Leçon 155.   Apparence et réalité        pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    Nous avons tous reçu la mise en garde qui dit qu’il faut se méfier des apparences. Ce qui est curieux, c’est l’usage très sélectif que nous faisons de ce genre de recommandation. Dans le sens commun, on préfère l’interpréter de manière négative et l’appliquer surtout aux personnes : « il a l’air gentil, comme cela, mais… il ne faut pas se fier aux apparences ». En d’autres termes, la réalité, c’est que les gens qui vous paraissent bons sont plutôt mauvais. Inversement, de celui qui affirme une hostilité cynique, on dira, pour l’excuser, « qu’il ne faut pas se fier aux apparences », parce qu’il a « un bon fond ». Curieuse attitude. Il faudrait ici, par esprit de soupçon, se méfier de la gentillesse et chercher une vilaine intention ; et là  faire un effort de bonne volonté pour trouver le contraire de ce que l’on voit, en prêtant une bonne intention à celui qui affiche tout le contraire. A côté de cela, on pourra fort bien vivre, s’amuser et consommer le nez en l’air, sans jamais se poser de questions. Ce que nous voulons, c’est seulement nous protéger de quelques déceptions. Pour le reste, vive l’inconscience !

    Quelle confusion ! Nous avons vu que, dans la spontanéité, le passage de l’intériorité vers l’extériorité est continu. Un visage exprime un état d’âme. Il est absurde de séparer la conscience de son expression charnelle. La colère intérieure tire les traits et éclate dans un visage furieux. L’apparence est l’expression de la réalité. D’autre part, la dualité apparence/réalité ne concerne pas exclusivement le statut de la personne humaine. On peut maquiller une devanture, un tableau, des comptes, une organisation etc. pour leur donner une apparence… qui ne reflète pas la réalité.

    En fait, la problématique apparence/réalité vient s’adjoindre à tout objet tombant dans le champ de la perception, pour autant que l’esprit soulève le problème de son authenticité. La commode Louis XV, en apparence est authentique… en réalité, c’est peut être un travail habile de brocanteur. Dans ce qui est authentique, l’apparence est conforme à la réalité. Dans ce qui ne l’est pas, la réalité est différente de ce que l’apparence suggère. La dualité entre apparence/réalité n’est-elle que le fait d’une intervention intentionnelle de l’homme ? Relève-t-elle d’un jugement ? Est-ce les choses qui ne sont pas ce qu’elles paraissent être ? La dualité apparence/réalité est-...

*   *
*

A. Du manque de discernement

    Machiavel dans Le Prince, dit qu’il n’y a en ce monde que bien peu d’esprits perspicaces. La foule est crédule, elle se laisse aisément tromper, parce qu’elle croit dans les apparences qu’on lui offre et ne va pas plus loin. Quelques uns sont assez lucides pour ne pas entrer dans le jeu de dupes du pouvoir, mais ceux-là n’osent pas contredirent la foule et la peur suffit pour leur imposer le silence. Il suffit dès lors au politique, pour maintenir son autorité, de composer les apparences à bon escient.

    1) L’apparence, prise dans ce sens,  se définit par rapport à la réalité empirique. Notons qu’à la réalité empirique on oppose dans la dualité, deux couples : soit réalité/apparence, ou bien  réalité/illusion. L’apparence est ce qu’un phénomène parait être, mais entre ce qui parait et ce qui en est la cause, l’esprit trouve un hiatus, de sorte qu’il ne peut pas reconnaître la cause véritable. Le terme d’illusion va plus loin, parce qu’il implique un jeu de dupe où le sujet se prend lui-même pris au piège de l’apparence en lui prêtant une réalité qu’elle n’a pas. (texte)

    L’homme qui vit dans la conscience commune ne se pose pas de question, il a tendance à tout simplement prendre l’apparence pour la réalité. Il a peu de discernement et, en guise d’interprétation de se qu’il voit, il se contente souvent du jugement d’autrui. Le on juge pour lui. Nous avons vu que lopinion ne juge que sur les apparences. L’opinion est chose que l’on peut entretenir dans l’ignorance et manipuler. Il faut que la trahison perce de façon flagrante pour que l’homme, qui jusque là se contentait du sens commun, sorte de sa léthargie, s’éveille et exige la vérité.  (texte)

    Dans l’attitude naturelle, nous ne voyons que ce que nous voulons bien voir. C’est-à-dire que notre perception est télécommandée par notre pensée. Nos désirs, nos préoccupations, le harcèlement des choses à faire, des rendez-vous urgents, le train-train des habitudes, la répétition des mêmes actions chaque jour  s’accommodent d’une simple reconnaissance. Le mot re-connaissance, veut bien dire re-trouver ce que nous cherchons, en anticipant par avance ce à quoi nous devons nous tenir. La perception habituelle porte les œillères de nos attentes et l’anticipation de notre mémoire. Notre principal souci, c’est d’y confirmer la cohérence de notre représentation actuelle, en tissant par la pensée les fragments du monde que nous percevons. A dire vrai, si nous vivons dans le même monde de la vigilance, si nous sommes sensés être éveillés, (texte) nous n’observons pas vraiment. L’art d’observer suppose qu’un coup d’arrêt soit donné à la propension continuelle de la pensée à reconstruire mentalement les objets. Savoir observer avec attention, c’est suspendre le mouvement d’agitation de la pensée, rester dans l’ouverture que les sens nous offre et laisser la découverte faire son entrée dans la perception. Détailler. S’étonner. Se laisser surprendre. Laisser à la perception son véritable pouvoir qui est de révéler une présence riche et complexe. Parce que notre perception habituelle est bornée à la reconnaissance, elle est assez terne. Et c’est cette surface ...

    Il serait plus exact de dire  avec Bergson, qu’un voile (texte) constamment s’interpose entre nous et l’objet. Un voile qui est celui de notre inconscience. Par exemple, nous avons une propension invétérée à simplifier ce que nous voyons. Il me suffit d’avoir identifié que cette femme, qui avance dans la rue, est Mme Thomas, pour que je n’ai plus besoin de lui porter une attention. Pourtant, elle a aujourd’hui un visage particulier, un regard effaré qui n’est pas son sourire habituel. En contraste, son vieux chien jaune est d’humeur encore plus folle que d’ordinaire. Au moment où je vais la croiser, elle va se composer une apparence tout à faire correcte. Elle posera dans son personnage de vieille dame sérieuse, distinguée, et toujours bien mise. Ce qui est très commode au fond pour moi, c’est une invitation à en rester à l’identification habituelle. Et pourtant ce regard ! Ce regard qu’elle avait dans la rue, au moment où elle ne posait pour personne ! C’est à travers lui que  le voile se déchire, qu’une profondeur se découvre en cascade, par-delà les masques et les propos convenus. Elle ne dira rien dans la salutation et les petits mots sur le temps qu’il fait. Mais si je lui accorde un peu d’attention, elle laissera percer un peu de son désarroi. Si  elle se sent en confiance et qu’elle peut parler, elle racontera son histoire. En attendant, elle fait comme tout le monde, elle cherche à sauver les apparences en donnant à penser que t...

_______________

Ces deux expressions : « se composer une apparence » et « sauver les apparences » nous ramènent à la subversion que la sociabilité ordinaire entretient. D’un côté nous jouons la comédie d’une apparence composée à dessein pour autrui, qui est l’exact reflet de l’image que nous souhaitons lui donner. Un personnage qui nous va comme un gant. De l’autre, nous nous bornons à noter rapidement la présence d’autrui sous une forme par avance déterminée. Les deux pris ensemble maintiennent la perception en surface et confinent l’attention dans l’apparence qui devient ipso facto la réalité. La promiscuité de la famille, des loisirs et du travail n’entame en rien cet effort de paraître pour poser dans une apparence. C’est pourtant dans les réunions de famille  que finissent par éclater ces tensions nouées en chacun par-delà les apparences, et qu’un peut de vérité refait surface. Comme l’expression l’indique, il y a une pointe de désespoir dans la nécessité de devoir « sauver » les apparences, comme on tente de sauver ses biens alors que le navire est en train de couler. Tension d’une contradiction entre la réalité et l’apparence dans laquelle la réalité menace de reprendre le dessus et contre laquelle il faut lutter… pour que cela ne se sache pas. Et le mécanisme est le même partout : on peut tenter de « sauvegarder les apparences » de la bonne santé d’un État, d’une entreprise, d’une institution, d’un club, d’une association etc. Alors que la réalité que l’on masque est très différente. On peut même vouloir persuader à tout prix, dans des apparences brillantes, à grand renfort d’images rassurante que le Monde va très bien et que la Terre se porte comme un charme. Même s’il y a mille preuves du contraire et que l’insurrection du réel vient hurler sous nos fenêtres qu’une crise majeure est en cours. Les grands craquements ...

    2) - La subversion de la réalité dans l’apparence semble de prime abord relative à une intention délibérée d’effectuer une mise en scène afin :

    - a) soit de dissimuler la réalité sous la couverture d’une représentation telle que le sujet aura peu de chance de soulever, de sorte qu’il ne soit même plus possible de distinguer l’apparence de la réalité, tant celle-ci sera devenue crédible. On connaît, dans le blanchiment de l’argent de la drogue, le rôle des sociétés écran qui sont là pour dissimuler les véritables trafics. En politique, la manipulation d’informations peut aussi produire ce résultat. A l’égard de la justification d’une mesure, il suffit d’accréditer une interprétation officielle et d’éliminer systématiquement les véritables motivations, les véritables enjeux. Surinformer dans l’ordre de l’interprétation officielle, désinformer sur le plan de l’accès aux motivations véritables. Nous avons vu que ce type de procédé existe en politique. Il peut aussi exister dans le domaine scientifique, comme il existe partout où l’information comporte un enjeu de pouvoir.

     - b) de simuler  une réalité, en sorte que, si la question se posait de savoir s’il faut oui ou non croire dans les apparences, l’explication serait suggérée par avance et deviendrait évidente. Ce qui est la meilleure façon d’arrêter un questionnement qui menacerait de s’orienter vers les véritables raisons ou les vraies causes. La paresse intellectuelle fait que l’esprit s’arrête quand il a obtenu une explication satisfaisante. Il cesse de poser des questions et accepte une représentation qui lui permet de lier logiquement une apparence à sa cause dite « réelle ». C’est une question de confort intellectuel. Vivre dans l’inconnu et accepter le doute est moins facile.

    Notons que la dissimulation et la simulation ne sont pas des procédés relatifs à une société organisée, ou au monde de la techno-science. Ils sont, comme nous l’avons montré, dans la nature même de l’ego confronté à la relation à autrui. (texte)

     - Il est possible de défendre l’idée selon laquelle la subversion de la réalité dans l’apparence serait dans la nature même de l’apparence, indépendamment du sujet. Ainsi dit-on que « les apparences sont trompeuses », ou encore que « l’apparence nous égare souvent ». On invoque en faveur de ce point de vue toutes les formes d’illusions d’optique, en disant qu’alors le sujet est victime du caractère trompeur de l’apparence. Nous avons déjà répondu à cet argument. La perception est ce qu’elle est et c’est tout. L’apparence n’est pas « trompeuse », c’est le jugement qui peut être erroné. Il l’est quand l’esprit ne redresse pas l’apparence alors qu’il devrait le faire. L’exemple souvent cité du soleil qui est plus gros à l’horizon qu’au zénith  correspond à cette situation. Nous savons qu’il se produit un effet d’optique et qu’il serait erroné de dire que le soleil grossit et diminue. Nous savons que la réfraction et la chaleur provoque des miroitements dans le désert qui peuvent être pris pour des étendues d’eau. Cela s’appelle un mirage. Mais là encore, il est stupide d’accuser la perception de quoi que ce soit. Si nous voyons le serpent dans la corde, c’est que nous l’avons cherché. L’apparence de l’arbre n’est pas « menaçante ». Elle ne l’est que parce que j’ai peur. Seul le jugement est en cause. Pourquoi ? Parce que c’est dans le jugement que commence l’interrogation sur la vérité. La perception en tant que telle n’est ni vraie ni fausse, elle est, elle est la présentification d’un objet au sujet et c’est tout. Nous avons vu, dans le même ordre d’idée, que c’est la pensée qui, interrogeant une chose, se demande si elle est ou non authentique : si elle est bien ce qu’elle parait être. Une chose est tout simplement réelle pour le sujet qui en fait l’expérience. Elle existe. La bague en cuivre plaqué existe autant que la bague en or.

     - Il faut donc admettre que la subversion

---------- L'accès à totalité de la leçon est protégé. Cliquer sur ce lien pour obtenir le dossier

 

    Vos commentaires

   © Philosophie et spiritualité, 2007, Serge Carfantan,
Accueil. Télécharger. Notions.


Le site Philosophie et spiritualité autorise les emprunts de courtes citations des textes qu'il publie, mais vous devez mentionner vos sources en donnant le nom de l'auteur et celui du livre en dessous du titre. Rappel : la version HTML n'est qu'un brouillon. Demandez par mail la version définitive, vous obtiendrez le dossier complet qui a servi à la préparation de la leçon.