Parvenu en ce point, nous ne pouvons plus adhérer à toute une série d’opinions convenues, autant dans le sens commun que chez les intellectuels. Nous avons vu que ce que nous appelons le « moi » n’est qu’un terme laudatif pour qualifier « l’ego ». Le moi n’est pas le maître de la maison. de l'âme. Il n’en est que le représentant, investi certes du rôle du tenancier de l’hôtel, mais il n’est pas seul en la demeure, même si tout son jeu voudrait nous faire croire qu’il est l’unique sujet. Le moi est le sujet représenté par le mental conscient et rien d’autre et au sens le plus trivial du terme, non pas dans un sens éminemment spéculatif réservé à quelques philosophes avertis.
La découverte chez Freud des niveaux subconscients et inconscients a conduit à une fragmentation du psychisme suggérant plusieurs « sujets ». Freud invente en plus du moi un « Surmoi » et un « Ça » et on a par la suite pris au pied de la lettre ces allégations en imaginant un combat mythique dans l’arène intérieure entre des gladiateurs imaginaires. En réalité, le surmoi, c’est encore l’ego, mais de l’ego idéalisé. Quand au Ça, il n’est que le vital instinctif sous quelques uns de ses aspects. Et le plan vital en comporte d’autres.
Enfin, nous avons vu que le sens du moi est impermanent, qu’il n’est pas toujours présent et, contrairement à ce qui est d’ordinaire admis, il tire plutôt le sujet vers l’inconscience. Quand nous sommes véritablement présent à ce qui est, cette présence est je suis, mais ce Je n’est pas l’ego et sitôt que celui-ci apparaît, nous sommes plutôt ailleurs que véritablement présent. Nous voyons donc dans quel sac d’ambiguïtés on jette l’intelligence quand on parle en l’air du « moi » en y voyant quelque chose de réel (mon précieux !) alors que ce n’est à tout prendre qu’une fiction et quel péril il y aurait à dénigrer le sentiment de l’être, quand il est dénué de particularités. L’occasion nous est donc donné de revenir sur la relation entre le moi et l’inconscient. Quelles relations le moi entretient-il avec l’inconscient ?
* *
*
Une interprétation populaire de la « résistance » du patient dans la psychanalyse freudienne y voit le plus souvent la preuve que les traumatismes dont il souffre sont liés à une répression (texte) de la sexualité. L’argument est simpliste. D’abord parce qu’il est tout naturel que le sujet « résiste » au dévoilement de son jardin secret. Après tout, l’intimité ne se confie qu’à un ami. Ensuite, la résistance est surtout liée au refus dans lequel se nouent les blessures douloureuses du passé et dans cette affaire la sexualité n’est qu’un élément parmi d’autres. Enfin, la méthode freudienne a une fâcheuse tendance à interdire le droit à une parole critique du patient, condamné par avance par le soupçon de cacher dans ses réactions des choses terribles. Toujours les mêmes d’ailleurs. Du sexe œdipien. Cependant, si nous mettons de côté le regard inquisiteur de la psychanalyse et ses complications inutiles, il est exact, et nous l’avons montré, que l’émotionnel réactif a un rapport avec l’inconscient, de même qu’il a un rapport étroit avec l’ego quand il se met alors sur la défensive.
1) L’ego entre en scène qu’à travers nos ré-actions. Concrètement, cela veut dire deux choses :
a) Il est
possible qu’une situation d’expérience actuelle
C réactive un
schéma conditionnel
B vécu autrefois. Un objet, une musique,
un lieu, une personne, qui ont une profonde analogie avec une situation
d’expérience vécue dans notre passé (texte)
dans un état de conflit, vont provoquer la répétition du modèle.
La petite fille qui a vécu l’éloignement de sa mère comme un abandon, une fois
femme, se sent déstabilisée dès l’instant où elle est confrontée a une
séparation. L’employé qui a vécu comme une humiliation son déplacement à un
poste subalterne est électrisé quand on lui annonce des restructurations dans
son
entreprise.
On dit qu’alors le corps
émotionnel (cf. Eckhart Tolle pain body), (texte)
sort de son état dormant et qu’il s’active fortement, faisant
jaillir des réactions mêlées de bouffées émotionnelles. D’où le n’importe quoi
de la conduite, la répétition des mêmes angoisses, des mêmes attitudes paniquées
etc. au beau milieu de la crise émotionnelle. Nous avons vu que le corps
émotionnel est l’ombre portée de l’ego, (texte)
ou sa composante obscure, lourde et inconsciente. C’est la charge de
l’inconscient personnel qui
constitue la base immergée de l’iceberg de l’ego.
Nous dirons alors qu’à travers la réaction, l’inconscient a pris la barre sur le conscient et il est exact qu’en pareil cas, la personne est le jouet de ses propres tendances. Un pantin donc l’inconscient tire les ficelles. (texte) D’un autre côté, il est indéniable que le sens de identité personnelle, du « moi », est inséparablement lié au passé, si le passé se réactive, c’est l’ego qui en sort renforcé, est rechargé comme une batterie sur le courant du secteur.
b) Il nous arrive
fréquemment dans la relation à autrui de subir des remarques et des piques
désagréables. (texte)
Tel cadre d’entreprise, qui a une haute idée de lui-même en guise de
croyance
inconsciente, s’entend un jour dire qu’il est incompétent. Furieux il entre
dans une colère noire. Il ré-agit par la colère et remet en place prestement
celui qui a eu l’idée stupide de le provoquer. Il lui
faudra un temps prolongé
pour que le corps émotionnel, le pain body,
se décharge et retourne à son état latent. Dans l’intervalle, ce sera l’enfer.
Les tourments et le tournoiement du mental autour de l’émotionnel. (texte)
La pensée nourrissant émotionnel, l’émotionnel relançant la pensée dans un
cercle vicieux. Or ce qui est affecté, c’est bien sûr l’image
du moi. S’il n’y avait pas d’image, la
remarque n’aurait fait que passer sans accrocher à quoi que ce soit.
L’expérience ne serait qu’un trait dans l’eau redevenue aussitôt calme qu’elle
était deux minutes auparavant. S’il n’y a pas d’image, rien ne déclenche une
réaction et la pique verbale peut juste provoquer un sursaut physique. Et quand
la réaction est seulement corporelle, elle ne dure pas, parce que l’image n’est
pas là pour relancer le circuit émotionnel. Avec l’image du moi, il y a la
blessure d’amour-propre, d’où le sentiment
terrible
de
diminution de l’ego, l’impression de chuter du piédestal où l’on est
installé, qui donnait auparavant cet air hautain facilement reconnaissable du
patron. L’ego nourrit l’image qu’il
possède de lui-même et il s’attend à ce que les autres le confirme dans ses
vues. Or le défi de la vie en relation c’est de mettre
constamment l’ego devant un miroir. Le
lien avec l’inconscient est évident, car dès l’instant où nous nous prenons la
tête avec nos problèmes d’ego, nous sollicitons artificiellement les
tendances inconscientes. Cela veut dire que
non seulement nous nous comportons comme un imbécile, mais qu’en plus nous ne
nous en rendons pas compte ! Plus l’identification avec l’ego est prononcée et
plus nous sommes inconscients. C’est imparable. Inversement, moins nous sommes
affectés par les problèmes d’ego, et plus il y a de
disponibilité, de
spontanéité, de stabilité intérieure et de naturel.
Pas d’image. Pas de fiction personnelle à
défendre. Parce qu’il n’y a pas d’identification à l’ego. L’identification avec
l’ego implique que le sujet se met aussitôt sur la défensive. Pourquoi ?
Pour défendre son ego et le préserver coûte que coûte. Il s’accroche à ses
idées, ses opinions, (texte)
ses croyances, ses certitudes, sa foi etc. et maintient contre vents et marrées
sa position. Il ne peut rien lâcher car lâcher l’ego alors qu’on y est
identifié, ce serait mourir. Plutôt que de se sentir diminué,
mieux vaut le combat… à mort !
Triompher, c’est renforcer à nouveau l’ego dans sa position. L’identification
avec l’ego devient une question de survie psychologique. Ce qui non
seulement plonge dans l’inconscience, mais conduit tout droit à la démence.
Et avec cela, il y a encore des gens pour croire qu’il existerait, dans on ne sait quel univers, un « ego conscient » ! Quiconque a soigneusement observé le fonctionnement réel de l’ego sait que ce genre de formule est un oxymore.
2) Voilà qui nous met sur la piste pour comprendre pourquoi C. G. Jung estime que « le moi n'est dans la psyché qu'un complexe parmi d'autres, auquel s'identifie spontanément la conscience». (texte) Il ajoute encore que la psyché abrite une pluralité de complexes que l'on se représente sous forme de nœuds ayant partie liée à un affect. Ce qui confirme les résultats que nous avons obtenus jusqu’ici. Considérer l’ego comme un complexe lié à un nœud psychique a des avantages indéniables.
Dans un
complexe, comme le complexe d’infériorité, ce qui hante le sujet, c’est le
besoin de compenser (texte) une image de soi jugée déficiente. Avant Jung, Alfred
Adler disait explicitement
qu’il est dans la nature de l’ego d’être en souci de
sa propre valeur. Le sujet en proie aux troubles souffre d’un problème lié à
l’image du moi. Comme le moi et l’image du moi ne sont pas séparables, le
complexe va nourrir la formation inconsciente de représentations qui auront la
même teneur et le mental aura alors tendance à alimenter le jugement sur soi. De
plus, selon Jung, la formation de l’ego a dans l’histoire
personnelle du sujet
une fonction adaptative. Il dit que c’est « autour du moi que se
constellent les parties socialement acceptables de la psyché, auxquels
l'individu accepte inconsciemment de s'identifier ». Mais il advient un moment
où cette adaptation devient une prison et c’est justement là que la nature de
complexe de l’ego s’affirme. Les émanations inconscientes qui remontent dans les
pensées sont autant de représentations qui au final doivent être libérées afin
que l’individu puisse évoluer normalement. (texte) Ce que Jung appelle
travail
analytique n’est pas véritablement une analyse au sens classique, il s’agit
surtout de défaire les résistances psychiques du patient afin que les
représentations inconscientes se dénouent.
La notion de
complexe, comme le complexe d’infériorité,
(texte) de
persécution, de culpabilité etc.
est devenue très populaire, mais elle est souvent employée de manière imprécise,
sans relation claire avec l’ego. Ce que Jung a observé, c’est que les complexes
finissent par se structurer de manière autonome comme des « personnalités »
abritées au sein de la psyché. Nous savons aussi qu’ils ne se manifestent que
dans des circonstances où l’affect dominant est sollicité. Ce qui donne lieu à
ce que Freud appelle la compulsion. Là encore le
rapprochement avec les ornières habituelles du comportement de l’ego saute aux
yeux. Un ego bien rigide, un ego renforcé, c’est exactement cela, une
« personnalité » dont la dynamique est alimentée par un complexe formé dans un
passé lointain, le plus souvent autour d’expériences difficiles et mal vécues.
Une construction mentale qui aurait peu a peu acquis son autonomie dans
l’inconscient pour mener sa vie propre en donnant corps à une identité : un
« moi ». Pour un peu, nous serions tentés de faire un rapprochement avec ce que
Montaigne affirmait : ma vie intérieure est une galerie de
personnages. Chacun
d’entre eux a été un complexe noué à des réactions à un moment de la vie et il
est devenu le personnage dominant : un « moi ». Mais ce
moi n’ayant pas de
substance, roulé qu’il est par le temps, est obligé de passer d’une forme à une
autre. Aucune forme ne se maintient indéfiniment. Toute forme, y compris
mentale, apparaît, se maintient et se défait. Le moi est donc transformiste et
il est effectivement différent dans chacun des
personnages qu’il incarne.
Cependant, Jung insiste aussi pour dire que les personnalités fondés sur des
complexes sont parasitaires. Elles n’expriment pas, mais déforment ce que
je suis jusqu’à la caricature. Entre la personne enfermée dans son petit
ego, sous l’emprise parasite du corps émotionnel, et la personne délivrée du
poids de l’ego, il y aura donc une grande différence.
Second point. Quand l’identification à l’ego joue à fond, donc en liaison avec la provocation de l’expérience et sous la forme de réactions, l’expression invariable de la conduite est de forme compulsive. On dirait même encore mieux en employant le terme obsessionnel. (texte) En tout ego, il y a un obsessionnel en puissance et il est donc tout à fait logique que l’enflure extrême de l’ego, l’egomania, soit dans le délire de grandeur de volonté de puissance et sa planification rationnelle. Très obsessionnelle. Repérer en nous les fixations obsessionnelles est donc un des moyens les plus sûrs de mettre en lumière l’ego dans ses traits dominants. Et ce qui est justement caractéristique de l’inconscience ordinaire, c’est que nous ne les voyons pas. Ou encore, nous entretenons la mauvaise foi pour maintenir coûte que coûte la position de l’ego. Ce qui s’appelle de l’aveuglement.
Autre illusion attenante à l’identification avec l’ego : celle consistant à croire dans son existence séparée, la croyance dans le caractère forcément « spécial » du moi, en opposition avec « les autres » et avec la conscience collective en général. Mais si le moi est tel un iceberg sur l’océan de la psyché, il est fait de la même eau que le reste de l’océan et une conséquence doit en être tirée : l’inconscient soi-disant « personnel» est une bien petite chose et a beaucoup moins d’importance que nous pourrions le croire. Il n’est qu’une zone de l’inconscient collectif que nous croyons isolée, mais qui ne l’a jamais été. (texte)
1) Chaque être humain est un représentant de toute l’humanité. Les nœuds conflictuels de l’ego, à y regarder de près, ne sont pas vraiment des problèmes « personnels », ils sont tout simplement humains. L’ego dira bien sûr : « Oh !... Je croyais que j’étais le seul à avoir ces problèmes et que les autres étaient différents». Et bien non ! Psychologiquement, (texte) sur le plan de l’ego, où qu’on aille, les êtres humains sont affectés des blessures d’amour-propre, d’inquiétude quant à l’image qu’ils renvoient aux autres, d’avidité, de jalousie, d’envie, d’attachements, ils se battent pour l’honneur, méprisent ceux qu’ils estiment inférieurs, se plaisent à dominer la Terre, s’inventent des idoles, protègent leurs croyances et espèrent une continuation de leur moi personnel dans une après-vie. Il n’y a jamais eu quoi que ce soit d’original dans le fonctionnement de l’ego, qui est au contraire mécanique et conditionné. C’est un legs évolutif du mental humain.
Même remarque en ce qui concerne la pensée dont l’ego est lui-même composé. Le propre de l’ego, est de s’approprier la pensée pour la faire tourner en boucle à son propre bénéfice. Considéré de ce point de vue, l’être humain devient ses pensées et il est le plus souvent encore le jouet de ses pensées. Sur ce plan, le mental humain est partout identique. C’est agaçant pour l’ego qui s’estime très « spécial », qui revendique sa « différence », qui se croit propriétaire et maître de ses pensées, mais le mental est collectif avant que d’être individuel et chaque fois qu’un être humain pense, soit il puise dans le connu de ce qui a été déjà pensé avant lui, soit il emprunte le plus clair de ses intuitions au mental universel. Qui ne sont pas si « originales » que cela, même dans les plus brillantes percées, comme en témoigne les découvertes simultanées au cours de l’Histoire. Nous pourrions d’ailleurs nous demander si nos réticences à reconnaître la dimension de l’inconscient collectif ne tient pas tout simplement au fait que nous chérissons par-dessus tout notre moi personnel, il est donc normal de mettre davantage l’accent sur l’inconscient personnel et d’ignorer ce qui pourrait se situer au-delà. Même si ce n’est pas du tout conforme à la vérité, (texte) mais conforme à l’image que l’ego se fait de lui-même.
Bien sûr,
chaque ego porte avec lui son histoire personnelle dont il fait toujours grand
cas (…attendez, donnez moi un peu de temps et je vais vous raconter … !) et dont il est de fait inséparable. Si la structure de l’ego est
partout identique, de fait, chaque histoire est toujours différente et chaque
individu est différent. Différent et unique. Mais il s’en faut de beaucoup pour
que l’ego ait une conscience claire du caractère unique et précieux de chaque
individualité ou même de chaque chose dans l’univers. La vision qu’il en a est
si « personnelle », si partielle et si déformée, qu’il vaut mieux partir du
principe que l’ego par lui-même n’a aucun sens de ce que représente l’individuation
de la conscience. Ce qu’il exprime c’est seulement son
individualisme
égocentrique séparatif, ce qui est très différent. (texte)
Il ne se connaît pas lui-même
et même s’il avait quelques notions concernant son
idiosyncrasie il ne ferait
qu’aller chercher « mes défauts et mes qualités », sans toucher réellement ce
qu’il y a d’extraordinaire dans le jaillissement singulier de la Conscience en
chacun de nous. Plus l’ego est imbu de lui-même, plus nous sommes séparés de
nous-mêmes, moins nous résidons dans le sens intime de l’âme. Dans la
Présence.
Plus nous sommes dans la rivalité et la
comparaison avec les autres. C’est
pourquoi il est important de ne pas confondre
le Soi et l’ego. Vous n’êtes
pas ce que vous croyez être dans toutes ses histoires que l’ego se raconte
dans le monologue interne de la pensée. Ces petites
histoires personnelles
peuvent sembler intéressantes, mais dans le verbiage personnel, elles ne sont
que des fictions sans rapport avec l’être réel. Pour citer C. G. Jung dans La
Dialectique du Moi et de l'Inconscient : "Le
Soi est la donnée existant a priori dont naît le moi. Il préforme en quelque
sorte le moi. Ce n'est pas moi qui me crée moi-même : j'adviens plutôt à
moi-même"; mais Jung prend soin d'ajoute que le Soi reste
indéfinissable. L’advenir à Soi est la véritable
éclosion de la conscience et sa percée authentique, loin de confirmer l’ego et
son image, elle fait bien plutôt éclater l’un comme l’autre.
Il y a des
gens qui croient qu’une énorme inflation de l’ego est une marque de conscience
élevée. « C’est en prouvant à tous ma supériorité que je m’affirmerai ! Les
faibles qui s’inclinent sont des
inconscients, les forts montrent
leur force sont plus conscient ! » Jolie naïveté, car c’est tout l’inverse.
Plus une personne est infatuée d’elle-même et plus… elle devient inconsciente.
Si ce genre de croyance (inconsciente)
était fondée, le fou qui se prend pour la réincarnation de
Napoléon
serait consciemment très éveillé.
Jung appelle cela l’inflation psychique. (texte) On dit de l’égoïste qu’il est « plein de lui-même ». Il faut observer cela de très près pour bien voir de quoi il retourne, car ce soi-disant plein est en réalité complètement creux. « Un cas très courant est constitué par l’identification dépourvue de toute note d’humour de nombreux hommes avec leur profession et leur titre ». C’est ce qui leur donne cette manière de relever le menton pour regarder les autres de haut, avec au coin des lèvres un soupçon de mépris. Or cette fonction qui enfle d’importance l’ego, elle est éminemment collective (texte) avant d’être individuelle. Elle est « l’expression collective de facteurs nombreux, expression qui est née historiquement de la collaboration d’un grand nombre et d’une concordance de circonstances. Sa dignité est le fruit d’une approbation collective. Dès lors, en m’identifiant à mon emploi ou à mon titre, je me comporte comme si j’étais moi-même toute cette fonction sociale complexe ». Ce qui est ridicule, et que celui qui se met en pareille posture ne s’en rende pas compte est précisément une marque d’inconscience. « Je me suis attribué une extension et j’ai usurpé des qualités qui en aucune façon ne sont en moi, mais qui existent en dehors de moi et devraient y rester. ‘L’État c’est moi !’ : Telle pourrait être la devise des sujets qui succombent à ce travers ». Preuve manifeste qu’ils manquent de lucidité à l’égard de l’ego lui-même dont ils sont gonflés. Mais, comme le note Prajnanpad, le mental au service de l’ego est très rusé, (texte) et il ira se réfugier n’importe où pour se faire valoir. Ainsi, explique Jung, « la connaissance elle aussi peut déterminer une inflation psychique ; il s’agit alors, sur la base d’un principe qui est le même au fond, de circonstances psychologiques encore plus subtiles ». On peut même prendre une pose « religieuse » et être infatuée de sa position. Ou une pose de « moraliste » en se donnant le beau rôle de condamner à qui mieux mieux sans chercher à comprendre etc. Chaque fois qu’il y a une pose, et nous avons vu que par nature l’ego est très poseur, il y a indentification à un personnage qui n’a de sens que dans sa place reconnaissable au niveau collectif. C’est tellement du collectif que cela donne des caractères, des types achevés pour les humoristes de tous poils. Ce qui est particulièrement drôle, c’est qu’un sujet s’affirme alors dans une caricature sans qu’il s’en rende compte. C’est au moment où le sujet succombe à un personnage qu’il flatte le plus l’ego et qu’il est … le plus inconscient ! Le seul à ne pas pouvoir en rire, car il se prend au sérieux.
2) Il n’y a donc aucune raison d’opposer le fonctionnement mental sur le mode « ego » et la conscience collective, mais toutes les raisons au contraire, de voir dans les formes les plus marquées de conscience collective un ego agrandi. De même qu’il y a « moi et l’autre », il y a « nous et eux ». La même structure mentale. Et puisque le fonctionnement égotique comporte au niveau individuel une bonne dose d’inconscience, il en est de même au niveau collectif et à un stade souvent encore plus prononcé ; de sorte que de prime abord, nous rencontrons dans le monde davantage d’inconscience collective, lourde, stupide, incohérente et déstructurée qu’une conscience collective éclairée, cohérente, et ordonnée. Le monde est ce que nous sommes. Tant que les schémas dysfonctionnels de l’ego seront prédominants, il en résultera au niveau collectif des conduites du même acabit : de la bêtise, des comportements chaotiques, bornées, aveugles et parfois obscènes. Si vous croyez pouvoir sortir de l’inflation personnelle de l’ego en plongeant les hommes dans l’existence impersonnelle de la foule, vous vous trompez lourdement.
Freud avait
lu La Psychologie des Foules de
Gustave Le Bon et il y avait trouvé de
quoi nourrir l’idée que les pulsions pouvaient aussi prendre un caractère
collectif. Le Bon disait très clairement
que
l’individu plongé dans la foule peut descendre de plusieurs degrés d’humanité
dans un comportement grégaire et primitif, (texte) comportement qu’il n’aurait pas s’il
conservait un jugement lucide, sain et autonome. Non pas qu’alors il faille se
retirer dans son « moi », non pas que la conscience de l’ego soit moins
dysfonctionnelle, elle a les mêmes travers ; mais en conservant la
neutralité du regard témoin, de observateur lucide, une plus grande
intelligence
s’éveille et elle est à même de voir l’insanité autant dans les conduites
collectives qu’individuelles.
Une personnalité faible et immature se laisse facilement téléguider par les suggestions ambiantes. Ce que on pense, ce que on dit, ce que on pense suffit alors comme motif pour penser, parler et agir, pour une conscience encore somnambule qui ne s’est pas éveillée à Soi. Voyez le beau texte de René Daumal à ce sujet. (texte) C’est ce qui s’appelle vivre de manière irréfléchie et inconsciente et non vivre de manière délibérée et consciente. Le moi dans la confusion reste encore un ego mais le contenu de cet ego c’est « les autres ». Comme le dit Heidegger, de la sorte « les autres » lui ont dérobé son être propre. C’est le chemin initiatique de l’humain, la conscience de soi n’advient à Soi qu’après une déréliction dans « les autres ». Tout le temps qu’elle est sous la coupe « des autres », l’âme banale demeure dans le statut d’un ego, mais d’un ego identifié à l’ego collectif - dont elle suit les jugements, les attitudes, les pulsions et les compulsions, les emportements irrationnels et le moutonnement ordinaire. Il faut ici se souvenir ce que nous avons vu à plusieurs reprise : l’inconscience au niveau collectif ne va pas sans une certaine inertie.
Pour reprendre des critiques formulées plus haut dans le cours, le minimalisme en matière d’identité dans notre société actuelle, ce serait être un « consommateur ». Celui qui ne penserait que dans la pub, parlerait en écho de ce qu’il a entendu dans des clips et n’agirait qu’en imitation des stéréotypes ambiants. L’âme banale endormie dans un parfait conformisme. C’est en ce sens que les publicistes diront que la consommation permet de « s‘intégrer dans la société » (Sic) ! En effet, elle fabrique des ego modulables, dépersonnalisés, elle duplique les clones dont elle a besoin pour écouler la production de masse de l’industrie. Et cela marche, cela permet à des millions d’hommes de vivre une vie de surface, une vie d’emprunt, qui n’est pas vraiment la leur, mais dont les attentes, les craintes, les motifs et les buts sont tout trouvés. L’ego a un os à ronger et il est très occupé, il a des milliards de petits soucis ! Il en a des choses à se raconter dans son monologue interne ! Même si cette vie n’a pas de substance, même si elle ne se vit qu’à peine et qu’elle traîne ainsi avec elle un malaise profond. Le malaise de sentir confusément au fond de soi que je ne vis pas vraiment, mais que je passe ma vie à faire semblant. Bref, l’ego doit fuir sans cesse le vide de son existence et lutter pour éviter de rencontrer l’absurdité de sa condition. On y parvient avec beaucoup, beaucoup de divertissements. En attendant, il pourra croiser dans le miroir un regard éteint et parfois le retrouver dans quelques photos ratées où il n’avait pas eu le temps de faire semblant, de poser dans un gaieté fictive.
Il y a un aspect du problème signalé plus haut sur lequel il nous faut revenir. S’il est un territoire sur lequel nous souhaitons exercer une maîtrise, c’est bien celui de la pensée. A quoi Freud répond qu’il est bien des échappatoires au contrôle, tels les lapsus et les actes manqués, qui montrent que l’inconscient peut s’immiscer dans la pensée consciente et la contrôler à son insu. Un peu comme des émanations de pensées de niveaux inférieurs, ou comme des bulles qui remonteraient du fond du lac depuis et viendraient éclater en surface, jetant le trouble au niveau conscient. C’est le domaine « réactif » inconscient. Travailler sur soi, c’est un peu comme faire le ménage, aérer les niveaux inférieurs du psychisme, faire entrer la lumière et laisser sortir les miasmes du passé. C’est aussi laisser se dénouer à l’étage inférieur hridayagranthi, les nœuds du cœur. Cependant, on aurait tort de croire que tout ce qui vient de l’inconscient et surgit dans l’esprit conscient est seulement du passé réactif. Les processus inconscients sont très complexes.
1) Jung fait une mise au point tout à fait limpide : « Si l’inconscient n’était que réactif et réactionnel, il serait licite de n’y voir qu’un monde de reflets psychologiques. Si tel était le cas, la source essentielle de tous les contenus et de toutes les activités serait dans le conscient et l’on se trouverait dans l’inconscient de façon systématique – et dans les cas les plus favorables – que des images réfractées et distordues de contenus conscients. Les processus créateurs auraient leur siège dans le conscient et toute innovation, toute inspiration, toute créativité ne seraient que les trouvailles d’un conscient fureteur.
Or les faits et
l’expérience s’inscrivent en faux là-contre. Tout être créateur sait, pour
l’avoir vécu d’innombrables fois, que la spontanéité involontaire est la marque
essentielles de la pensée créatrice". (texte)
Et ce n’est pas du tout mystérieux. Vouloir écrire, composer, créer avec les
seuls ressources du conscient, serait rationaliser à outrance et se priver de la
libre inspiration de l’imagination. Les meilleures trouvailles sont toujours
celles que l’on n’attendait pas et qui ont jaillit en dehors du contrôle
conscient. Une tension volontaire continuelle épuise l’esprit et fait que qu’il
tourne en rond. Quand
nous butons consciemment sur une difficulté et que nous ne trouvons pas d’issue,
c’est du lâcher-prise complet de l’ego que vient la
plupart du temps une solution. C’est une expérience qui a souvent été rapportée
par les scientifiques. Les cogitations conscientes de la veille abandonnées à
l’inconscient pendant la nuit travaillent et délivrent les éléments de solutions
du problème au réveil. Laisser reposer une question pendant la nuit, c’est
activer l’inconscient. C’est au moment où, dans une détente mentale, l’ego est
relâché, que l’esprit reçoit le plus d’inspiration créative. Or, étant donné,
comme nous l’avons montré, que l’ego est par essence une
contraction, il
s’ensuit bien évidemment que la crispation de
l’ego nous prive de beaucoup de ressources de l’intelligence, comme elle
inhibe fortement l’imagination. Nous avons aussi vu dans une précédente
leçon que l’intelligence qui œuvre dans le concept
n’est qu’un aspect limité de l’intelligence. Elle est en fait épaulée par l’intelligence
affective et
perceptive, et l’on est même parfaitement
en droit dans tout ce qui est intuitif de parler d’intelligence non-verbale.
Nous avons vu, avec plusieurs exemples
célèbres, que l’intelligence la plus créative se passe fort bien de
verbalisation. Or si tel est le cas, il serait ridicule de dénigrer
l’inconscient en prétendant qu’il est privé d’intelligence. De toute évidence,
l’intelligence n’est pas le privilège de la pensée consciente. Il y a une
intelligence à la source de toute pensée, qu’elle soit on non complètement
verbalisée. A fortiori, l’intelligence n’appartient pas en propre à l’entité
nommée « ego ». Mieux, quitte à faire tomber l’idole de son piédestal, une
conduite fortement égocentrée est la plupart du temps assez bornée et stupide.
Si, dans les discussions, chacun pouvait raccrocher son ego à l’entrée, il
serait facile de s’entendre entre gens d’aimable compagnie.
Personne ne s’aviserait aujourd’hui de soutenir que l’intelligence créatrice a son siège au un niveau du conscient… Sauf en nous l’ego, qui se croit très créatif, alors qu’il ne fait que s’approprier le bénéfice des talents qui s’expriment dans le canal d’une individuation particulière ! Et s’il est quelque chose d’insupportable, c’est bien l’ego démesuré des artistes. Le fait que la nature ait doué une personne d’une certain facilité, d’un talent, d’une sensibilité, d’une habileté particulière, ne la rend pas supérieure à qui que ce soit. Un artiste véritablement inspiré se laisse traverser par une énergie qui prend la forme d’une création vivante. Il y a quelque chose de malséant dans le fait d’y ajouter de l’ego ; un peu d’humilité serait de reconnaître que nous ne savons pas d’où vient l’abondance d’images et d’idées. (texte) Il faut remercier humblement la Nature des dons qu’elle nous offre. Dans le processus de la création, l’ego est un tard venu. Il n’a pas de contrôle à la source. La croyance populaire selon laquelle la création artistique serait avant tout l’expression du « moi de l’artiste » est une sottise qui relève de la complaisance naïve. Là où un artiste est le meilleur, c’est justement là il s’oublie lui-même et où il se laisser porter par une puissance d’imagination supérieure à la sienne et certainement pas là où il se regarde le nombril. L’ego n’est pas créatif et c’est quand il n’est pas convoqué, quand il s’efface, qu’une intelligence plus élevée vient se manifester. Pour faire court : l’ego n’a guère d’intérêt. Quand Gide s’est rendu compte que son Journal tombait excessivement dans des complaisances égocentriques… il l’a arrêté ! La création ne respire librement que dans l’universel.
------------------------------ Dans les
traditions spirituelles, l’intelligence créatrice est perçue comme un aspect de l’inconscient, mais en Occident, il est devenu très difficile de le
reconnaître. La psychanalyse freudienne a tellement
surchargé l’inconscient de contenus
personnels que l’idée est
devenu un concept fermé.
2) Un des mérites de la psychologie de Jung est d’être restée ouverte à la complexité de l’inconscient, mais aussi d’avoir jeté les bases d’une psychologie spirituelle sans pour autant renier les découvertes de Freud. Il est exact que Jung a été mal accueilli en France et qu’il n’est pas un auteur aussi facile d’accès que Freud, mais il est indéniable qu’il apporte une richesse de vues qui contraste avec le dogmatisme freudien. Souvenons-nous de cette remarque de Jung au sujet des Tantras que nous avions placée au début de nos investigations sur l’inconscient: on dénombre sur la verticale de la colonne vertébrale sept centres psychiques principaux. C’est celui du bas, muladara, qui est concerné par la sexualité. Il y en a six au-dessus, ce qui suggère qu’il y a d’autres plans de conscience et que le psychisme est bien plus complexe que Freud ne l’a pensé. Notre psychologie est encore dans l’enfance, aux prémisses de l’exploration de la Conscience.
En tentant
de défricher ce qu’il a appelé
l’inconscient collectif, Jung a donné un nom générique à toute une série
de phénomènes qui excédaient le champ de
l’inconscient personnel.
Certaines formes de rêves comportant un langage archaïque. Les
archétypes symboliques dans les
mythes fondateurs des civilisations anciennes. Les
sources d’inspirations de l’imaginaire dont se nourrit
abondamment l’heroic fantasy,
avec ses elfes, ses trolls, fées et ses sorcières, ses figures du loup-garou,
ses démons et ses vampires : ce que les amateurs d’ésotérisme appellent le « bas
astral ». Il faut avouer que l’on se perd un peu dans ce
bestiaire symbolique et que certains textes
de Jung sont assez obscurs. Néanmoins, les aperçus qu’il a proposés ont ceci de
pertinent qu’ils tendent à démystifier l’idée populaire selon laquelle
l’imaginaire serait une fantaisie « personnelle », une création ex nihilo
du « moi », chez quelques individus surdoués appelés les « artistes ». Ce qui
est encore une manière d’attribuer à l’ego plus de pouvoir et de créativité
qu’il n’en n’a. Les visions les plus puissantes que l’on rencontre dans les
mythes et dans l’art ne sont pas « personnelles » ; elles tirent leur force de
matrices archétypales déposées dans l’inconscient collectif. Ceux dont la
sensibilité est vive et dont l’imagination est
puissante font réapparaître les formes déposée dans l’inconscient collectif.
L’ego n’est pas pour grand-chose dans cette élaboration. L’écho universel que
rencontre l’heroic fantasy de part le monde, dans
toute une série de
productions littéraires depuis Tolkien,
vient du fait qu’elle nous parle de nous-mêmes, dans les profondeurs obscures de
l’inconscient, au-delà des structures personnelles. A ce niveau, l’idée d’une
existence séparée d’autrui, d’un territoire personnel inviolable, - idée qui est
tellement familière à l’ego -, n’a plus guère de sens. On se trouve dans un
domaine qui n’a plus de limites et sûrement pas les limites définies par l’ego.
Étrangement pourtant, tout cela est en nous et possède même un dynamisme qui lui
est propre. Ainsi, quand on parle de l’ego, on n’évoque jamais qu’une petite
région du psychisme qui flotte entre
conscient et inconscient. Pas la totalité de la psyché. Rappelons-nous ces vers
du poète russe Tucnev :
Ton âme contient tout un monde
De secrets et de visions
Pour ceux qui sont entrés dans Les Contemplations de Victor Hugo, ou qui ont eu la chance de plonger dans la lecture de l’immense poème de S. Aurobindo Savitri, c’est par excellence la quintessence de la création poétique. Aurobindo voyait dans l’aptitude à s’emparer des intuitions les plus hardies, à faire jaillir des formes nouvelle un dépassement du mental ordinaire et l’accès à ce qu’il nommait le surmental. En tant que nous fonctionnons à travers l’identification avec l’ego nous ne dépassons gère le mental ordinaire et sa ronde habituelle. C’est en ce sens précis que la pensée travaille, c’est-à-dire en allant du connu au connu et n’est jamais à ce titre qu’un écho de la mémoire. Chaque fois que l’esprit fait une percée intuitive, qu’il est régénéré par une intelligence renouvelée, il sort du connu et des ornières dans lesquelles le maintient le fonctionnement égotique.
3) Le seul fait de voir directement et sans faillir comment le moi opère, de voir la répétition de ses conditionnements, est déjà une traversée des limites de la pensée. Le voir lucide libère l’intelligence. Il semble malheureusement, nous n’avons même pas encore compris à quel point la connaissance de soi est essentielle et essentielle pour identifier le jeu de l’ego dans la vie quotidienne. Or tant que cette prise de conscience n’est pas opérée, ce qui se déroule au quotidien, c’est l’emprise inconsciente que l’ego exerce. C’est particulière évident dans le domaine des relations, parce qu’inévitablement la présence d’autrui tend à provoquer la manifestation de l’ego. Voyez l’intégralité ce qui a été montré dans la leçon sur les croyances inconscientes. Un moi sévèrement renforcé, un moi qui s’affirme face à autrui, c’est un moi rendu rigide parce que pétrifié dans des croyances inconsciente. Les compromissions des psychologues qui tendent à « assouplir » l’ego sans aider à comprendre ce qu’il est maintiennent dans l’illusion. Quand le corps émotionnel entre en activité, quand il est chargé d’énergie, le sujet ne rencontre le monde que sur le mode du conflit et avec une dose d’aveuglement égotique qui frôle parfois la démence. Les bons conseils ne suffisent plus. L’ego a besoin du conflit pour s’affirmer en tant que « moi » face à « l’autre », de sorte que « moi » se sent davantage exister dans ses limites quand il s’oppose à un autre « moi ».
Au fond,
le concept de moi contient une étrange aporie : l’ego cherche par-dessus tout
à se séparer du collectif
humain et à s’affirmer dans sa particularité, or quand il le fait, c’est… pour
exiger implicitement une
reconnaissance collective. Son désir de reconnaissance le fait entrer de
manière irrésistible dans le conformisme d’un modèle collectif. Il n’est
rien de plus commun, de plus ordinaire et de plus banal que le fonctionnement
égotique de l’individu et rien de plus éloigné de l’individuation
réelle, de la réalisation de Soi. Et la drôlerie irrésistible, c’est que l’ego,
imbu de lui-même, ne prend jamais en compte le fait que, s’il croit n’exister
que pour lui-même, l’autre en face… fonctionne aussi de la même manière ! Donc
ne s’intéresse qu’à lui-même. En bref, sur le mode « ego », nous nous prenons
pour le nombril de l’univers et nous
présupposons qu’autour de nous il n’y a que de gentils individus altruistes
(libérés de leur ego) complètement à notre service ! ! Il y a vraiment de quoi
se gondoler de rire. Ce qui montre à quel point le fonctionnement égotique
marche dans l’inconscience. La connaissance de soi,
consiste à comprendre ce fonctionnement de l’ego et d’abord à corriger sa manie
exclusive justement en incluant le fait que l’autre en face, sur le mode
« ego », fonctionne comme que moi. Mais la leçon que nous en tirons alors, c’est
que, contrairement ce qui est admis dans l’opinion, de toute évidence, l’ego
a davantage d’affinités avec l’inconscient qu’avec le conscient. Il a été utile
dans l’évolution pour nous mener là où nous sommes,
mais vient un moment l’élargissement du champ de conscience devient une
nécessité impérative et il faut aller au-delà. L’ego en nous fait obstruction à
toute expansion de conscience.
* *
*
Ne nous laissons pas hypnotiser par les mots. Le fait même de titrer « le moi et l’inconscient » pourrait suggérer à tort une séparation alors qu’il n’existe rien de tel. Même inconvénient avec les termes « conscient », « subconscient » et « inconscient » si on les substantifie à l’excès, en oubliant qu’ils ne sont que des panneaux indicateurs vers le réel et non pas le réel lui-même. Il n’existe pas de frontière toute tracée dans le psychisme. Nous ne devrions pas croire que nous existons dans une bulle séparée qui serait le conscient. L’inconscient joue un rôle bien plus important que nous voudrions le croire. Ce sont ses émanations qui nourrissent l’entité appelée ego. Cependant, il est aussi davantage qu’une armoire qui contiendrait nos effets personnels venus du passé, ou ce que Freud en a fait, le lieu des conflits psychiques.
Ce qu’il nous faudrait retenir ici, c’est surtout l’importance de la démystification de l’ego, l’idée superficielle selon laquelle il serait une pure pensée rationnelle, l’idée qu’il pourrait se confondre avec la personne réelle. Même si nous obtenons une compréhension assez précise du fonctionnement égotique de quelqu’un d’autre, nous n’aurons pas pour autant accès à ce qu’il est vraiment. En tant qu’ego, en tant qu’il se prend pour un « ego », il ne sait pas qui il est et ce qu’il est, est bien plus vaste que l’ego. Ce n’est pas l’étincelle de conscience qui brille dans chaque regard, ce n’est pas ce qui fait que chaque être humain est en soi unique à sa manière.
* *
*
Questions:
1. Qu'est-ce qui change dans notre compréhension du sujet à partir du moment où nous admettons que l'ego est très largement inconscient?
2. Le moi peut-il est distingué de l'histoire personnelle?
3. Y a-t-il un type d'expérience particulier dans lequel nous serions libérés du moi?
4. Renforcer l'ego, est-ce la finalité d'un accompagnement psychologique?
5. Comment distinguer individualité vivante et individualisme?
6. Renforcer l'ego augmente-t-il pour autant la créativité?
7. En quel sens peut-on dire que l'inconscient collectif n'est pas personnel?
© Philosophie et spiritualité, 2011, Serge Carfantan,
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