Commençons
... Pour comprendre l’envergure du
problème actuel de l’énergie dans nos sociétés, il est indispensable de faire
retour sur sa naissance à la Modernité, retour sur les
déclarations prophétiques de Descartes dans le Discours de la Méthode.
L’approche objective de science moderne se proposait en effet comme un savoir
tourné vers l’action, capable de
délivrer un savoir « fort utile à la vie ». Un savoir par lequel
connaissant « la force et les actions du feu,
de l’eau de l’air, des astres, des cieux », nous pourrions contribuer au « bien
général de tous les hommes ». Le projet
techniciste était lancé ; et dès le début, il présupposait la maîtrise de
l’énergie comme condition de sa réalisation. Voilà un raisonnement
très Moderne : Sans l’énergie, pas de contribution au « bien générale de
tous les hommes », pas d’avantages « fort utiles à la vie », pas de
technique, et surtout pas de puissance
technique, car tout est là : la puissance technique dépend de la
puissance de l’énergie déployée. Il a existé des cultures qui
plaçaient leurs motivations ailleurs, seule la culture occidentale en a fait une
préoccupation
centrale. Sous cet aspect, Descartes est toujours à nos côtés,
nous n’avons pas dévié d’un pouce du projet dont il s’est fait le porte parole
dans le Discours. Un projet qui n’est pas le sien, mais celui de tout
l’Occident. Et les illustrations fourmillent : pensons aux conséquences
prodigieuses de la multiplication en Europe des
moulins à vent et des moulins à eau, à
cette ingéniosité fantastique que nous avons déployé dans notre
Histoire pour essayer de capturer de l’énergie
fossile pour l’utiliser ensuite.
Puisque nous sommes ici au niveau des conditions de déploiement du projet techniciste, tout ce qui relève de l’énergie constitue un enjeu vital, un enjeu de contrôle, un enjeu de pouvoir. Combien de guerres au XX ème siècle motivées en sous-main par le contrôle de l’énergie ? Cela devient presque obsessionnel : Faire la guerre pour trouver du pétrole… pour pouvoir faire la guerre pour... (?) En fait la guerre objective de la technique suppose la conquête de l’énergie, sans laquelle il n’existerait tout simplement pas de société moderne. Prenons donc un peu de distance pour contempler le tableau dans son ensemble : En quoi la question de l’énergie est-elle essentielle dans nos sociétés modernes ? Il est important d’avoir des idées claires sur le sujet car il conditionne la plupart des discussions sur les questions secondaires qui se raccrochent ensuite dans la foulée. Si nous nous mettons en recherche de la « cause des causes » de nos problèmes actuel nous devrons fatalement remonter à la problématique de l’énergie.
* *
*
Nous avons déjà proposé une présentation de la notion d’énergie dans le cadre de la relation entre la technique et le nucléaire. L’énergie est une grandeur qui exprime la capacité d’un système à modifier l’état d’autres systèmes avec lesquels il est en interaction. Dans toutes les analyses de la question de l’énergie, on souligne ce qu’on appelle principe de la conservation de l’énergie qui stipule qu’un système isolé possède une énergie totale constante, d’où suit qu’il ne peut y avoir création ou disparition d’énergie, mais seulement transformation d’une forme d’énergie dans une autre. Ce principe est constamment corrélé avec un autre, le second principe de la thermodynamique, qui dit que le dégagement d’énergie ne peut se faire qu’avec un accroissement de l’entropie. Il y a donc une différence entre l’énergie utilisable, mettons celle d’un litre de fuel et l’énergie inutilisable déployée en chaleur et fumée. Si la loi de l’entropie n’existait pas nous pourrions réutiliser le litre de fuel à volonté. Nous disions qu’un habitant d’une société technologiquement avancée consomme 115 fois plus d’énergie que celui d’une société traditionnelle, ce qui situe bien le problème auquel nous sommes confrontés. Nous devons impérativement trouver des sources d’énergie utilisables, les rendre disponibles ce qui se traduit par le fait de les relâcher en énergie inutilisable dans la consommation.
1) Les deux
principes ci-dessus sont très limitatifs et en contradiction flagrante avec la
déclaration qui les suit. Nous ne pouvons que puiser dans l’énergie qui est
disponible et en l’utilisant sous la forme de transport, de travail mécanique,
d’éclairage, etc. mais elle nous échappe irrémédiablement, tandis que par
ailleurs la demande elle n’arrête pas d’augmenter de manière exponentielle. Il
faut donc en trouver toujours plus. Logiquement, pour arriver à
suivre le toujours plus, qui est le rythme d’enfer du
progrès, la technique doit donc se mettre en quête de
la source d’énergie la plus facilement accessible, la plus concentrée possible,
la moins chère. Et si on suit les politiques au pouvoir aujourd’hui, le salut,
c’est : toujours plus de croissance, alors cela veut dire toujours
plus de consommation, donc toujours plus d’appropriation
des ressources de la Terre et
donc
toujours plus d’énergie. Imparable ; et cela marche aussi en sens
inverse : pas d’énergie, pas d’appropriation des ressources de la Terre, pas de
consommation, pas de croissance, ...
Mais, ...
don merveilleux qui répond parfaitement à notre appétit vorace d’énergie, la
Terre nous l’a fourni depuis des décennies sous la forme du
pétrole.
L’ère industrielle a vraiment commencé quand on a creusé pour obtenir le noir
solide du charbon, et elle s’est envolée, quand on a foré pour obtenir le noir
liquide du pétrole. Aussi sale l’un que l’autre, mais quelle débauche de
puissance ! Avec le pétrole, on obtient le rêve d’une énergie bon marché,
transportable, très répandue, facile et universelle d'usage et que rien ne peut
concurrencer. C’est un peu bête à dire, mais le pétrole, c’est liquide ;
extraordinaire qualité : facile à transvaser via un pipe line, facile à stocker
et beaucoup plus simple à utiliser qu’un charbon qu’il faut casser, qui laisse
trop de résidus, ou qu’un gaz qui peut s’évader
dans des fuites ou être explosif
à température élevée. Une densité énergétique qui ridiculise l’effort mécanique
de l’être humain : un kilo, 11,6 kWh d’énergie, soit 10 kWh par litre, c’est
énorme. Un ouvrier qui effectue un travail très "physique" pour creuser un trou
à la pelle, consomme environ 5 kWh par jour. Avec 1 litre d’essence acheté on a
l’équivalent de deux ouvriers travaillant une journée complète ... 1 euro. C’est un prix ridiculement faible
pour un saut quantitatif
énergétique fantastique, utilisable directement par une machine qui va creuser
beaucoup plus vite. De là suit que le pétrole devait catapulter le développement
technologique de l’humanité à des hauteurs telles que c’est bien une nouvelle
ère qui s’ouvrait dans l’Histoire. On est sorti de
la société traditionnelle pour entrer dans l’ère de
l’énergie fossile par le charbon, pour atteindre un développement exponentiel
grâce au pétrole.
Non seulement cela,
mais les largesses du pétrole ne se limitent pas à l’énergie qu’il contient mais aussi
au bonus de ses produits dérivés : de quoi faire des plastiques, de la peinture,
des engrais, des tissus etc. Cette spécificité a permis coup sur coup le
développement parallèle de l'industrie, des transports et de la pétrochimie.
Tous les objets et les gadgets que nous utilisons contiennent des plastiques
dérivés des hydrocarbures, toute la nourriture que nous consommons est produite
aux moyens d’engrais liés au pétrole et nécessite le pétrole pour être récoltée.
Si les plastiques régressaient vers leur origine, nous serions dans le cambouis
du
matin et soir ! Nous ne pourrions ni manger, ni nous habiller, ni nous déplacer
sur de longues distances.
C’est très simple à
comprendre, l’intégralité de ce que nous appelons la
société de consommation est harnachée
indéfectiblement au pétrole. C’est directement du pétrole que sont issus les
développements économiques de tous les secteurs d’activité industrielle, et le
tout fonctionne désormais en boucle et fait
système : le marché crée une
demande toujours plus forte du pétrole pour que s’accélère la distribution du
pétrole, tandis qu’une bonne partie de la manne financière dégagée par
l’industrie revient directement dans les investissements titanesques requis pour
l’extraction, le transport, la transformation et la distribution des produits
pétroliers. Les grandes compagnies pétrolières disposent d'une capacité
financière faramineuse, mais leur rôle est si fondamental dans nos sociétés
qu’elles sont pratiquement intouchables et peuvent même se payer le luxe de
faire appel à des subventions publiques. Sans que personne n’y trouve à redire.
Souvenons-nous des remarques faites dans une autre leçon : pour faire la guerre,
il faut du pétrole et beaucoup de pétrole, donc autant que ceux qui le
distribuent arrosent les deux camps dans un conflit. Ils sont dans une position
méta-politique intouchable. Il est indispensable de voir les
documentaires sur le sujet. La technique, nous l’avons montré,
est dans une position méta-politique dans toutes les sociétés avancées,
incontestable et incontestée, alors, que dire que l’énergie qui la fait
tourner ! Elle met illico les cinq méga-compagnies pétrolières dans une
position de force exceptionnelle. Face aux gouvernements. Et au bas de
l’échelle, en tant que
consommateur, nous avons tellement besoin du pétrole que
nous sommes au stade d’une
addiction collective entrée en phase critique.
Ce n’est pas du tout exagéré : notre dépendance est telle, dans la
société actuelle, que si nous n’avons pas notre dose, toutes nos
conditions de
vie sont remises en question, tout s’arrête et le chaos n’est pas loin.
2) Pas loin du tout, nous avons déjà reçu en guise d’avertissement des chocs pétroliers, mise en demeure politique. Mais nous entrons irrémédiablement dans le problème économique de fond : l’or noir est une ressource limitée et en voie de disparition. (texte) Il s’est formé il y a des millions d'années, à partir de la décomposition d’organismes au fond des océans. Avec le temps ils se sont mélangés au limon pour former des poches de sédiments riches en matière organique : le kérogène. Avec le mouvement des plaques tectoniques le kérogène s’est enfoncé dans le sol, s’est réchauffé dans les profondeurs pour se transformer dans la pâte des hydrocarbures, le pétrole brut ; et il s’est accumulé dans ce qu’on nomme des gisements. Creuser un puits c’est percer les roches dures pour atteindre une poche, la pression faisant jaillir en surface le précieux liquide. Petra oleum, l’huile de roche. Au début, aux États-unis, on pouvait en trouver en surface, mais il y a belle lurette que c’est fini. Exploiter un gisement c’est pomper un réservoir souterrain, ce qui ne dure qu’un temps, car le flot finit par se tarir. Donc on abandonne l’installation et on creuse ailleurs, au-dessus d’un gisement, jusqu’à ce que la nappe se vide. Pour chaque puits creusé il y a donc une courbe en cloche de l’exploitation. Un début, une fin. Quand il n’y en a plus, il n’y en a plus, le gisement ne se reconstitue par miraculeusement et c’est ce que l’on observe partout dans le monde. C’est factuel et pas prédictif. Et il faut donc logiquement dire la même chose pour un ensemble de puits sur une zone donnée, ...
Il y a beaucoup de
régions du monde, comme Bakou en Russie et le Texas aux États-unis, dans
lesquels
on rencontre d’immenses champs de puits de pétrole abandonnés. On doit à un
géologue K. Hubbert, une méthode prédictive qui vise à déterminer le moment où
la production d'un gisement pétrolifère atteint son point culminant. On parle
alors de
peak oil, de pic pétrolier
et l’expression est passée dans le langage, pic de Hubbert. Il est
d’usage de rassembler les statistiques de production par pays et l’on peut dire
lesquels ont atteint leur pic et sont en phase descendante et lesquels sont sur
la courbe montante avant le pic. On apprend ainsi que la Grande-Bretagne a piqué
en 1999, la Norvège en 2001, le Danemark en 2004, Les USA ont connu leur pic de
production en 1971, pour se lancer vers 2008 à corps perdu dans les schistes
bitumineux et remonter leur courbe. Il faut consulter les chiffres - ils sont
globalement très inquiétants. Personne ne
peut aujourd’hui se permettre
d’évacuer le problème du pic mondial de production du pétrole sans mentir
sciemment. Il est très difficile de le prouver, mais il est possible que nous
ayons déjà dépassé le pic mondial, un indice sérieux étant la prospection
actuelle qui investit dans des défis de plus en plus coûteux et très peu
rentable d’exploitation des pétroles
non-conventionnels. Ce n’est pas une
gloire, c’est le signe de la fin, la tentative désespérée d’aller chercher du
pétrole même dans des conditions extrêmement difficiles. Pour tirer du pétrole
des schistes bitumineux, on en arrive à brûler un baril de pétrole pour en
extraire deux !
Les stocks de ces
combustibles fossiles étant fixes, il faut nécessairement envisager avec
lucidité la date de leur épuisement et se réveiller, sortir d’une ébriété
énergétique qui n’a que trop duré. Au rythme actuel, l'humanité aura en
moins de deux siècles épuisé les réserves accumulées sur terre pendant plusieurs
centaines de millions d'années. Vertigineux : un million de
fois plus vite que
le temps que la Nature a mis pour les constituer. La question peut alors être
formulée de manière simple : Connaissant le montant des réserves de pétrole
et le taux de consommation actuel, combien de temps faut-il pour épuiser tout le
pétrole? En jargon technique, c’est le ratio R/P. La firme BP
elle-même donnait en 2003 40,6 années (cf. la rengaine qu’on nous ressort depuis
40 ans : « il y en a encore pour 40 ans»). En 2013 La production de brut totale
des cinq majors a reculé de 2,05 %, ce qui porterait le déclin à 27,35 % depuis
un pic en 2004, et pourtant ce n’est pas faute d’avoir dopé les dépenses
d’investissement qui ont triplé.
Ce n’est plus une
question d’écologiste rêvant d’un monde plus propre, c’est carrément une
butée qui se profile devant nous. Un mur. Pesons les mots, la parole à Yves
Cochet : « La fin
imminente
du pétrole et du gaz bon marché est la plus grande épreuve qu'ait jamais
affrontée l'humanité. Désormais inévitables, les conséquences sociales de cette
épreuve seront dévastatrices. Afin d'en repousser un peu la date et d'en réduire
un peu les effets, la seule conduite possible est
l'apprentissage de la sobriété. Soit, politiquement, une perspective
d'autosuffisance décentralisée, par minimisation des échanges de matières et
d'énergie, une mobilisation générale de la société autour d'une sorte d'économie
de rationnement organisé et démocratique ». « trois facteurs inédits : 1) le
déclin définitif de la production de pétrole (géologie) ; 2)
l’excès structurel de la demande mondiale sur l’offre de pétrole (économie)
; 3) l’intensification des guerres et du terrorisme pour l’accès aux
ressources non renouvelables (géopolitique). Ces trois facteurs, se
renforçant mutuellement, provoquent d’abord une hausse des prix des produits
pétroliers, puis du gaz et de l’énergie, enfin de toutes les denrées et services
qui en dépendent ».
Nous supposerons dans ce qui suit que le lecteur s’est documenté sur le sujet et qu’il a en main les cartes pour une discussion plus approfondie. Il faut d’ailleurs se rendre compte que si cette information est maintenant disponible, c’est sous la pression d’une prise de conscience de grande ampleur, mais assez récente. Pour la grande majorité des spécialistes de l’énergie, elle a été tardive, beaucoup trop tardive. Au point qu’il est d’usage de faire profil bas : nous n’éviterons pas le choc de la déplétion du pétrole. Les plus pessimistes diront qu’on ne peut que limiter les dégâts. Vu la gravité, la question qui se pose est bien évidemment quelles conséquences devons-nous tirer des bouleversements énergétiques sur nos choix de société ?
1) La position implicite à notre époque, consiste à relativiser fortement la menace (on en a encore au moins pour 40 ans de pétrole au moins…) : tant qu’elle n’est pas là de manière patente, on ne change ni le modèle de la croissance, ni le modèle de société ; toutefois comme elle est dans l’air, on sonne le clairon pour trouver à moyens termes une alternative énergétique viable. Mobiliser toute notre puissance technique en faveur d’une transition énergétique pour un développement durable. L’opinion traîne des pieds : personne n’a envie de revenir aux charrettes d’autrefois, ni d’adopter le mode de vie des Amishs, cela irait à l’encontre du progrès. Donc s’ensuit un déplacement du problème vers la technique chargée de relever le défi et de faire en sorte de soutenir notre standard actuel de notre mode de vie à l’occidentale.
Entre, d’un côté,
quelques rares images de documentaires apocalyptiques sur la fin du pétrole et
de l’autre le battage permanent des images de la publicité qui nous montre des
grosses cylindrées, il n’y a pas photo. Pour le
consommateur, la vie rêvée ne
va pas sans la jouissance de la beauté fringante de l’automobile et il en est de
même pour le confort dont il profite et dont le gratifie la technique. La
seule concession dans l’automobile serait de trouver des moteurs qui consomment
moins, couplés à un système électrique. Pour le reste, dans toutes formes de
consommation d’énergie : les transports collectifs, l’industrie, la nourriture,
le chauffage, le confort du logement, le mot d’ordre qui fait consensus est de
diversifier et de multiplier les sources. Comme
l’opinion n’est pas sourde et que les messages d’alerte ne cessent de se
multiplier, elle a entendu et intégré le message de l’économie de
l’énergie. Mais ce n’est pas suffisant. Par ailleurs, il est très
difficile de se dérober devant l’accumulation de preuves du
changement climatique, difficile d’éviter de voir la corrélation avec l’augmentation du
rejet de CO² dans l’atmosphère due aux activités humaines. La conjugaison des
deux facteurs de la disparition de l’énergie fossile et du dérèglement du climat
lié aux activités humaines conduit tout droit à une mise en cause de notre mode
de vie à l’occidentale. Ce qui constitue une pression que l’opinion a du mal à
accepter et on comprend dans ces conditions la réaction défensive qui consiste à
légitimer par avance toutes les positions révisionnistes
contre le consensus scientifique. Dans l’opinion un seul article prétendant que
le changement climatique est une « imposture », est mieux relayé que 10.000
démontrant qu’il est réel. Exactement le même phénomène avec la déplétion du
pétrole : un seul article qui prétend que nos réserves sont « quasi
infinies »,
pèse toujours plus que 1000 autres qui prouvent qu’elles se raréfient à une
cadence effroyablement rapide. .... l’idée un peu molle
qu’il n’y a pas de souci à se faire et que l’on peut continuer comme si de rien
n’était.
Par nature la conscience collective enveloppe de l’inertie, les mentalités sont lentes à changer. Mais elles peuvent pourtant le faire quand l’urgence est ressentie. Mais encore faut-il la voir. Celui qui sent que la maison brûle se démène pour aller chercher de l’eau pour arrêter l’incendie, mais ce n’est pas le cas de celui qui est pris dans l’illusion et ne voit que ses jeux et ses petites affaires. Il y a urgence. Il faudra bientôt fournir de l'énergie à 1,6 milliard de personnes supplémentaires dans le monde, tout en maintenant la consommation des pays développés, il faudra faire face à une demande accrue de tous les pays émergeants, tout en évitant de contribuer au réchauffement climatique. Si ce n’est pas une situation d’urgence, alors qu’est-ce que c’est ?
La société d’abondance que nous voulons perpétuer suppose une production gigantesque de béton, d’acier et de plastique qui n’est pas possible sans le pétrole. Pour conserver le statut quo il faudra : 1) se donner les moyens d’assurer la consommation actuelle de pétrole en allant le chercher partout où il y en a, dans l’Arctique, dans les schistes au moyen de la fracture hydraulique etc. 2) Fabriquer des substituts de pétrole avec des algues, détourner l’agriculture de la production alimentaire vers les agro carburants (le maïs). 3) Relancer au maximum l’énergie nucléaire pour la consommation électrique. Vu les dégâts collatéraux, pas sûrs que ce genre de choix recueille un consensus.
Les énergies
renouvelables doivent bien sûr être développées, elles offrent d’immenses
possibilités, mais est-il vraiment raisonnable de penser qu’un monde converti
aux énergies renouvelables sera identique à celui que nous connaissons ? Une
conversion même massive aux énergies renouvelables d’un point de vue physique
reste encore très loin du niveau actuel de besoins. Rien qu’en Europe, il
faudrait couvrir la totalité des territoires de barrages, accélérer de manière
intensive la production des forêts pour le bois de chauffage, multiplier partout
les éoliennes, la culture intensive pour les biocarburants… et on serait
encore très loin du compte. Il y des facteurs aléatoires difficilement
maîtrisables : on ne va pas demander au vent de se déplacer à volonté à la
vitesse qui nous convient. Ce qui est en revanche certain, c’est que ce genre de
choix est en contradiction flagrante avec un développement « propre ».
Combien d’environnements seront détruits pour capter de l’énergie à partir du
charbon, de la tourbe, des schistes bitumineux ? Du coup, c’est à se
demander si le concept même de « développement durable » ne devient pas
alors une gigantesque fumisterie. Les données scientifiques dont nous disposons
sont accablantes, elles montrent que les tendances énergétiques actuelles ne
seront pas viables ni à long terme ni même à court terme. Si seulement nous
avions le courage de regarder les choses en face, nous verrions que l’abondance
énergétique dans laquelle nous vivons va prendre fin avec la disparition des
combustibles fossiles. Dans l’état actuel, les énergies renouvelables sont
incapables de les remplacer et il va s’écouler un grand nombre d’années avant
qu’elles puissent occuper une place décente dans l’approvisionnement
énergétique. Bref, et là nous ne faisons que répéter les conclusions de
Jean-Marc Jancovici, le plus sage serait « de prendre le chemin d'une
division de la
consommation d'énergie par 2 ou 3, et non de l'augmenter "tant que ça
passe", en pensant que les renouvelables permettront de prendre le relais quand
nous le souhaiterons », ce qui est complètement irréaliste.
2) Ou bien nous prenons le taureau par les cornes : il faut abandonner le modèle de la croissance infinie et le modèle actuel de société et inventer, en étant plus sobre, un monde plus convivial. Jusqu’à présent, la question du choix de société se posait en termes idéologiques. (texte) Les projets politiques pouvaient être plein vent dans le libéralisme, mâtinés de socialisme, inspirés d’écologisme, de communisme etc. Mais nous avons dans la dernière décennie commencé à comprendre qu’il s’agissait de débats de façade, ce qui tirait véritablement les ficelles était en fait l’économie, du coup, pour les observateurs les plus lucides, les affrontements droite/gauche commençaient à prendre l’allure d’une fiction bien organisée. Depuis trop longtemps. Et l’évidence a commencé à s’imposer que finalement d’un bord comme de l’autre une fois au pouvoir, ils faisaient la même chose. Personne n’avait assez d’audace pour ...
Avec la perspective de la disparition de l’énergie fossile nous allons encore plus loin dans la remise en question. Il est évident que les petites guéguerres de clans deviennent complètement obsolètes face au défi de l’énergie. Même le combat contre le monstre froid de la finance paraît presque surréaliste quand on comprend que nous sommes face à une contrainte massive que la nature nous impose dans la finitude des ressources de la Terre. Pour l’heure, il ne s’agit plus d’un choix de société mais da la question de la survie de notre civilisation. Bien sûr, ce n’est pas très motivant de raisonner en termes de survivalisme. La pensée de la peur ne motive pas vraiment et elle invite au repli sur soi. D’un point de vue politique, ce que nous avons de mieux à faire c’est de proposer une vision porteuse d’espoir capable de mobiliser toutes les volontés en direction d’un futur meilleur. En relevant le défi.
Les philosophes
apprécieront cet extraordinaire changement de perspective dont l’ampleur est
proprement inédite dans toute l’histoire humaine. L’ironie du sort, c’est que
jusqu’à présent, dans la lignée de Hegel, nous avons pensé l’Histoire dans la
temporalité linéaire de l’humanité, planant bien
au-dessus de la temporalité naturelle. (texte) C’est bien connu, la
Nature n’a pas
d’Histoire ! Et voilà que la Nature nous rattrape et qu’elle entre par
effraction dans notre Histoire en nous imposant partout une contrainte que nous
avions complètement oublié : la
finitude de la Terre. Si la Terre est un monde
fini, les ressources fossiles de la Terre le sont aussi. C’est un fait. Ce n’est
négociable avec aucune idéologie ou abstraction spéculative. C’est une
contrainte physique et nous vivons sur un monde physique. Tout projet de société
qui n’en tient pas compte est au mieux une rêverie sentimentale, au pire un
fantasme démentiel. La question de l’énergie occupe une place qui si
fondamentale en tant qu’infrastructure de toute société humaine que tout
politique qui ne la prend pas en compte, ou même qui fait semblant de la prendre
en compte sans lui reconnaître la priorité qui lui revient, doit être taxé
d’incompétent et renvoyé sur les bancs de l’Université. Michel Serres a raison
quand il dit que nous devrions délaisser le concept de citoyen pour celui
d’écocitoyen. De la même manière, la politique pensée en dehors de
l’insertion de l’homme dans la Nature est ... et
la politique qui
met entre parenthèses la problématique de l’énergie n’est que
parlotte irresponsable. Étant donné que le débat sur l’énergie transcende tous
les clivages politiques, il serait temps de les oublier et de mesurer la valeur
des discours des uns et des autres à l’aune de la contribution qu’ils
apportent comme solutions au problème qui est devenu notre problème à tous.
Deux mots sur le
discours marxiste. Hans Jonas a brillamment démontré dans Le Principe
Responsabilité qu’il partageait la même religion dogmatique de la
technique que le capitalisme auquel il prétendait s’opposer. Marx a très bien
compris les rouages internes du capitalisme conduisaient inéluctablement à la
structuration en classes sociales vouées à une lutte constante. Il a bien vu dès
1850 que le développement du machinisme ne ferait qu’accentuer ce processus. Il
a cru dans une mission historique du prolétariat à même de transformer la
lutte
des classes en révolution. C’était bien plus dans son optique qu’une sorte de
combat pour arracher des acquis sociaux : une prise de pouvoir des peuples par
les peuples. L’importance de cette idée que les peuples ont trop cédé de leur
pouvoir à des puissances qui ne les servent pas allait être oubliée. Le
discours marxiste a lui-même cessé d’être audible et s’est perdu dans la nuit.
Mais il y a un paramètre important que Marx n’a pas vu, c’est celui de
l’énergie. Il a été victime d’une mécompréhension sur le sens de la technique
qui a été celle de toute une génération. La véritable question n’était pas
d’attribuer l’émergence du capitalisme au développement des techniques, la vraie
question était de rechercher la cause qui rendait possible le développement de
ces mêmes techniques. Or, encore une fois, et cela depuis la Modernité, la
technique suit une processus d’auto-développement autonome, elle se fiche
éperdument des idéologies que l’on greffe par-dessus. Et le nerf de la guerre
objective qu’elle mène et des victoires qu’elle remporte, c’est l’énergie. Point
final.
Toutefois il semble que pour la majorité des citoyens du monde civilisé, ce qui prédomine, c’est une croyance inconsciente : la technique, c’est le progrès et le progrès technique, c’est le génie humain. Comme c’est une croyance qui n’est jamais investiguée, elle subsiste partout comme allant de soi et comme un dogme qui ne souffre pas la moindre contestation. Bien sûr, on est près à admettre que les ressources de la Terre ont « favorisé » (!) ce développement mais comme c’est le pur génie humain qui s’y manifeste, on pense que l’élan irrésistible du progrès depuis la Modernité ne pourra pas s’arrêter, ni même régresser. C’est de l’ordre de la foi. Cournot disait que le progrès est une idée religieuse. La foi dans l’autonomie de la volonté de l’homme face à la puissance de la divinité ! Alors qu’elle est l’attitude la plus répandue ? Balayer d’un revers de main l’objection de l’épuisement des ressources en prétextant : que les techniciens s’en occupe ! Aux ingénieurs de se mettre au boulot. Donc : « Continuez comme si de rien n’était, vous en faites pas… Ils s’en occupent ! »
Mais justement les ingénieurs eux ont une autre analyse, ils savent qu’en amont de la technique il y a l’énergie et que si celle-ci vient à manquer il n’y a même plus de puissance technique. Un fait très simple : les techniques d’extraction de plus en plus poussées ne vont pas augmenter la quantité de pétrole existant dans les puits, elle permettent seulement… de les vider beaucoup plus vite ! Comme le répète Jancovici il y une erreur dans le terme production d’énergie, on ne produit pas d’énergie on transforme une forme d’énergie dans une autre et si la ressource de départ s’épuise, il n’y a plus rien à transformer et donc plus rien à « produire ». Comme à 95% l’énergie consommée est extraite de l’énergie fossile, la raréfaction des ressources nous place devant une limite implacable, et ce n’est pas le petit 5% de renouvelable qui peut faire le poids. Il y a un sophisme inaperçu dans l’idée que nous seront sauvés par la technique sans remettre en cause notre manière de vivre . Par contre si notre modèle de société est beaucoup moins énergivore, la contrainte de l’énergie se relâche et cela ménage une certaine latitude d’action ; s’il est maintenu ou s’il ne fait que se développer, il n’y a quasiment plus rien à faire, on court vers le désastre. C’est « on n’arrête pas le progrès !», dans le sens de la locomotive qui fonce à toute vapeur, que plus personne ne peut arrêter et qui fonce… dans le précipice. Avec le restant de l’humanité à son bord. Comme dans le film Snowpiercer.
Les quelques uns qui n’adhèrent pas à la croyance bigote dans le progrès ont donc pour eux des raisons assez solides. On peut d’ors et déjà prouver qu’il n’y a de fait plus de croissance en Europe. Il devient alors tout à fait rationnel d’envisager un projet de société sans croissance parce que c’est déjà le cas et que le concept de croissance économique supposerait comme moteur une énergie et des ressources que nous n’aurons pas. Admettons-le, pour refonder le débat politique, c’est assez efficace. (texte)
1) Si on admet
comme incontournable le second principe de la thermodynamique, alors toute la
logique de la croissance portée par les idéologues du conformisme fossile
s’effondre
et
il n’y a de perspective que dans une
décroissance raisonnée. (texte)A l‘humanité donc de la convertir dans une
nouvelle vision et même, pourquoi pas, une vision écologique joyeuse portée par
un engagement décidé dans la
simplicité volontaire. (texte)
Ce que nous dit le second principe, c’est qu’en définitive, tout ce dont est capable l’industrie humaine est de modifier l’environnement en transformant des ressources à l’état désordonné, réparties dans la Nature, dans des objets ordonnés utilisables par l’homme - voués de préférence à un usage bienveillant. Pétrole ou pas pétrole, renouvelable ou pas renouvelable, la loi est inchangée. La transformation qui va de l’état naturel désordonné vers un état ordonné par l’homme suppose la mise en œuvre d’une énergie. Selon la même loi, tout ce que nous pouvons fabriquer nécessite, pour que sa forme soit maintenue en l’état, une action humaine qui mobilise aussi une énergie. Sans cela le chenal qui sert de passage au bateau se bouche sous l’action du sable et des marées, les machines rouillent, les routes se dégradent, les bâtiments deviennent insalubres et tombent en ruine, etc. C’est le mouvement entropique universel du désordre qui défait l’ordre composé par l’homme et cette loi ne souffre aucune exception à l’échelle humaine. Depuis toujours l’homme a transformé la Nature. L’apparition de l’oléocène n’a en rien modifié cette loi, mais elle a permis d’obtenir un apport d’énergie fabuleux en puisant dans les ressources de pétrole que la Nature avait préparé pendant des millions d’années. Allié à des moyens techniques sophistiqués, c’était une puissance extraordinaire, ... Une réduction drastique de l’apport d’énergie ne veut pas dire plus d’ordre du tout, mais simplement moins de pouvoir organisation à notre disposition, autrement dit, un retour progressif vers les modes de transformation qui ont précédé l’ère industrielle. L’idée que l’homme par son travail transforme la Nature reste valable et il continuera de le faire, mais à un rythme plus lent.
D’un point de vue
économique une société comporte des éléments
structurels statiques, qui vont des outils les plus simples, vers les machines
automatiques, jusqu’aux ensembles très complexes des infrastructures
industrielles, le tout lié de manière systémique. D’autre part, toujours d’un
point de vue économique, une société comporte des éléments dynamiques dont
l’effervescence des transports - depuis les voitures sur les routes, les
bateaux, les trains et les avions – est l’aspect le plus manifeste. Le cinéma
adore montrer toutes ces lumières des phares qui
filent
dans la nuit. L’aspect dynamique est tout autant systémique. Si on coupe le
robinet de l’approvisionnement en énergie, surtout le pétrole, ... mais immédiatement l’organisation dynamique s’effondre.
...Il y a toujours des champs cultivés, des gratte-ciels, des résidences
secondaires, des machines, des outils, des gadgets électroniques, mais plus de
camions et de voitures sur les routes, plus de cargos en circulation, plus de
trains en circulation mus par des motrices au fuel, plus d’avions dans le ciel
etc. Notons que l’arrêt d’approvisionnement, suite à des attentats
terroristes
au Moyen-Orient, une crise politique grave chez les pays producteurs, un conflit
armé, produiront exactement le même résultat, mais brutalement et sans prévenir.
Que se passe-t-il ensuite ? Impossible d’éviter le chaos et le tableau des
violences est assez effrayant pour que l’on puisse en faire des films
apocalyptiques.
Ce qui nous
intéresse, c’est la manière dont les hommes s’organiseront ensuite. Ils
devront
nécessairement
quitter les mégalopoles pour rejoindre des communautés plus petites, plus
agraires. Ils recentreront toute l’économie autour du village en montant
des dispositifs énergétiques plus petits mais suffisants à cette échelle, tout
en cherchant une autosuffisance alimentaire. Une éolienne pour un pâté de
maison, ou comme en Chine pour un village, serait commode. En Europe, les villes
ont toutes été reconfigurées autour de la bagnole. Aux États-unis dans la
plupart des grandes villes il n’existe même pas de « centre ville » ! D’où la
difficulté d’une mutation. La fin de l’énergie fossile verra les populations
déserter les villes. L’idée des décroissants c’est précisément cela, dès
maintenant recentrer l’économie
au niveau local. Mettre en place des circuits courts. Un système de
monnaie locale pour faciliter les échanges de
services. Monter des ateliers solidaires de partage d’expérience et de savoir.
Changer les pratiques agricoles et sanitaires. Revoir entièrement les
circuits de distribution énergétiques pour accueillir de plus en plus le
renouvelable en gérant ses aléas. Trouver moyen de stocker l’énergie éolienne
par grand vent alors que la demande ne peut l’absorber. Entre autres
conséquences intéressantes, étant donné que le remplacement des machines
deviendra problématique, ce sera la fin obligatoire de l’obsolescence
programmée. Au milieu de la récession globale, ce sera aussi la fin de la
mondialisation.
Et la
sphère financière ? Si on suit Frédéric Lordon : « la
ruine complète du système bancaire
c’est le retour au jardin-potager en cinq
jours » ! Un programme potager… qu’il vaudrait mieux commencer tout de suite
diront les décroissants. Bien évidemment le fossé entre les ultra-riches et
les pauvres ne va pas magiquement se combler du fait de la disparition de
l’énergie, il a de bonnes chances de s’accroître. Donc encore des jets
privés sillonnant le ciel, des yachts de croisière sur les océans, des
hélicoptères de luxe pour sauter d’un palace à un autre et tuti quanti
pour tous ceux qui auront les moyens de se servir dans le restant de fuel et de
kérosène maintenant hors de prix pour le commun des mortels. Mais on voit mal
comment le casino boursier pourra continuer
son manège dans un monde engagé dans la déplétion. Les émirats seront ruinés
et les pétrodollars ne vaudront plus rien. Des échanges internationaux
fortement réduits et une industrie en panne, cela veut dire une dégradation
vertigineuse de la confiance dans la monnaie
étatique et dans tout ce qui lui ressemble. Un
intérêt de plus en plus marqué pour la monnaie locale
bien plus proche des besoins réels. Une invitation à
abolir la dette et à
déconstruire
radicalement tout l’édifice de l’argent-dette.
Donc fin de la spéculation.
Et nous pourrions
continuer longtemps dans cette logique, il existe à l’heure actuelle sur le Net
beaucoup de contributions dans cette direction. Une floraison d’idées. Ce qui
mène tout droit à une pensée qui trotte déjà dans la tête de pas mal de gens :
finalement la perspective de la raréfaction des ressources est assez stimulante.
Elle ouvre des perspectives excitantes. A condition que nous en prenions
résolument le chemin. On attend que des leaders politiques s’engagent sur cette
voie. Sinon… il y a de quoi donner des sueurs froides à pas mal de gouvernements
car la pression s’accentuant, les plus extrémistes vont être tentés par le
bioterrorisme. Souvenons-nous des années 60.
L’idéologie marxiste enflammait les esprits et les plus radicaux pensaient qu’il
fallait accélérer la révolution par la lutte armée contre le grand capital. Nous
sommes dès à présent à un tournant où
les
survivalistes en viennent à souhaiter ardemment l’apparition d’un
krach financier massif. Ce sont
les mêmes qui, souhaitent le krach énergétique
et rêvent de la reconstruction ensuite d’une société meilleure. Pour le moment,
les politiques peuvent encore
s’appuyer sur une opinion
rétive à tout changement et hostile à des mesures impliquant une réduction de
notre standard actuel. Ils profitent de la confusion
entretenue autour de la déplétion et ils ont même avantage à l’entretenir pour
ne prendre aucune décision sérieuse,
quitte à refiler la
patate chaude au prochain élu. Mais
c’est cela ne peut pas durer éternellement. Dès que les effets de raréfaction
commencent à se faire sentir, le vent tourne dans l’opinion. Ceux qui se sont un tant soit peu
désintoxiqués de la désinformation
ambiante en allant se documenter sont mieux préparés.
2) Laissons de côté les discours extrémistes et gardons les faits, il est indispensable de prendre en compte les tendances lourdes qui oeuvrent dans une société, sans quoi on raisonne avec la vue brouillée d’un idéaliste qui rêve les yeux ouverts et ne voit pas ce qui est en train de se passer sous son nez. La raréfaction de l’énergie en fait partie. Ce n’est pas la seule, on pourrait en citer beaucoup d’autres : le problème de la surpopulation, la dégradation de la biosphère, l’étranglement universel des États et des particuliers par la dette, la paralysie endémique et la corruption du système politique etc. L’ensemble de ces tendances lourdes permet de dire que le monde dans lequel nous vivons traverse une crise sans précédent dans l’Histoire humaine. Ce qui est spécifique à la problématique de l’énergie c’est qu’elle nous impose des contraintes physiques et qu’elle affecte directement ce qui jusqu’ici a constitué le moteur de développement ...
Pour terminer
quelques mots qui pourraient desserrer le corset logique de toute cette analyse,
mais attention, sans la renier.
Le concept d’énergie ne se réduit pas
seulement à l’énergie fossile et il dépend de l’échelle à laquelle on le
considère. - Pour mémoire,
il a déjà été longuement question dans les leçons
précédentes de l’énergie psychique-. L’énergie
fossile est une des formes de l’Énergie, celle qui a été stockée dans du
carbone dans l’évolution de la Terre, suite à très un long processus de
maturation. En amont de l’énergie fossile il y a le soleil, et le soleil lui ne
brûle pas du pétrole conventionnel ou du gaz de schiste, mais de l’énergie
nucléaire. Il en a encore pour quelques milliards d’années. Sans lui il n’y
aurait tout simplement pas de vie sur Terre. Les végétariens disent : pourquoi
en pas aller directement chercher nos protéines dans les plantes au lieu de les
prendre dans la viande qui n’est qu’un dérivé ? Les partisans du
solaire
disent : si toute l’énergie fossile dont nous disposons provient du soleil,
alors pourquoi ne pas la tirer directement de la source au lieu d’aller la
chercher dans un dérivé ? L’énergie solaire est propre et disponible partout. Ce
qui est très pertinent, mais pour l’instant peu efficace. Et bien sûr les
partisans du
nucléaire
surenchérissent : puisque le soleil tire lui-même son énergie de réactions
nucléaire, pourquoi ne pas la chercher en provoquant une fission contrôlée dans
une centrale ? (Pour sauver la sacro-sainte croissance !) Ce qui est
pertinent et efficace, mais extrêmement coûteux à mettre en œuvre, dangereux et
complètement calamiteux pour l’environnement.
Si on change
d’échelle, on trouve différents niveaux d’énergie. Si on change d’échelle les
deux lois qui constituent les prémisses du raisonnement conduit jusqu’ici sont
bousculées. Dans le monde quantique on peut violer le second principe de la
thermodynamique. Les lois de la thermodynamique s’appliquent à des
systèmes physiques massifs constitués d'un très grand nombre de
particules. Une masse de gaz échangeant de la chaleur avec la terre dans le
climat. Un mélange explosant dans un moteur thermique. Mais la validité du
deuxième principe peut ... pour des petits systèmes
physiques du fait des fluctuations quantiques. Ce n’est pas de la spéculation,
mais un fait expérimental. Jusqu’à présent, la puissance du second principe
semblait si universelle que les physiciens eux-mêmes avaient tendance à l’ériger
en dogme. Ce que font les ingénieurs. Mais nous savons que c’est une erreur. De
toute manière une loi physique ne
doit pas être interprétée comme une loi métaphysique. Rappelons ce que nous
avons montré ailleurs. Un des résultats les plus révolutionnaires de la physique
contemporaine a été de découvrir que l’univers est entièrement composé de
structures énergétiques ; comme l’a démontré
la Relativité, toutes choses sont composées
d’énergie et plus on descend au cœur de la matière et plus l’énergie est grande.
La théorie la plus avancée dit que le vide quantique
est une mer d’énergie d’où naissent et disparaissent en permanence des
particules. Non seulement l’énergie est surabondante dans l’univers, mais la
potentialité énergétique à un niveau subtil est infinie. Les deux
principes dont nous avons parlé ne s’y appliquent tout simplement pas. L’idée
que le
vide bouillonne d’énergie n’est pas un fantasme
de science fiction, mais un acquis de la physique théorique. L’effet a été
prédit par
Hendrik Casimir en 1948. L’expérience des
plaques de métal rapprochées est devenue très célèbre, elle montre que les
fluctuations quantiques du champ électromagnétique changent la densité d’énergie
et forcent les plaques à se rapprocher. En 1997 Steve Lamoreaux a produit des
mesures suffisamment précises pour balayer les doutes et montrer que l’effet
Casimir existe bel et bien.
L’idée que nous pourrions extraire de l’énergie libre à partir du vide est peut être choquante, mais elle n’est pas saugrenue, elle a un sens. On répondra que ces effets, même s’ils sont prouvés, se situent à un niveau infinitésimal et qu’à notre échelle ils cessent d’opérer. Toutefois l’argument est mauvais car il ne se passe pas un mois sans que l’on découvre que des effets quantiques peuvent aussi se produire au niveau macroscopique. Tellement que des biologistes ont même créé un département dans leur discipline consacré à la biologie quantique.
Il existe un
engouement et une créativité débridée à l’heure actuelle autour de
l’énergie libre.
Elle
est historiquement rattachée à un père fondateur qui serait
Nicolas Tesla. Elle fait beaucoup rêver : un
peu trop, une source d’énergie illimitée que l’on a pas besoin d’aller chercher
au bout du monde, une énergie non polluante, gratuite, comme le vent et le
soleil et pouvant être convertie en énergie utilisable, c’est un fantasme. Une
machine qui une fois lancée entretiendrait un
mouvement produisant plus d’énergie
qu’elle n’en consomme, c’est carrément en contradiction avec la thermodynamique
qui présuppose qu’il y a nécessairement une perte. Les défenseurs de ces
procédés répondent : une machine à énergie libre ne viole pas le principe de
conservation de l'énergie, car elle ne crée pas quelque chose qui n'existait pas
auparavant, elle transforme une énergie que l'on ne savait pas détecter en
quelque chose d'utilisable. Selon eux il y aurait moyen de polariser le vide
pour récupérer un peu d’énergie, le résultat étant que le dispositif fournit
plus d’énergie qu’il n’en consomme au départ quand il est
amorcé.
La source est omniprésente, elle est partout dans la Nature. Reste à vérifier
s’il ne s’agit pas d’arnaques pures et simples, si le dégagement d’énergie
obtenu est conséquent. Au mieux, dans l’état actuel des choses il semble que les
résultats soient très faibles ! Mais bon, cela mérite toute de même réflexion.
* *
*
On ne peut pas scinder d’un côté la question politique du projet de société et de l’autre la problématique de l’énergie et faire comme si on avait affaire à deux questions indépendantes. Étant donné que la notion de croissance qui semble chez les politiques un mot magique pour tout résoudre, elle prend un sérieux coup dans l’aile, car ramené à ses vraies conditions la croissance dépend étroitement de l’énergie. Dans un monde où l’énergie va se raréfier, il faut sérieusement revoir la copie des projets de sociétés. Ou alors on est dans la langue de bois que plus personne n’écoute. Dire que c’est « un » défi pour l’avenir de nos sociétés est encore trop faible, car le sous-entendu c’est « un défi parmi d’autres », (genre : « je fais semblant d’avoir compris, mais je relativise au maximum). Alors que c’est vraiment la question dérangeante par excellence dont dépendent beaucoup d’autres réponses. Pas facile d’admettre que l’immense puissance dont nous disposons depuis la modernité repose sur une base aussi fragile et dérisoire. Mais c’est ainsi. On s’est monté la tête pendant 160 ans en imaginant une progression linéaire vers toujours plus et toujours plus. Et tout ça pour en arriver à gérer une pénurie. Illusion de la pensée linéaire. Il n’y a aucun exemple de ce type dans la Nature. Pas de montagne sans sommet ou plateau et vallée pour redescendre ensuite. Tous les processus naturels sont cycliques. Un modèle de société ne peut pas être éternel. Il conviendrait plutôt de questionner l’origine de cette étrange frénésie du toujours plus qui nous a mené jusque là. Cette incroyable enflure de la volonté de puissance. Les anciens peuples avaient que l’homme ne peut qu’apprendre à vivre en accord avec la Nature et qu’il n’est pas sur Terre pour la dominer. Cela veut dire rester dans les limites choisies d’une mode de vie simple et respectueux de toutes les formes de vie et de cette Terre qui le porte. On peut vivre très confortablement avec très peu de besoins, très peu de besoins énergétique. Pas sûr que l’on vive mieux avec beaucoup de besoins et surtout beaucoup de besoins énergétiques. En tout cas, pour vivre à des milliards au-dessus de nos moyens, il faut en payer le prix.
* *
*
Questions:
1. Pourquoi la problématique de l'énergie est-elle si importante en philosophie politique?
2. Est-il correct de penser que dans les sociétés traditionnelle la question ne se posait pas?
3. Dire qu'avec un litre de pétrole on a l'énergie du travail de mettons dix ouvriers pendant un mois suggère qu'une telle quantité énergie nous offre dix esclaves dans cette même durée? Que doit-on en penser?
4. Quel est le lien entre énergie et finitude de la Terre?
5. En quoi le débat sur l'énergie est-il biaisée quand on dit que "la technique nous sauvera de toutes façons"?
6. Toutes conditions réunies, est-il raisonnable de s'attendre à une mutation tranquille de nos sociétés?
7. Que faut-il mettre en avant pour penser un projet de société qui soit viable?
© Philosophie et spiritualité, 2014, Serge Carfantan,
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