qui ne la prend pas en compte, ou même qui fait semblant de la prendre
en compte sans lui reconnaître la priorité qui lui revient, doit être taxé
d’incompétent et renvoyé sur les bancs de l’Université. Michel Serres a raison
quand il dit que nous devrions délaisser le concept de citoyen pour celui
d’écocitoyen. De la même manière, la politique pensée en dehors de
l’insertion de l’homme dans la Nature est ... et
la politique qui
met entre parenthèses la problématique de l’énergie n’est que
parlotte irresponsable. Étant donné que le débat sur l’énergie transcende tous
les clivages politiques, il serait temps de les oublier et de mesurer la valeur
des discours des uns et des autres à l’aune de la contribution qu’ils
apportent comme solutions au problème qui est devenu notre problème à tous.
Deux mots sur le
discours marxiste. Hans Jonas a brillamment démontré dans Le Principe
Responsabilité qu’il partageait la même religion dogmatique de la
technique que le capitalisme auquel il prétendait s’opposer. Marx a très bien
compris les rouages internes du capitalisme conduisaient inéluctablement à la
structuration en classes sociales vouées à une lutte constante. Il a bien vu dès
1850 que le développement du machinisme ne ferait qu’accentuer ce processus. Il
a cru dans une mission historique du prolétariat à même de transformer la
lutte
des classes en révolution. C’était bien plus dans son optique qu’une sorte de
combat pour arracher des acquis sociaux : une prise de pouvoir des peuples par
les peuples. L’importance de cette idée que les peuples ont trop cédé de leur
pouvoir à des puissances qui ne les servent pas allait être oubliée. Le
discours marxiste a lui-même cessé d’être audible et s’est perdu dans la nuit.
Mais il y a un paramètre important que Marx n’a pas vu, c’est celui de
l’énergie. Il a été victime d’une mécompréhension sur le sens de la technique
qui a été celle de toute une génération. La véritable question n’était pas
d’attribuer l’émergence du capitalisme au développement des techniques, la vraie
question était de rechercher la cause qui rendait possible le développement de
ces mêmes techniques. Or, encore une fois, et cela depuis la Modernité, la
technique suit une processus d’auto-développement autonome, elle se fiche
éperdument des idéologies que l’on greffe par-dessus. Et le nerf de la guerre
objective qu’elle mène et des victoires qu’elle remporte, c’est l’énergie. Point
final.
Toutefois il semble que pour la majorité des citoyens du monde civilisé, ce qui prédomine, c’est une croyance inconsciente : la technique, c’est le progrès et le progrès technique, c’est le génie humain. Comme c’est une croyance qui n’est jamais investiguée, elle subsiste partout comme allant de soi et comme un dogme qui ne souffre pas la moindre contestation. Bien sûr, on est près à admettre que les ressources de la Terre ont « favorisé » (!) ce développement mais comme c’est le pur génie humain qui s’y manifeste, on pense que l’élan irrésistible du progrès depuis la Modernité ne pourra pas s’arrêter, ni même régresser. C’est de l’ordre de la foi. Cournot disait que le progrès est une idée religieuse. La foi dans l’autonomie de la volonté de l’homme face à la puissance de la divinité ! Alors qu’elle est l’attitude la plus répandue ? Balayer d’un revers de main l’objection de l’épuisement des ressources en prétextant : que les techniciens s’en occupe ! Aux ingénieurs de se mettre au boulot. Donc : « Continue
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Questions:
1. Pourquoi la problématique de l'énergie est-elle si importante en philosophie politique?
2. Est-il correct de penser que dans les sociétés
traditionnelle la question ne se posait pas?
3. Dire qu'avec un litre de pétrole on a l'énergie du travail de mettons dix ouvriers pendant un mois suggère qu'une telle quantité énergie nous offre dix esclaves dans cette même durée? Que doit-on en penser?
4. Quel est le lien entre énergie et finitude de la Terre?
5. En quoi le débat sur l'énergie est-il biaisée quand on dit que "la technique nous sauvera de toutes façons"?
6. Toutes conditions réunies, est-il raisonnable de s'attendre à une mutation tranquille de nos sociétés?
7. Que faut-il mettre en avant pour penser un projet de société qui soit viable?
© Philosophie et spiritualité, 2014, Serge Carfantan,
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