Leçon 248.   Sur le langage corporel     pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    Du point de vue de la linguistique, le langage est un système de signes capables d’exprimer une signification dans des énoncés. Le paradigme actuel de la linguistique postule que le signe est une totalité compacte faite d’un signifiant et d’un signifié, la relation entre l’un et l’autre étant supposée arbitraire, n’importe quel signe pouvant véhiculer n’importe quel sens. Bien sûr arbitraire s’oppose à naturel, la réponse classique est de dire que ce n’est que par convention que les hommes décident Tours et détours sur Autruide nommer tel ou tel aspect du réel par tel ou tel mot. Rien de plus, le langage est un écran artificiel entre nous et le réel. Les linguistes ajoutent que la langue, non seulement est artificielle dans ses éléments, mais elle est aussi la matrice culturelle de la pensée qui s’exprime en elle. Elle lui donne sa forme et sa capacité d’analyse, elle est une sorte d’univers dans lequel les locuteurs qui la parlent entretiennent des discours et se comprennent.

    Si cette représentation du langage était la seule possible, nous aurions beaucoup de mal à parler d’un "langage du corps" car cette idée part de présupposés en complète contradiction avec l’artificialisme linguistique. A la rigueur, le linguiste concèdera qu’il existe des signes culturels du corps : par exemple la manière de saluer, de dire oui ou non avec un mouvement de tête etc. Nous avons vu cet exemple avec les Grecs et les Bushmen.... Il existe un certain nombre de gestes qui sont effectivement codés par la culture et qui sont donc sociaux, compréhensibles dans tel ou tel contexte culturel et pas en dehors. Le signe culturel se prête donc à l’interprétation, il est artificiel, comme le signe linguistique.

    Et pourtant, lors d’une précédente leçon nous n’avons pas hésité à parler de signes naturels et d’un langage naturel du corps. La joie ou la tristesse composent un visage, la forme de la pensée vient à se refléter dans le corps.  Indéfectiblement, dans la spontanéité nous revenons vers la loi fondamentale de la non-dualité qui gouverne l’expression. Le corps n’est pas séparable de l’esprit, il en reçoit la puissance de signification, d’où l’idée d’Amiel,  le visage est un miroir de l’âme. Nous avons dû tempérer cette formule, car il nous est apparu que l’être humain possède aussi une aptitude à dissimuler ses sentiments ou  à en simuler de fictifs. C’est un acte de volonté qui contrarie la spontanéité, mais qui a aussi son efficace. Mais cela suffit-il pour refuser l’idée de langage corporel ? Quelle pertinence reconnaître à l’hypothèse d’un langage corporel non verbal?

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A. La communication non-verbale et ses éléments

    Par langage du corps on entend toute forme d’expression du corps propre en dehors du recours au langage verbal : tout ce qui relève du regard, de la posture adoptée, du geste, des mimiques, des attitudes, y compris les messages que délivre l’odorat. Mais il faut distinguer la pose de celui ou de celle qui prend « prend une pose » choisie, calculée, intentionnelle qui relève de la volonté ; de la spontanéité (texte) pas toujours à l’image que l’on voudrait donner à l’autre. Celle que l’on élimine dans les photos ratées qui montrent ce que l’on ne veut pas voir et encore moins montrer de soi : ...  L’étude de la physionomie serait alors une forme de psychologie qui part du principe que, moyennant quelques connaissances solides, on peut légitimement inférer de l’expression du corps son sens, autant intentionnel que non-intentionnel.

    1) Le principe est simple et universel : toute existence exprime ce qu’elle est, toute existence rayonne ce qu’elle est ; comme dit Ruyer, l’univers sensifie bien au-delà de ce qu’il signifie dans un langage verbal. Un paysage peut exprimer très sensiblement de la mélancolie, un tableau l’effroi, un chien qui retrouve son maître la joie et ainsi de suite à l’infini. C’est donc tout naturellement que nous pouvons penser qu’il en est ainsi pour un visage, un geste, une démarche, un visage ou la présence d’autrui. Les sentiments ne sont pas seulement ce que le cœur peut offrir, mais aussi ce qu’il est à même de recevoir. ...; nous pouvons à la rigueur bloquer ...

    Au niveau de la perception nous sommes en permanence assaillis par des impressions et elles sont reliées immédiatement à des sentiments. Certes, entre le pot de fleur sur la cheminée, le chat  sur la moquette et le visiteur qui vient à ma rencontre depuis l’entrée, il n’y a une grande différence de présence, mais il y a toujours un degré d’affection. Disons que d’ordinaire, un objet est à peine remarqué. Le chat est conscient et il nous voit, sa présence est davantage prégnante, autrui est bien plus influent et dérangeant  à la fois. Ajoutons qu’à l’état de veille, sur le plan de la perception, je ne peux pas faire de l’autre ce que je veux.

    Mais attention, cela ne veut pas dire pour autant que d’emblée je lise sur son visage comme dans un livre. Il faudrait être vraiment disponible et le plus souvent nous ne le sommes pas. Il faudrait savoir observer et nous ne faisons attention à rien. S’il y a bien un art qui est complètement négligé aujourd’hui, un art très précieux qui n’est pas enseigné d’emblée aux enfants, c’est bien l’art d’observer. Enfin, ce qui rajoute encore à la complexité, il est important de garder à l’esprit que les signes du comportement ne sont pas univoques mais plurivoques. Un froncement de sourcil peut signifier l’incrédulité, l’étonnement, l’incertitude, un certain intérêt ou bien carrément une désapprobation. Le fait de ... peut indiquer qu’une personne est irritée, ou bien qu’elle est très concentrée, qu’elle est impatiente, qu’elle aimerait être ailleurs, (ses jambes devraient alors être agitées), ou bien tout simplement qu’elle est en train de compter ou de battre la mesure. Si nous ne sommes pas attentifs, nous allons juger de manière précipitée, nous allons préjuger en faveur d’une interprétation bien arrêtée, sans égard à la signification réelle.

    2) Revenons maintenant plus en détails sur les signes de l’action qui composent le langage corporel. Nous avions distingué entre signes culturels et langage universel du corps.

    Pour être plus précis, certains éléments sont d’origine biologique, ou si l’on préfère, font partie du bagage instinctif qui équipe encore chaque être humain sur terre. Un bébé pleure pour exprimer sa faim, ou le besoin qu’on s’occupe de lui, il sait d’instinct comment téter. De même, il subsiste dans nos comportements des réactions émotionnelles basiques sur lesquelles nous n’avons pas de contrôle, il en est ainsi par exemple de la gamme des réflexes de survie dans des situations de danger, le fait de tressaillir, de faire un pas de retrait brusque, la dilatation des pupilles, mais on peut aussi ajouter l’éclat de rire devant une situation amusante, les larmes dans le chagrin. C’est humain et universel.

    Par contre, un certain nombre de signes de l’action sont empruntés par mimétisme à un milieu et dans ce cas on parlera de signes sociaux qui ne valent que dans un contexte. Il existe par exemple une forme de rituel chez les adolescents dans le salut, les codes de comportement et le vocabulaire pour se faire accepter ou confirmer que l’on est membre d’une tribu que l’on forme avec « des potes ». Certains gestes, certaines démarches, notamment empruntés aux chanteurs de rap, sont aussi codées que le vocabulaire exotique qui sert de repérage identitaire. De même que l’adolescent utilise dans la communication en direction des siens toujours les mêmes tournures lexicales, il se sert aussi d’un certains nombre de gestes qui sont des éléments du même ordre. Les uns et les autres tissent une appartenance : il y a nous et nos codes bien à nous et les autres qui ne les comprennent pas. Et qui doivent de préférence rester en dehors !

    De manière cette fois plus élargie, il y a bien sûr les signes culturels. Nous prenions l’exemple de la manière de saluer très différente en Orient et en Occident, du hochement de la tête codé différemment d’une culture à l’autre. La manière de regarder les yeux d’une personne âgée, d’un homme, d’une femme, d’un supérieur hiérarchique ou d’un serviteur est très codifiée dans certaines cultures. Ne pas se soumettre aux us et coutume, faire ce qui ne se fait pas peut causer des désagréments assez graves qui vont du ridicule public à l’offense caractéristique. En Arabie Saoudite vous pouvez vous retrouver au poste pour avoir regardé une femme de la mauvaise façon. On vous demandera dans certains pays de baisser les yeux par déférence devant certaines personnes, si vous ne le faites pas vous êtes mal dégrossi ou arrogant. En France, faire OK de loin à quelqu’un en mettant en contact le pouce et l’index (en « O ») est compris clairement de manière univoque. En Orient c’est une injure qui fait allusion à l’anatomie anale. A Malte c’est un geste de mépris pour désigner un homosexuel. En Grèce le même geste est une insulte. Mieux vaut consulter un livre de voyage quand on se rend à l’étranger pour éviter quelques impairs.

    Nous parions des signes de l’action en donnant l’exemple du mime Marceau jouant le violoniste. Beaucoup de signes sont professionnels et prescrivent par avance des schémas spécifiques de langage corporel. La vendeuse d’une boutique de fringues à une conduite extrêmement calculée, autant dans les paroles que dans sa gestuelle. Quand elle était débutante, elle était maladroite, on lui a appris que devant la cliente il ne s’agit pas de se comporter comme si c’était une copine ; on lui a montré qu’il y a une manière d’aborder une personne d’un certain âge, différente de la manière d’aller à la rencontre d’une personne plus jeune, que pour aborder un homme il vaut mieux etc. Les livres de marketing fourmillent de détails sur l’utilisation du langage corporel. Mais que vous soyez un officier de police, plombier ou chauffeur de taxi, il y aura toujours une gamme de gestes qui sont appropriés et d’autres qui ne le sont pas. La profession dicte des schémas de langage corporel qui sont attendus de part et d’autre et qu’il vaut mieux adopter par souci d’efficacité. C’est un registre très conventionnel, celui du rôle.

    Terminons ces distinctions par les signes non verbaux de la sexualité. Le deuxième usage le plus répandu de l’utilisation du langage corporel après le marketing, c’est… la drague ! La grande question de savoir comment interpréter le langage corporel d’un partenaire éventuel. Problème assez compliqué puisqu’il faut inclure à la fois le versant naturel et le versant culturel. La différenciation culturelle est aujourd’hui en Occident moins stricte qu’elle ne l’a été. On n’habille plus les petites filles en rose et les petits garçons en bleu. L’époque est à l’opposé, elle favorise la confusion des genres, mais se révèle plus souple à l’égard des différences sexuelles. Cependant, on a beau faire, le langage corporel d’une femme n’est pas celui d’un homme. Cela se remarque très bien dans un contexte associatif ou scolaire. Dans un groupe de filles le contact physique est assez facile et les liens amicaux établis assez rapidement. Dans un groupe de garçons, la distance physique est de mise, il y a hésitation à l’égard du bavardage, sauf si la conversation se fixe sur un sujet commun assez général comme le football. Ce sont des attitudes caractéristiques. Les femmes cherchent entre elles un contact physique de la main ou du bras, parlent de sujets intimes, sont plus dans l’émotionnel ; les hommes se maintiennent à distance et échangent des informations sur des sujets généraux, ils sont davantage dans le mental. La corpulence, le squelette, des hommes et des femmes, font qu’ils ne peuvent pas non plus avoir la même démarche. La femme fait des pas plus petits et balance les hanches, l’homme des pas plus allongés et balance davantage les bras, les femmes ont tendance à ramener les bras près du corps. Bien sûr, on remarquera que l’homosexuel s’approprie les caractéristiques gestuelles du sexe opposé. A une époque qui aimerait tout confondre, on pourrait penser que ces distinctions sont passées de mode, mais c’est sans compter sur les conduites primitives qui restent présentes sous le verni de la culture se réveillent sous l’impulsion du désir. Rien n’y fait, en situation de désir, même la femme soi-disant libérée, retrouve des gestes archaïques : montrer sa crinière, se triturer les cheveux, même quand ils sont courts, baisser les yeux, battre des cils. Rien n’y fait, quand elle circule au milieu d’un groupe d’hommes, une  femme se tient plus droite, sort sa poitrine et balance les hanches, c’est de l’ordre du subconscient, un rappel archaïque qu’elle est faite pour porter des enfants, et une manière de le signaler au regard du mâle. Même une femme lesbienne qui n’a pas d’attirance spontanée pour les hommes est inconsciemment inclinée vers ces comportements archaïques. Pas sûr non plus que les artifices ajoutés changent quoi que ce soit. Desmond Morris soutenait que le rouge à lèvres est fait pour attirer l’attention sur les lèvres qui sont des symboles des organes sexuels. On ne s’éloigne donc pas forcément de la pulsion par des comportements qui en apparence ...

B. De l’éloquence du corps

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Vos commentaires

Questions:

1. N'y a-t-il pas une certaine complaisance à persister à ne pas prendre en compte le langage corporel en prétextant qu'il est ambigu?

2. Quelles critiques peut-on tirer du langage corporel contre le conventionnalisme linguistique?

3. Comment se fait-il que nous soyons si aveugle à ne pas voir ce qui est pourtant sous nos yeux dans les conduites humaines?

4. En quoi la lecture du langage corporel peut-elle être très réductrice?

5. Faut-il déduire du langage corporel que l'humanité reste assez primitive dans ses conduites?

6. Est-ce une loi obligée que plus l'intellect est dans l'abstraction et moins il sait observer?

7. Comment comprendre l'appréhension d'autrui par l'enfant par rapport à celle de l'adulte?

 

   © Philosophie et spiritualité, 2014, Serge Carfantan,
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