Leçon 221.    Les formes du plaisir     

    Non. Ce n’est pas une leçon sur la sexualité ! C’est une leçon sur le plaisir. Mais il est exact que nous vivons dans une société ou l’identification du plaisir à la sexualité est plus qu’une association d’idées, c’est carrément une forme de conditionnement. Exactement de la même manière, la notion de valeur est mécaniquement tirée vers l’argent. Pourtant, il suffit d’un peu de réflexion, ou d’une once observation pour voir que de même qu’il existe d’autres valeurs en dehors des valeurs matérielles, il existe aussi d’autres formes de plaisirs en dehors de la seule sexualité. Ce sont deux effets du matérialisme ambiant.

    On dit que notre société se caractérise par son hédonisme, mais, si nous y regardons de près, nous verrons que ce n’est même pas vrai. Ce n’est vrai qu’en surface, en apparence, et surtout dans le discours publicitaire. En fait nous survalorisons le plaisir sexuel, mais par compensation, parce que nous sommes devenus tellement insensibles que la plupart de nos existences sont ternes et insipides. Nos plaisirs les plus communs ne sont souvent que des fuites momentanées pour échapper à un malaise constant qui est la vraie caractéristique de cette société ; pas du tout hédoniste, mais très anxiogène. L’hédonisme implique une philosophie du plaisir, mais la société de consommation ne sait pas ce qu’est le plaisir, elle n’a pas de philosophie et encore moins d’art de vivre. Mais, comme nous l’avons vu, le système du marketing voudrait pourtant nous persuader que le bonheur, c’est de consommer et même qu’il n’est pas de plus grand plaisir que le shopping !

    D’ailleurs, si on en reste à des considérations à ras de terre, existe-il autre chose ? A part le sexe  et le shopping qu’est-ce qu’il y a ? Allons-y tous en cœur : ... La bouffe ! L’homme-vital « profite » d’abord dans ces trois registres. Sexe, bouffe et shopping !! C’est un peu court, très limité. Et de toute manière, l’énumération n’est pas une classification. Il faut aller plus avant dans l’examen pour entrer dans la compréhension du plaisir. Ce qui suppose nécessairement quelques subtilités philosophiques qui ne sont rien d’autres que les subtilités de la vie. Donc, Comment distinguer les formes du plaisir ?

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A. La triple orientation de la vie et le plaisir

    Revenons sur une leçon précédente. Nous avons combien il était important de concevoir la nature humaine, non de manière duelle, (texte) comme corps/esprit, mais tripartite, c’est-à-dire composée essentiellement du corps, de l’âme et de l’esprit. Pour reprendre le texte, entre l’avidité du vital, la curiosité du mental et la ferveur de l’âme, il y a tout de même des différences. Nos plaisirs nous ressemblent, ils sont un reflet très sûr de l’orientation que nous donnons à notre vie. De là suit, qu’il ne faudrait pas confondre les besoins du corps, les intérêts de l’esprit et  les aspirations de l’âme. Nous aurons beau tenter de vouer un culte exclusif au corps et ne vivre que par lui, nous aurons beau laisser l’esprit en jachère, ou ne pas écouter en nous la voix subtile de l’âme, il n’en restera pas moins que nous demeurons en tant qu’être humain une entité tripartite. (texte) Commençons donc par là. Tout est bien sûr question d’équilibre, mais il est utile pour notre question de suivre la polarisation dans ce que S. Aurobindo distingue sous les formes de l’homme vital, de l’homme mental et l’homme spirituel.  Prenons pour commencer des exemples simples et dans l’air du temps.

    1) Chez l’homme vital, l’ego est très investi dans le corps qui occupe une place centrale dans son identité ; par conséquent les désirs de l’ego ramènent invariablement vers le corps, non pas dans le sens de l’incarnation de la conscience, mais dans le sens d’une adhésion aux valeurs corporelles, (texte) ce qui, nous l’avons vu, est très différent. Dans la considération du plaisir vital nous pouvons dégager trois aspects :

    - Une survalorisation de la sensualité. L’homme vital a par exemple tendance à privilégier le plaisir sexuel, les plaisirs de la table, les plaisirs de l’alcool à quoi on peut ajouter sans hésitation tout ce qui donne un coup de fouet au corps, les plaisirs des stimulants biochimiques dans le même registre.

    « L’homme charnel », dans le langage de Saint Paul, affectionne tout particulièrement ce qu’il croit être lui-même, son corps, donc les plaisirs de la chair, ce que les grecs appelaient les plaisirs du ventre. Un net déséquilibre dans cette direction lui vaudra de n’éprouver aucun attrait pour ce qui relèverait de l’esprit et moins encore pour ce qui serait susceptible de lui parler de l’âme. Les critiques des mœurs à Rome, méchantes, mais erronées, disaient : « ce pourceau d’Épicure » exactement dans le même sens. De même que le cochon se vautre dans la fange, l’homme charnel (texte) sa vautre dans l’ordure et le vice, oubliant la vertu et le souci d’une vie tempérante et ordonnée. On trouvera de même dans Les Pensées de Pascal (textes) des mots assez durs sur « la concupiscence » de la chair et les égarements des libertins.

    - Une survalorisation de l’apparence. L’homme vital étant identifié au corps, est aussi très identifié à ce qui relève du faire-voir et du faire-valoir sous le regard d’autrui. Il est donc tout désigné pour l’idolâtrie des plaisirs de la mode, du faste, des attributs du luxe, du décorum, de l’étiquette. Les outrances du mauvais goût ne le choquent pas, il adore ce qui en jette, ce qui scandalise, mais permet de se montrer, le déhanchement des stars, les paillettes, le glamour, le côté bad boy ou bad girl des people etc. Le matérialisme ambiant et la survalorisation de l’apparence vont main dans la main. Mais plus on décore l’extérieur et plus il semble que l’intérieur se vide.

    - Une survalorisation de l’émotionnel. L’homme vital cherche ce que Raymond Ruyer nommait « les nourritures psychiques ». Naguère les combats de gladiateurs et les jeux du cirque à Rome, aujourd’hui mettons, de la corrida, des courses de voiture, du sport extrême, des matchs de foot etc. Tout ce qui délivre des plaisirs de l’excitation émotionnelle le ravit. Et cela tombe bien, comme par hasard, la télévision mise à fond dans ce registre. Le cinéma lui est aussi entièrement dévoué quand il est tourné vers la nourriture de ce qu’Eckhart Tolle appelle the pain body, (texte) le corps émotionnel. Du suspens, de l’action, du sexe, de la violence, des hordes de zombies, de la musique qui hurle et déchire les tympans, des images chocs et de préférence sanglantes. Mais aussi de quoi se dérider, des grosses blagues tendance plutôt vulgaire, des tranches de rire consommé à tirelarigot un canapé sous les fesses avec un pack de bière sur la table. Enfin, et surtout, des jeux, des jeux, des jeux à gogo, des jeux vidéo à l’arrache, à faire peur, pour se sentir dans la peau d’un as de la gâchette qui tirer sur des aliens et atomiser  des milliers d’ennemis dans un fracas de fin du monde. ... l’angoisse, la peur, la haine, le goût de la mort et jouir du triomphe d’être un guerrier, le plus fort et le meilleur.

    2) Chez l’homme mental, l’ego est plutôt investi dans la pensée et le mental est surdéveloppé. (texte) A notre époque il y a un terme qui concentre en lui ces différents aspects : l’intellectuel. A la télévision (assez tard de préférence) le décor sera plutôt une bibliothèque, les participants des journalistes, des savants, des écrivains, des spécialistes de tel ou tel domaine. Quelque chose de moins agité, qui « bouge » moins que d’ordinaire, car tout le reste des programmes entretient l’excitation émotionnelle et s’adresse au vital.

    Indéniablement, il existe des plaisirs intellectuels. (texte) Après tout, du sudoku, des mots croisés, aux échecs, l’intellect a aussi toute une panoplie de jeux, très divers et très variés, aussi qui n’intéressent pas l’homme vital qui est surtout à la recherche de stimulants visuels et sonores (c’est obsessionnel dans notre monde). Il est étonnant d’observer, qu’il y a aujourd’hui des gens qui peuvent sans le moindre complexe dire « j’aime pas lire », exactement sur le même ton qu’ils disent « j’aime pas les épinards », avec la croyance naïve que la pensée, la connaissance sont optionnels et qu’on peut vivre sans. Ce sont les mêmes chez les jeunes qui prennent soin de se distinguer, de ceux qu’ils appellent « les intellos », avouant par là que leurs intérêts sont tout à fait ailleurs. (sourire) Ce qui veut dire dans le vital dont ils sont très occupés. Ceux-là regardent la joie de comprendre, ou encore la joie de partager la connaissance comme des ovnis venant d’un autre monde mais qui n’a rien à faire dans le leur. Moins je pense, plus j’essuie (mon mascara ou mon excès de rouge à lèvre, la vaisselle ou une vilaine tache sur les chromes de ma moto). Et puis, désolé de devoir répéter, mais c’est un lieu commun, moins je pense et plus je dépense et le fait de dépenser m’évite de penser. Plus de 40 % des gens n’ouvrent plus un livre passé 18 ans, mais ce sont les mêmes… qui connaissent souvent par cœur le programme de la télé ! Une foule de gens sans la passion de l’intelligence, rendus allergiques à tout travail de recherche, parce qu’ils ont été conditionnés très tôt à croire que l’intelligence n'était pas faite pour eux, que la réflexion étai-

 

 

Vos commentaires

Questions:

1. L'austérité peut-elle tenir le lieu de morale sans contredire la condition humaine?

2. Le libertinage peut-il être une philosophie?

3. La poursuite du plaisir n'est-elle pas vouée à la destruction du plaisir?

4. Une société qui n'aurait de finalité que dans le divertissement serait-elle plus heureuse?

5. L'attente du plaisir est-elle un plaisir?

6. La sexualité peut-elle être pratiquée comme un art?

7. Y a-t-il des conditions à remplir pour qu'une action soit accomplie avec plaisir?

 

 

       © Philosophie et spiritualité, 2012, Serge Carfantan,
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