Leçon 196.    Esthétique de la musique       pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

   Du point de vue de la classification formelle, la musique est l'art qui met en forme les sons, comme la peinture met en forme de la couleur dans la gouache, ou le fusain sur de la toile ou sur du papier. De même, la sculpture met en forme le bois, la pierre ou le métal. Cette définition préliminaire permet de trouver un caractère commun à une grande variété de musiques. Il est assez caractéristique que nous parlions aujourd'hui plus volontiers des musiques que de la musique. Le genre musical est foisonnant. Nous sommes sensibles à une grande variété de productions musicales et obligé aussi de consommer massivement une grande quantité de sons, car dans notre société le silence est interdit. Mais savons nous pour autant ce qu'est la musique?  C'est une chose que d'écouter  des musiques et une autre que de comprendre ce qu'est la musique.

    Parler de mise en forme du son est une formule assez vague. Le son peut en effet désigner deux aspects très différents ou deux niveau d’expérience. Un discours académique, un journal télévisé, c'est aussi du son, mais c’est très différent d’une bouilloire qui siffle, d’un musicien qui joue de l'accordéon dans la rue. Un discours est sonore, mais il est d'abord appréhendé au niveau du sens dans le langage, tandis que ce qui fait la particularité de la musique, c’est qu’elle utilise le son en lui-même, indépendamment de son implication à travers une expression dans la langue.

    La question qui se pose est alors de savoir à partir de quand un son devient-il de la musique? Ou encore : quelle différence marquer entre la musique et le bruit? Comment la musique nous affecte-t-elle, si ce n’est pas en exprimant des concepts dans une langue ? Qu'est-ce que la musique?  Quel est son rôle et sa portée ? Est-elle un simple arrangement des sons ou une manière d’écouter ?

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A. Sur la définition de la musique

    Il est certain que la question de savoir ce qu’est la musique, posée à Bach ou Vivaldi aurait donné une réponse claire de leur part. Traditionnellement, la musique est vue comme l’art de mettre ensemble des sons produits par divers instruments dans une composition qui est appelée l’œuvre musicale : la gavotte, la sonate, le requiem, le quatuor, la symphonie etc. Ce qui implique le luth, le clavecin, le piano, l’alto, l’orgue, le violoncelle etc. Bref, des instruments. Cette définition classique de l’art musical reste valide jusqu'au XIX ème siècle. Mais nous avons vu que dans les bouleversements de l’art contemporain, la question du statut de l’art n’est plus aussi simple. Voyez les tirades postmoderne de Ben disant de la sculpture : « soulever n’importe quoi !» ou de la musique « écouter n’importe quoi !».

    1) Pour les musiciens classiques, la musique est le son, mais le son en tant qu’il est produit par un musicien qui joue d’un instrument, un instrument de musique, mis à part bien sûr la voix. La voix est le premier des instruments et aussi le prototype même de la musique. C’est à la voix qu’est empruntée le sens de la mélodie, car une mélodie se chante. La musique dans sa construction enveloppe la mélodie, qui est le fil conducteur que suit l’oreille à l’écoute, le rythme qui ponctue la phrase d’une cadence, l’harmonie qui fait résonner ensemble plusieurs sons simultanément.

    Dans la conception classique, la musique utilise des sons dit purs produits par les instruments qui se différencient des son impurs, les bruits que l’on entend. Une gamme sur une clarinette donne des sons purs. Le crissement des pneus d'un camion, le bruit du tracteur, d’une tondeuse, le souffle d'une rafale de vent sont dits impurs, au sens de mélangés et complexes. Les son purs ont une définition précise à l’intérieur de la tonalité, dans l’échelle de la gamme. Par exemple, l’écart entre le do et le ré, d’un ton, n’est pas le même qu’entre le si et le do, d’un demi-ton. C’est un rapport mathématique précis. Les notes peuvent figurer sur une portée de manière rationnelle, rigoureuse et ordonnée. Mais rien de tout cela ne peut être appliqué à des sons « impurs ». Nous comprenons donc mieux cette définition  de la musique du Littré : "science des sons rationnels qui entrent dans une échelle appelée la gamme".

    Il est tout de même assez curieux de voir la musique qualifiée de "science", car nous pensons évidement à la musique comme un art et non comme une science. C’est dans ce genre de détail que l’on sent l’influence du positivisme d’Auguste Comte sur Littré. Pour le scientisme du XIX ème siècle, il est entendu qu’une discipline n’a de valeur que si on peut lui accoler le titre de « science ». On ne sauvera donc la musique de l’obscurantisme que s’il est possible d’en faire une « science ». Certes, il y a bien une exactitude en musique et une perfection formelle, mais qui ne résulte pas de l’application réglée d’une théorie. Quant à cette histoire de « rationalité » de sons appliquée à la musique, elle ferait bien rire un musicien, car le charme de la musique consiste précisément à s’écarter du domaine de la rationalité du concept dans un langage qui est plutôt celui du sentiment que de la raison.

    Cependant, la référence de Littré à la gamme est claire et indiscutable. Un instrument de musique produit effet des sons le long d'une échelle, des sons gradués suivants des repères nets. En français nous disons la, si, do, ré, mi, fa, sol, en écriture internationale, A, B, C, D, E, F, G. Cette échelle est précise, fixe et n’a rien d’arbitraire : il y a un ton entre do et ré, entre ré et mi, un demi-ton entre mi et fa, un ton entre fa et sol, un ton entre sol et la, un ton entre la et si et un demi-ton entre si et do. La gamme peut s'appliquer à tous les instruments. Ce qui varie, c'est seulement le nombre d'octaves qu’un instrument peut couvrir. 7 octaves sur un piano, 4 octaves plus une quinte ...

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    Ce qui importe dans la définition de la musique occidentale et qui s’est imposé, c'est la possibilité de l'écriture. Il y a musique, là où une composition écrite peut naître, qui pourra être reproduite par des interprètes, donc dans une partition. C’est une question pour le musicien de maîtriser le langage technique permettant de transcrire les sons sur du papier. Les sons purs s’écrivent facilement sur la portée. Pour couvrir le registre de l’instrument et ne pas trop déborder au-dessus et au-dessous de la portée, on se sert de clés, qui sont des repères pour placer les notes. Moyennant une transcription d’une octave au-dessous, il est possible de placer toutes les notes de la guitare en clé de sol. (Dans les aigus il faut tout de même rajouter cinq lignes !). Par contre, il est beaucoup plus pratique au piano de mettre les basses en clé de fa.

    Reste l’écriture des sons impurs. Ils  se prêtent mal à la notation. Il faut donc redoubler de créativité pour inventer des symboles et expliquer aux musiciens comment ils pourront produite l’effet attendu. Sur une partition de guitare, les effets de percussion, l’utilisation des harmoniques et des octavados est codifiée, tant bien que mal. Il est souvent nécessaire dans la musique contemporaine de se faire expliquer comment produire les sons étranges que l’on entend dans un enregistrement. (Mais comment fait-il pour produire un son pareil ?!) Bref, avec beaucoup d’astuces, il est possible de faire entrer le bruitage dans l’écriture.

    ------------------------------3) Mais cette définition de la musique fera bien sûr enrager tous ceux qui ne connaissent pas le solfège et ne jouent qu’à l’oreille ! Il y a de très grands musiciens qui ne savent pas lire une partition. La préséance de l’écriture met en dehors de la musique toutes les traditions anciennes qui reposent sur la transmission orale et la mémoire. C’est le même argument en histoire, l’historien a la fâcheuse tendance de ne compter pour rien les civilisations antérieures à l’écriture. On dira ici que c’est une définition de la musique en conserve, de la musique pour Conservatoire ! Définition étroite qui est peu à même pour nous aider à comprendre ce qu’est la musique en général. Elle a cependant le mérite de satisfaire l’intellect, car elle permet une analyse, car il s’agit bien d’une définition analytique de la musique qui rend possible une explication de ses structures par concepts.

    Il est indéniable que les structures musicales existent bel et bien avant que ne soit possible leur transcription écrite. Ce que tente de fixer une partition, c’est la structure d’une œuvre. Nous en arrivons donc à une nouvelle définition de la musique relative à la structure. Puisque ce n'est pas la nature du son qui distingue la musique du bruit, ce doit être l'usage qu'on en fait. Or il n’y a musique que si le sons obéissent à une organisation, ce qui veut dire que la musique est bien assemblage de sons, mais qui n’est pas arbitraire, dont l’organisation doit être perçue comme ne résultant pas du hasard. Dans toute création musicale, il y a une forme, une architecture interne des sons. Que l’on mettre un chimpanzé devant un piano, et qu’il joue par hasard la Sonate au clair de lune de Beethoven est impensable, car ce n’est pas une création résultant du hasard. On dit qu’une œuvre musicale repose sur une intention. Dire que la musique est organisée, signifie qu’elle est ordonnée à l’intérieur d’une œuvre. C’est l’unité de l’œuvre qui confère une organisation et définit l’achèvement de la musique. Certaines œuvres sont très réussies, achevées, d’autres le sont moins. Nous faisons bien une différence entre une œuvre réussie et de haute stature et une œuvre d’un intérêt mineur. Tout de même, la Toccata et fugue de Bach, c’est assez prodigieux, même pour un profane qui ne connaît guère la musique. Les petites études pour guitare de Carulli, de Guillani, ou de Napoléon Coste, c’est gentil et pédagogique, mais ce sont tout de même des œuvres d’un intérêt mineur. Personne n’irait les jouer en concert. Pour reprendre ce que nous avons dit précédemment, dans une production artistique il peut y avoir un certain, talent, mais dans une grande œuvre, il y a la touche du génie.

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B. De l'expérience musicale

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Vos commentaires

Questions:

1. Pourquoi considérer avec Schopenhauer que la musique est le plus métaphysique des arts?

2. Comment se fait-il que la musique comporte des structures mathématiques rigoureuses et que le musicien puisse ne rien connaître des mathématiques?

3. L'introduction du hasard, la musique aléatoire sont-ils une négation de la musique?

4. Comment distinguer en musique la différence entre une simple production et une œuvre musicale ?

5. Comment se fait-il qu'en matière de goûts musicaux nous soyons le plus souvent intolérants?

6. Est-ce en raison d'une particularité culturelle qu'une musique nous semble complètement inécoutable?

7. Si la gamme est toujours la même, faut-il en tirer pour autant l'idée que l'imaginaire musical est limité?

 

   © Philosophie et spiritualité, 2009, Serge Carfantan,
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